3.1. Le groupe, lieu de développement de l’expérience ?

Nos observations nous conduisent à penser qu’il y a beaucoup à apprendre dans le fonctionnement des groupes à la fois sur le plan intellectuel, cognitif ou affectif.

Sur le plan intellectuel et cognitif, des démarches de raisonnement, une pensée critique, une capacité à élaborer et vérifier des hypothèses, une capacité à argumenter un point de vue, une manière de faire ou de se représenter les choses, etc.

Sur le plan affectif, apprendre à se dévoiler, à s’affirmer, à s’opposer, à oser être soi au risque de soi, développer le sens d’une écoute empathique et congruente, de la considération positive, des aptitudes de coopérabilité, etc.

Et tout cela entre auto et hétéro-structuration, entre production et réflexion, entre critique réciproque et entraide... Le groupe oscille ainsi en permanence entre différents points d’équilibre qui lui permettent d’être, de favoriser les apprentissages à certains moments et de les inhiber à d’autres, même si ces derniers restent largement informels parce que le groupe de travail ne se confond pas avec un groupe de formation et qu’il devient difficile d’envisager un quelconque apprentissage coopératif là où le but premier n’est pas d’apprendre mais de produire.

Par ailleurs l’apprentissage coopératif suppose la poursuite d’un but commun, or nous n’avons pu mettre en évidence le fait que le bon fonctionnement du groupe suivi repose sur une cible partagée qui constituerait la raison d’être du groupe. La recherche nous dit « Le groupe permettrait le développement de liens affectifs, l’affirmation progressive d’un sentiment d’appartenance ainsi que l’émergence de la capacité des membres de se confirmer mutuellement et de coopérer pour favoriser la satisfaction de leurs besoins respectifs. Enfin on dit que la durée de vie du groupe doit être suffisamment longue pour permettre qu’il se structure par la différenciation des rôles, par l’émergence de valeurs collectives et par le partage des normes » 339 . Mais nous formulons l’hypothèse que tout cela pourrait s’avérer n’être qu’un miroir aux alouettes car aucun pilote n’a le sentiment de faire partie d’une équipe de pilote, chacun a le sentiment que l’autre ne fait pas ce qu’il faut, chacun se méfie des autres et tout est fait pour que les actions à mettre en place ne viennent perturber l’organisation quotidienne de chacun. Quant aux normes et aux valeurs collectives, nous ne sommes pas des spécialistes de la question, mais nous n’avons pas été en mesure d’en repérer.

La recherche stipule également que « A force d’être ensemble, au fil du temps et au fil des mots, nous finissons par nous identifier à ce que nous produisons ensemble » 340  , mais qu’en est-il lorsque le groupe n’arrive pas à produire ou a le sentiment qu’il n’a pas réussi à produire parce qu’il n’a jamais de retour sur ses actions ou tout simplement parce qu’il ne va pas au bout des actions lancées ? Lorsque chacun témoigne des actions du groupe en parlant à la première personne du singulier et non celle du pluriel ? Lorsque soudain le « nous » existe parce qu’il faut parler des autres groupes et se comparer à « eux » et ce, allant jusqu’à développer une image positive du groupe auquel on appartient ?

Par ailleurs, s’il est approprié de soutenir que le travail de groupe possède en tant que formule pédagogique des vertus évidentes, il ne faut pas perdre de vue que l’apprentissage qui en résulte est toujours, lui, un acte ou un processus individualisé et singulier. C’est donc par exemple une erreur que de penser qu’une remarque faite à l’ensemble des participants les touche chacun de la même manière et même, est comprise de la même manière. « Dans le travail en équipe, l’effet de l’interpellation est toujours singulier même s’il conduit à une action collective » 341 . Lorsque des apprentissages ont lieu, ils n’ont pas toujours lieu au même moment et pour les mêmes personnes, ils sont d’ailleurs parfois différents en fonction « de là d’où l’on est », « de là d’où l’on vient », « de là où l’on va ». Compétences et expériences sont singulières.

Cependant, au-delà de ces quelques conclusions lapidaires, nous avons pu mettre en évidence l’existence de deux éléments favorables au développement des compétences : la possibilité de réfléchir le travail et le fait de pouvoir se retrouver entre pairs même si la parole n’est pas facile à prendre, même si les échanges ne sont pas toujours de véritables échanges. Nous soutenions d’ailleurs que le groupe de travail était un lieu de désenclavement et de décloisonnement du travail. Mais ces deux éléments ne caractérisent-ils pas la notion même d’expérience ? Nous avons ici les deux volets de l’expérience : son volet réflexif et son volet social sans lesquels l’expérience ne peut advenir.

On peut donc dire qu’à certaines conditions, le groupe de travail peut fonctionner comme un lieu de développement de l’expérience et donc de professionnalisation.

Notes
339.

LECLERC Chantal, op. cit p23

340.

LECLERC Chantal in « Comprendre les groupes », Presses Universitaires de Laval et Chronique Sociale 1999, p79

341.

PROULX Jean in « Le travail en équipe », Presses Universitaires du Québec 1999, p5