3.2.1. La dimension individuelle de la professionnalisation : La mise à distance et l’implication, à quelles conditions ?

Nous avions pu lister un certain nombre d’avantages cognitifs au fonctionnement des groupes. Ces avantages avaient été exprimés par les personnes interviewées à l’occasion des enquêtes monographiques. On peut dire qu’il s’agissait d’une vision macroscopique et désincarnée des groupes de travail. Les personnes étaient amenées à formuler des généralisations concernant leur ressenti, puisant des exemples de-ci, de-là mais sans pouvoir affirmer que cela se passait ainsi à chacune des réunions des groupes auxquels elles participaient.

Pour rappel, on trouvait parmi ces avantages cognitifs : la possibilité de faire avancer sa propre réflexion, d’enrichir ses points de vue, d’aller plus loin, d’avoir une ouverture sur la vision des autres, de se questionner, d’élargir ses champs de connaissances, de faire des découvertes, de faire un travail plus élaboré car le groupe a plus d’idées, est plus riche en ressources, de s’exprimer, d’exprimer ses idées, son point de vue, d’acquérir des méthodes de travail, de développer une culture organisationnelle.

Le suivi d’un de ces groupes de travail, le PAP Pilote en l’occurrence, nous a conduit à affiner ces « ressentis ». On peut dire qu’il s’agissait là d’une vision microscopique et incarnée d’un groupe de travail. Les premiers résultats n’allèrent pas dans le sens des avantages mis en évidence à l’occasion des enquêtes monographiques. Les interviews permirent avant tout de faire verbaliser des freins au travail ou au développement cognitif.

Nous avons vu que le travail cognitif est facilité par un travail de mise à distance du travail ou des problèmes du travail, mais aussi de situations non problématiques sur lesquelles il peut parfois être utile de s’arrêter. Les situations qualifiantes que nous avons évoquées en deuxième partie ne procèdent pas toutes de situations critiques. Si les situations événementielles sont par nature problématiques, les situations formatrices ne le sont pas systématiquement, ni celles de coopération pour ne citer que celles-ci.

Ce travail cognitif est également facilité par un investissement de soi dans le travail, un investissement affectif par l’engagement qu’il suppose. Nous avions pu le mettre en évidence à l’occasion de notre recherche monographique. De ce point de vue, nous allons dans le sens de Philippe Perrenoud (2001) 342 lorsqu’il déclare que le développement d’une posture et de pratiques réflexives plus étendues, constantes et instrumentées est la clé de la professionnalisation. Mais sans doute convient-il d’ajouter que la posture et la pratique réflexive ne sont pas au cœur de l’identité de nombre de métiers, même ceux de la formation… et que cela constitue un obstacle à leur développement. Rapports au savoir, à l’action, à la pensée sont à interroger, à réinterroger… Savoir réflexif, action réflexive, pensée réflexive participant de la construction d’un agir réflexif, de l’émergence d’un praticien réflexif !

  • La mise à distance dans le PAP, à quelles conditions ?

Si l’on travaille de manière concrète sur des problèmes critiques, qui ont du sens pour les participants et dont la résolution les concerne directement au quotidien. Les pilotes ressentent un besoin d’instrumentation de leur pratique et sont en attente d’outils, de décisions, d’actions qui pourront donner du sens à leur travail et leur permettre d’agir avec compétence.

Si l’on fait le point sur les actions mises en œuvre ou en cours. Les participants ont besoin de situer et évaluer leurs actions et le résultat de ces dernières, d’identifier les conséquences de leurs décisions, de repérer les éléments qui ont été facteurs de succès ou qui, au contraire, ont été gênants. Les personnes construisent alors elles-mêmes des éléments de changement concernant leurs activités professionnelles par l’analyse de leur travail

Si l’on fait le point sur les actions qui n’ont pu voir le jour ou qui ont été interrompues et que l’on en explicite les causes. Ils ont besoin de donner du sens à ce qu’ils vivent, positivement et négativement.

Si l’on retient l’idée que les biais cognitifs (ou erreurs de jugement) peuvent être évités si les personnes disposent des bonnes informations et en suffisance pour résoudre les problèmes qui leur sont posés. Dans le cas contraire les personnes réduisent la complexité des problèmes et sont conduites à des erreurs d’interprétation. Les informations peuvent venir à manquer parce que l’animateur n’a pu toutes les rassembler, parce que l’un des participants n’a pas pensé à « récupérer » l’information (ou ne souhaite pas en faire part) ou parce que les informations sont détenues par d’autres personnes, absentes au moment de la réunion.

Si l’on est amené à transformer ses façons de voir et de penser le travail au travers de la description de sa façon de travailler et de sa mise en question par la confrontation à celle des autres.

Si l’on fait d’un lieu de réunion, un lieu d’action, un lieu de résolution et/ou d’anticipation des problèmes.

Elle est rendue difficile lorsque :

  • L’apport d’informations s’effectue de manière unilatérale, sans discussion ou bidirectionnalité, sans réciprocité que cela soit en provenance de l’animateur, d’un invité ou d’un membre du groupe
  • Les points de vue s’expriment mais ne favorisent pas suffisamment leur argumentation et donc la capacité des participants à faire changer d’opinion un ou plusieurs membres du groupe.
  • Les points de vue s’expriment mais ne favorisent pas des raisonnements suffisamment poussés. On reste en surface des problèmes, on ne va pas au fond des choses.
  • Le style d’animation est autocratique ou expert comme nous l’avons évoqué dans notre développement et qu’il ne laisse pas de place aux échanges
  • Les représentations alternatives existent autour d’un même problème. Ce qui peut sembler un véritable problème pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre, ce qui a des conséquences en termes de mobilisation des pilotes.
  • L’implication, à quelles conditions ?

Si l’on s’investit réellement dans les actions, en devenant responsable de la bonne marche des choses sans toujours attribuer le fait que cela ne marche pas à un tiers

Si l’on valorise le travail effectué au sein du PAP mais aussi auprès des personnes amenées à travailler avec ou à côté des pilotes

Elle est rendue difficile lorsque :

  • Les membres du groupe participent au débat mais gardent leurs positions car le changement qui leur est demandé ne leur semble pas adéquat, justifié ou répondre au problème qui se pose à eux
  • Les membres du groupe participent au débat mais n’ont pas l’intention de changer parce qu’ils cherchent à préserver certaines marges de manœuvre qui renvoient à l’organisation informelle de l’atelier, ou parce que le changement aurait trop de conséquences sur leur organisation ou leurs contenus de travail
  • Les échanges deviennent stériles parce de toute façon « on n’y croit plus », « on ne voit jamais la suite de ce qu’on fait », « on n’a pas de retour ».

Les situations n’ont pas de sens pour les personnes. Elles ont besoin d’avoir le sentiment, voire la conviction, que le travail du groupe va servir à quelque-chose et qu’elles ont une part de responsabilité dans les décisions prises.

Notes
342.

PERRENOUD Philippe in « Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant », Paris, ESF 2001, p200