Le fonctionnement en groupe de travail est souvent l’occasion de développer des avantages socio-cognitifs. Ces avantages comme les avantages cognitifs ont été exprimés par les personnes interviewées à l’occasion des enquêtes monographiques ; comme eux ils ont une forme macroscopique et désincarnée des groupes de travail.
Pour rappel, on trouvait parmi ces avantages socio-cognitifs : La possibilité d’approfondir des idées au moyen de la confrontation avec celles des autres, de mesurer la richesse des angles d’analyse, de développer son esprit critique ou ses compétences en argumentation et analyse des problèmes, de découvrir de nouvelles façons de travailler, d’autres manières de faire, de fonctionner, d’apprendre à travailler en équipe, à coopérer, à collaborer, à élaborer des consensus à se construire des représentations communes…
Le suivi du PAP Pilote nous a également conduit à affiner ces « ressentis » et les interviews ont permis avant tout d’identifier des freins au travail ou au développement socio-cognitif.
Nous avons vu que le travail socio-cognitif est facilité par les situations favorisant les interactions entre les personnes et le sentiment d’appartenir à un groupe. Un certain nombre d’éléments favorisent la constitution d’un groupe et participent à la construction d’une culture partagée, d’une culture commune ou à des apprentissages collectifs ; d’autres sont inhibiteurs. Mais s’il convient de dire que la discussion en groupe ou le travail en groupe favorise le changement des représentations et par-là, le comportement de ses membres, nous avons pu repérer un certain nombre d’obstacles pouvant venir entraver ce processus.
Lorsque le groupe prend conscience de ses avancées à l’occasion d’actions collectives où chacun a le sentiment que chacun a participé positivement à leurs succès
Lorsque les actions décidées sont coordonnées et suivies permettant à chacun de se positionner et d’être impliqué
Lorsqu’il favorise la sympathie, la cohésion et non la méfiance ou l’antipathie, voire l’indifférence.
Lorsque les membres du groupe se solidarisent pour lutter contre une décision, une personne, voire un dispositif et ne laissent aucune place aux discussions
Lorsque l’on passe d’une dynamique d’autoformation à une dynamique d’hétéroformation reposant sur un processus de co-investissement, de co-mobilisation, de co-opération et de co-élaboration autour d’un projet commun durant et en dehors des temps formels du groupe de travail
Lorsqu’un référentiel commun s’élabore. Le référentiel commun peut se définir comme l’élaboration d’une représentation de référence. On parle aussi de « Référentiel opératif commun, de vue partagée, d’environnement cognitif mutuel, d’espace d’information commun ou encore de modèle mental partagé » 343 . Ce référentiel commun permet de guider l’activité au sens ergonomique des opérateurs dans la même direction et favorise la mise à disposition du groupe des compétences de chacun qui vont non pas se juxtaposer mais s’interpénétrer.
Si l’on se rend attentif à la faisabilité de toutes les actions (freins organisationnels, freins hiérarchiques) : importance de mobiliser l’ensemble des personnes concernées par les actions et desquelles peuvent dépendre la mise en œuvre ou le succès des actions (ex : cloisonnement des fonctions production et qualité, cloisonnement interne à l’atelier CE/pilotes, etc.). Certaines actions nécessitent la mobilisation d’un ensemble de personnes et donc un partage des responsabilités (la gestion des bacs bleus)…
Si l’on a des méthodes de travail qui permettent de mesurer l’avancée des résultats du groupe, d’impliquer chaque personne, et d’avoir un retour sur les propositions qui ont été faites (en termes de rejet ou d’adoption).
Si les méthodes de l’animateur privilégient les décisions « à la majorité » ou consensuelles en permettant aux pilotes d’avoir le sentiment de « sortir gagnant ». Ce sentiment de sortir gagnant favorise, semble-t-il, des attitudes coopératives ou tout du moins solidaires.
Elle est rendue difficile lorsque :
Un investissement inégal des pilotes se fait jour en fonction des problèmes traités et de l’intérêt qu’ils leur portent
Les échanges ne permettent pas la confrontation mutuelle parce que les participants préfèrent l’unanimité au débat. Cette préférence s’enracine dans des raisons qui leurs sont propres ou tout simplement parce que la réunion a commencé par « on essaie d’avoir fini dans une heure, OK ? » ou parce qu’on est là hors temps de travail et qu’on a d’autres projets pour la fin de l’après-midi.
La confiance mutuelle entre les membres du groupe n’est pas établie, que le groupe ne constitue pas un espace protégé dans lequel les choses peuvent se dire en toute sécurité.
Certains membres restent en retrait alors qu’ils sont détenteurs d’informations capitales pour participer à la résolution des problèmes posés ou au moins à leur compréhension
L’environnement relationnel ou le contexte socio-affectif n’est pas propice aux échanges parce que de nombreux abcès ne sont pas crevés, de nombreuses rancunes existent, voire de la jalousie ou des complexes d’infériorité… et ne permettent ni les interactions, ni la cohésion du groupe, ni la recherche de buts communs, ni la coopération, ni la collaboration dans l’élaboration des tâches collectives.
Le sentiment de ne pas former une équipe de pilotes est unanimement présent: le manque de confiance les uns envers les autres (se traduisant notamment par la peur de voir répéter ce que l’on dit sur son chef d’Equipe ou d’autres personnes), la difficulté à travailler ensemble en dehors des PAP, le rejet des responsabilités sur l’équipe du matin, de l’après-midi ou de la nuit, le sentiment de ne pas fournir les mêmes efforts de travail et de communication, ne militent pas en facteur de la construction d’une identité collective de groupe…
Les membres ne réussissent pas à coordonner leurs efforts vers la poursuite d’une cible commune
L’attrait de l’activité collective ou l’attrait de l’appartenance au groupe est insuffisante pour mobiliser les membres
Les échanges se réalisent de manière défensive et non fluide
Le groupe n’arrive pas à fonctionner au-delà du temps de la réunion
Les leviers d’action du groupe sont hors de sa portée
Le groupe de travail ne vise que la réalisation d’une tâche et non en simultané le progrès individuel de chacun de ses membres. Le critère d’efficacité du groupe étant le produit final qu’il est en mesure de présenter.
Les résolutions conjointes de problèmes sont peu fréquentes. Dans la plupart des cas, le nombre de problèmes à traiter à chacune des réunions amène l’animateur à « les partager » entre les participants. Chacun devient responsable d’une action et non co-responsables.
Enfin, lorsque les pilotes ont le sentiment de « ne pas exister », de ne pas être reconnus dans leur fonction et attributions. De ce fait ils voient mal comment les actions qu’ils conduisent dans le PAP peuvent être légitimes aux yeux de leurs chefs d’équipe ou du service qualité. Ils se vivent comme des acteurs d’interface entre la qualité et les CE, la qualité et les opérateurs, le magasin et les CE, le magasin et les opérateurs, les opérateurs et les chefs d’équipe… mais ne sont pas perçus comme tels.
Le fonctionnement du groupe que nous avons suivi et observé montre que l’expérience est tout à la fois une aventure individuelle et collective par laquelle l’individu prend forme et trouve sa forme. Une aventure qui peut conduire l’individu ou le collectif à vivre des changements de valeurs, de croyances, de représentations, de sentiments, de connaissances, d’habiletés, etc. qui sont la preuve d’un engagement de la personne dans toutes ses dimensions : cognitives, affectives, opératives...
Une aventure qui nous conduit également à mettre en évidence combien le sentiment d’appartenance à un groupe, à un collectif de travail, est déterminant pour laisser place aux apprentissages, au développement cognitif et socio-cognitif, pour se laisser une chance de prendre forme ou trouver sa forme, pour acquérir de l’expérience.
LEPLAT Jacques in « Compétences individuelles, compétences collectives », Communication à la journée de Psychologie du travail et d’Ergonomie en Rhône Alpes, 2001, p15