De notre point de vue s’intéresser non plus aux compétences en soi mais à l’expérience n’est pas sans conséquence à la fois sur le plan pratique et sur le plan théorique. Notre développement a pu introduire de la confusion dans les esprits car les développements théoriques autour des notions d’expérience et de compétences sont très proches et entretiennent une certaine ambiguïté. On pourrait se demander si parler d’expérience ou de compétences ne relèverait pas de la même chose… du même objet… La question n’est pas anodine !
Qu’est-ce qui en effet distingue l’une de l’autre ?
Cette proximité conceptuelle nous amène à introduire l’idée de niveau de la pratique. Plus le niveau de compétence est élevé, plus le niveau de la pratique est élevé et nous faisons l’hypothèse que plus le niveau de compétence est élevé, plus l’expérience est riche… Le niveau le plus bas de compétence que l’on puisse considérer est celui du faire, vient ensuite le savoir-faire. Ces deux niveaux ne nécessitent pas un détour par la pensée, ils sont dans le savoir exécuter, le savoir imiter ou reproduire. Par contre, le savoir agir se situe lui du côté du savoir comprendre, du savoir conceptualiser, du savoir transférer et donc, au regard de notre développement de l’expérience. Peut-être peut-on trouver là un point de rupture entre compétence et expérience… Mais si on associe l’idée d’expérience à l’idée de pratique, le faire et le savoir-faire relèvent comme le savoir agir, de pratiques ! Nous perdons alors de vue que l’expérience pour se constituer en tant que telle nécessite un détour par la pensée, que toute expérience ne fait pas expérience. L’expérience passe donc par la prise de conscience des composants de ses compétences.
Nous prenons alors le parti que plus le savoir agir sera important, plus l’expérience sera grande (au sens qualitatif bien entendu) et plus l’expérience sera grande, plus on peut penser que les individus auront pu se professionnaliser.
La savoir agir est ici à concevoir comme une capacité:
Nous pensons que le transfert n’est possible que parce que l’expérience se forme dans l’enchaînement des situations, parce qu’elle est productrice de savoirs au sens large.
L’expérience au contraire des compétences serait négociable ailleurs que sur son lieu de production. C’est en cela qu’elle intéresse l’ingénierie de professionnalisation. C’est sans doute aussi en cela qu’en en prenant conscience, les entreprises se montreront de moins en moins intéressées…
L’expérience est une voie d’élaboration et de transformation des compétences. « Elle affirme le caractère historique non seulement du sujet mais de l’apprentissage d’une double manière : en ce qu’il est situé dans le passé et en ce qu’il est affirmé comme le produit d’une histoire personnelle alors que la compétence se focalise sur la dimension pragmatique » 347 . Par ailleurs la notion d’expérience « Ne détaille pas le parcours et les moyens de construction de l’apprentissage qu’elle revendique mais en souligne la pertinence et l’efficacité » 348 .
Il ne s’agit donc plus de penser uniquement en termes d’ingénierie de formation mais en termes d’ingénierie de professionnalisation. Nous reviendrons sur ce qui peut les différencier et les rendre complémentaires.
S’agit-il de favoriser le développement d’une éthique professionnelle pouvant conduire à favoriser une évolution vers des formes organisationnelles jusqu’ici peu explorées ?
La notion de transfert est importante.Le transfert, c’est mettre à l’épreuve de la réalité, les leçons tirées de l’expérience. Le transfert est aussi un nouvel apprentissage car prenant forme dans une nouvelle combinaison de ressources. Il faut dans cette perspective que les individus soient capables d’apprendre des situations professionnelles au delà des besoins inhérents des situations rencontrées, qu’ils deviennent capables d’intervenir dans des situations plus ou moins familières, s’éloignant plus ou moins des situations habituelles.
ASTIER Philippe (Thése de doctorat, 2001) op. cit p49
ASTIER Philippe, ibid p50