B/ Le dépressif

a/ Pulsion de mort :

Ce narcissisme et ce rapport au corps pourraient peut-être s’articuler chez Aurélien comme chez Gilles à la présence d’une pulsion de mort qu’exprimerait leur goût certain pour la destruction ou l’autodestruction.

Car Aurélien semble la proie d’une sorte d’instinct morbide l’attirant tout particulièrement vers ce qui touche à la mort.

Cette fascination s’exprime de manière peu significative a priori, au travers d’une tendance du jeune homme à ce que l’on pourrait qualifier d’ « auto-pétrification » ; tendance visible à cinq reprises et toujours liée à Bérénice :

A l’issue de leur premier tête-à-tête, alors même qu’Aurélien est comme empli de sa présence en lui, ‘« (…)comme cette statue de Condillac qui n’avait encore de sens que l’odorat était tout entière odeur de rose, lui(…)est odeur de foin coupé, et rien d’autre… »’ (A, p. 223). Aurélien se fait ici le disciple de cet auteur, en 1755, du Traité des sensations. (Dans ce dernier, Condillac admet uniquement les sensations comme source de toutes nos idées, jugements et raisonnements et considère le psychisme comme la succession et la transformation de nos sensations.)

On a vu qu’Aurélien est également saisi d’un « engourdissement » lorsqu’il acquiert la certitude d’être aimé de Bérénice et que cette privation de sensation l’empêche d’ « imaginer les développements de l’amour partagé. »

On a vu encore que la toute première fois qu’il la tient dans ses bras, il s’imagine être « une statue de pierre », pétrification qui s’empare de lui au sens plein du terme : il demeure figé et se sent devenir « pierre », matière la plus inamovible, la plus inaltérable qui soit.

On relève encore qu’au début du premier chapitre, Césarée semble à Aurélien «(…)une ville de pierre (…) » (A, p. 28) et que lorsque Bérénice le quitte, le personnage, désespéré, envisage de devenir « (…)casseur de pierres(…) » (A, p. 575). (Et, dans cette thématique de la pierre et de la fixité, il faut redire l’attachement quasi névrotique de son esprit aux «  statues de Diane » de l’incipit.)

Lorsqu’il retrouve Bérénice à Giverny, à l’instant où elle disparaît il est « (…)immobilisé(…) » (A, p. 532) et Rose lui demande ce qui l’a «(…) changé en statue de sel » (A, p. 533)

Enfin, à l’épilogue, lorsque dans la voiture, il étreint la jeune femme, il ne ressent qu’ «(…) une crampe dans son bras autour des épaules de Bérénice. » (A, p. 694 )

De surcroît, au premier chapitre les traits du visage de cette dernière sont, par le regard d’Aurélien sur eux, soumis à la même pétrification :

‘« Ce qui leur donnait quelque unité, c’était purement ce lisse des méplats, cette obliquité des joues où la lumière frisante atteignait un dessin parfait, mais bizarre, comme si le sculpteur se fût passionné aux joues, au fini des joues ; et cela au mépris de tout le reste. » (A, p. 32)’

Le regard du jeune homme pétrifie également Rose à plus d’une reprise :

‘_ « Il savait qui elle était cette dernière venue dans sa robe de velours vert d’eau(…)avec ses plis tout autour de la taille, tout de suite lâchés et allant se briser aux chevilles comme la pierre des statues. » (A, p. 70)

_ « (…)toute la statue s’anima par frissons(…)La statue se serrait dans ses

propres bras.
 » (A, p. 79)

_ «Il était sensible(…)à la femme debout devant lui, à ce sens prodigieux de l’immobilité (…) »

_ « Le visage presque immobile de Rose. Sans âge comme l’amour. Cette statue sortie des doigts habiles du masseur. » (A, p. 82) ’

Et il pétrifie de sa seule présence les deux filles d’Edmond :

‘« Les deux petites qui riaient et babillaient se figèrent à la vue d’Aurélien. » (A, p. 161)’

Par ailleurs, si l’on se souvient combien le regard de Bérénice est une composante essentielle de sa relation avec Aurélien, on peut penser, à l’instar de Carine Trévisan que ‘« les yeux noirs de Bérénice(…)pétrifient Aurélien comme le regard de la Méduse. ’ ‘ 144 ’ ‘»’On trouve ici une double occurrence mortifère : d’une part les yeux de Bérénice sont noirs, de la couleur emblématique du deuil dans la culture occidentale, d’autre part le regard de la Méduse est doté d’un pouvoir non seulement pétrificateur mais aussi meurtrier. (Peut-être est-ce une raison inconsciente de l’attirance d’Aurélien pour l’absence de regard de l’Inconnue et pour les yeux fermés de Bérénice : leur regard voilé annihile le danger du regard de la Méduse. )

Dans Le masque et le miroir, essai d’anthropologie des revêtements faciaux, Jean-Thierry Maertens écrit : ‘« Pas plus qu’il n’est parole(…)le masque n’est regard(…)ses yeux fixes ou exorbités(…)restent absents comme s’il fallait la cécité pour devenir voyant de l’autre. ’ ‘ 145 ’ ‘»’

Ainsi, l’étrange immobilisme dont est à maintes reprises frappé Aurélien, semble exprimer son impossibilité d’évoluer, de s’épanouir. On a vu qu’il fuit invariablement le sentiment amoureux, et la jalousie à l’égard de Lucien. Si, comme l’observe Barthes, ‘« être jaloux est conforme. Refuser la jalousie, c’est donc transgresser une loi ’ ‘ 146 ’ ‘»’, Aurélien, alors, « transgresse » ou tout au moins bouscule un ordre établi qui fait de la jalousie l’inévitable corollaire du sentiment amoureux.

Par conséquent, il est possible de voir dans cette systématique insensibilité volontaire d’Aurélien, un désir de se vider lui-même de toute trace de vie. En se refusant à tout sentiment, il s’avance vers sa propre mort.

On peut se souvenir à cet égard qu’au Lulli’s, lieu de prédilection d’Aurélien et lieu comparé à un «(…) enfer(…) » (A, p. 221), dans ce lieu, « (…)le temps était uniforme(…) » (A, p. 109) à l’image de l’immobilisme, de la fixité temporelle attribuée à l’au-delà. Le personnage est ainsi pris d’une sorte de volonté d’auto-négation contrecarrant toute ébauche de sentiment, toute prise de décision, tout ce qui ferait de lui un individu assumant sa propre existence et sa propre identité. Sans cesse s’exprime en lui la tentation de se réfugier dans une stagnation temporelle, sensorielle et émotionnelle proche de celle de la mort.

Son goût pour l’univers funèbre est manifeste dès les toutes premières lignes du roman, lorsque dans ses sombres rêveries, ‘« Aurélien voyait des chiens s’enfuir derrière des colonnes, surpris à dépecer une charogne. »’ (A, p. 28)

Et, celle qui pourrait témoigner de cette obsession est évidemment l’Inconnue, dont le visage de plâtre, le visage mort, apparaît comme son idéal féminin. Ainsi que le constate Bérénice :

‘« Cette femme…sa force est d’être morte… » (A, p. 311)’

Par ailleurs, Carine Trévisan relève que la fascination d’Aurélien procède d’une double occurrence car ‘« le masque est pris sur un cadavre, ce qui redouble les signes de la mort. ’ ‘ 147 ’ ‘»’ Et, on peut observer qu’à diverses occasions, Aurélien se fait inconsciemment le double de l’Inconnue : en effet, lors du bal des Valmondois, il porte «(…) un masque d’or(…) » (A, p. 558) et il est alors « (…)sans visage », et à trois reprises dans le roman, son apparence physique subit des modifications qui lui confèrent le ressenti et l’aspect proches de ceux d’un agonisant :

‘_ « Son visage portait une expression intense de malaise, il avait subitement vieilli, et malgré le froid, il suait manifestement. Le teint avait foncé, et c’était comme s’il eût mis, ou plutôt laissé tomber un masque. De petites rides autour des yeux. La bouche à demi ouverte, la respiration difficile. [Mary] lui avait pris la main, qui était glacée et mouillée. Elle le sentit frissonner. » (A, p. 98 )

_ « Il sentit le froid lui grimper des chevilles aux genoux. » (A, p. 382 )

_ « Qu’est-ce que c’était que cet air de l’autre monde  ? De petites fibrilles rouges dans la conjonctive, les paupières violettes, les tempes suantes. Il mit de la poudre, ce qu’il ne faisait jamais. » (A, p. 403 ). (Ce geste de se poudrer le visage pourrait d’ailleurs rappeler dans ce contexte un geste de toilette de cadavre.)’

Il faut surtout remarquer dans la première de ces trois occurrences qu’ayant «subitement vieilli », le visage d’Aurélien en un instant dissemble à lui-même, à cet Aurélien de trente-deux ans, et devient physiquement l’Aurélien qu’il doit devenir, comme si la maladie devenait lieu de passage vers la maturité en opérant sur le visage du personnage ce vieillissement ; elle oriente donc Aurélien, à son corps défendant, vers cet avenir qu’il a tant de difficulté à appréhender.

On peut remarquer encore dans cette occurrence, qu’alors que les deux masques mortuaires et le visage de Bérénice au moment de sa mort arborent un sourire et se font l’allégorie d’une perception heureuse de la mort, chez Aurélien dans cette scène la mort est souffrance. D’autre part, il est également frappant de constater que la focalisation externe du narrateur affirmant qu’en tombant malade, Aurélien aurait « (…)laissé tomber un masque » semble induire que c’est dans la souffrance et les prémices de la mort que le personnage acquiert sa véritable identité. Dès lors, on pourrait considérer que, chez Aurélien, la maladie et la mort apparaissent révélatrices de l’intériorité du sujet dans son authenticité.

Et, dans la première et la troisième de ces occurrences, en une sorte de métaphore filée d’un personnage à l’autre, l’attention du narrateur se fixe sur les yeux, le regard, mais il s’agit cette fois des yeux d’Aurélien, non plus de ceux de Bérénice ; et la différence dans l’appréhension de ce regard est très nette : le regard troublant, recelant une beauté mystérieuse, de Bérénice est chez Aurélien, modifié, comme enlaidi par ces « petites rides(…)» qui l’entourent et qui symbolisent le déclin physiologique ou par ces « petites fibrilles rouges(…)» ou «(…)les paupières violettes(…) » qui indiquent là aussi l’affaiblissement physique dû à la maladie. (Il est frappant de constater à cet égard sur le plan structurel, deux échos d’un personnage à l’autre comme si le texte lui-même unissait Aurélien et Bérénice : en effet « les paupières violettes » d’Aurélien rappellent les paupières «(…) mauves(…) » (A, p. 33) de Bérénice observées par Aurélien à l’incipit et ses « tempes suantes » rappellent la « fine sueur aux tempes » qu’il observe sur le visage de la jeune femme dans l’épisode de Giverny. )

Ainsi, tout au long du roman les yeux de Bérénice constituent l’espace même où s’exprime son individualité, tandis qu’à l’inverse, dans ces scènes exprimant son malaise physique, le regard d’Aurélien se fait comme vitreux, opaque, rien ne s’y inscrit, rien ne s’y lit ; la métaphore immémoriale du regard comme fenêtre de l’âme est ici infirmée.

Ce reflet sur un visage de l’apparence mortifère se retrouve dans Le feu follet, chez le personnage d’Alain dont le narrateur nous dit au début du roman que son visage est ‘« (…)un beau masque mais un masque de cire »’ 148 et, plus loin, que, sur ce visage, ‘« (…)le moindre rictus, la moindre grimace faisait reparaître ces terribles creusements, ces terribles décharnements qui avaient commencé, un an ou deux auparavant, de sculpter un masque funéraire à même sa substance de vivant. »’ ‘ 149

Il est frappant de constater que cette métaphore employée par Drieu selon laquelle la drogue ‘«(…) sculpte un masque funéraire à même[la]substance de vivant »’ d’Alain offre comme une sorte d’écho intertextuel à l’expérience macabre de Bérénice consistant à accepter que son visage serve de modèle, d’empreinte à un symbole de mort, l’inexpressivité de ce masque étant là aussi ‘« sculptée à même sa substance de vivant »’. Dans ces deux cas la vie du sujet est comme à l’origine de sa mort.

Par ailleurs, dans Aurélien, par le biais du masque de l’Inconnue celui-ci se réfugie dans une vision de l’amour épurée de toute connotation charnelle mais par là même, il prouve aussi qu’en lui toute pulsion libidinale est définitivement et intimement liée à une pulsion nécrophile. L’éventualité d’une fusion érotique s’inscrit tant dans le domaine mortuaire que dans le domaine fantasmatique ; ce qui dénote d’ailleurs en Aurélien une volonté ambiguë de la faire durer pour l’éternité tout autant que de la refuser, de s’y refuser.

Il est frappant de constater que dans Le Songe, Alban lui aussi possède dans sa chambre le masque d’un visage féminin : ‘« (…)suspendu dans l’air, vrai spectre d’un monde refroidi, un diaphane visage féminin, resplendissant d’une mystérieuse blondeur qui rendait l’ombre à ses bords translucides : le marbre(…)mousseux comme la mousse de bière, pailleté(…) ’ ‘ 150 ’ ‘»’

Dans Aurélien, le sentiment qui rattache le personnage à une femme morte le relie par là-même à une femme-objet, ce qui participe du même instinct pétrificateur d’un refus de la femme réelle, celle que représente Bérénice et qui détruit ses certitudes. Ainsi Aurélien ‘« (…)ne brûle de désir que pour une image qui exclut la femme vivante. ’ ‘ 151 ’ ‘»’ Son attachement est du même ordre pour le masque mortuaire de Bérénice. Il ‘« (…)devient un substitut de sa présence, au lieu de rester ce qu’il est en toute rigueur, un défaut de la présence. ’ ‘ 152 ’ ‘»’

Ce moulage atteste également qu’Aurélien ne cesse de voir en Bérénice une morte. Le jeune homme se situe alors à contre-courant d’une pratique rapportée par Philippe Ariès selon laquelle ‘« [par]la prise de masque après la mort(…)on cherche à sauver du naufrage quelques choses qui expriment une individualité incorruptible, et en particulier le visage, secret de la personnalité. (…)Reproduire le visage du mort fut d’abord le meilleur moyen de faire vivant. »’ 153

Il convient d’évoquer alors la figure fantomatique de l’épouse du pharmacien que va voir Aurélien au début du roman ; le jeune homme qui ‘« (…)voulait seulement se faire confirmer que la femme du pharmacien habitait bien la maison »’ (A, p. 148), s’entend dire que cette dernière est morte. Cet épisode semble constituer l’annonce allégorique de la mort de Bérénice, elle aussi épouse de pharmacien.

La première fois qu’il l’aperçoit, Aurélien ne semble se la représenter que sous un aspect quasi spectral :

‘« (…)ce corps devait être formé, devait vivre. Mais comment ? » (A, p. 33)’

Son interrogation exprime la représentation qui s’impose à lui d’un «(…)corps(…)»immatériel, dénué de la moindre énergie proprement physiologique.

Plusieurs chapitres plus loin, c’est d’une admiration malsaine qu’Aurélien témoigne, dans l’identification qu’il établit entre Bérénice et l’Inconnue ; admiration à travers laquelle l’apparence de Bérénice revêt aux yeux d’Aurélien une dimension nettement cadavérique :

‘« (…)ses yeux rencontrèrent le masque(…)Cette fois, c’était vraiment Bérénice(… quand le sang sous une émotion disparaissait de ses joues. Quelle peau merveilleuse elle a ! Transparente, vivante, si vivante qu’elle fait penser à la mort... » (A, p. 238)’

On peut trouver quelque explication à la réaction d’Aurélien chez Jean Rousset :

‘« (…)éblouissement et stupeur habituels à première vue ; ce qui est différent ici, c’est qu’il y a deux premières vues, que le héros juxtapose dans son esprit et met mentalement en comparaison ; il en résulte une reconnaissance ; le visage apparu ressemble au [masque.] » 154

Jean-Thierry Maertens confirme cette analyse en expliquant que le système sauvage ‘« (…)annule l’individualité du porteur derrière le masque. (…)victoire de l’Autre sur un moi labile(…)le masque ancestral sauvage réintègre dans le social les traits hagards de la mort. ’ ‘ 155 ’ ‘(…)Le masque n’est alors rien d’autre qu’un miroir et la mort un passage du pareil au même(…)’ ‘ 156 ’ ‘La recherche d’un masque le plus ressemblant possible édulcore en quelque sorte la distance de la mort(…) ’ ‘ 157 ’ ‘»’

Il est surtout troublant de constater cette étrange association de termes (« vivante/morte ») qui fait une équivalence d’une contradiction a priori irréductible. Cela tendrait à indiquer que la personnalité d’Aurélien obéit à une sorte de logique perverse (au sens propre) qui le conduit à inverser les conceptions communément admises sur la mort et la vie : le merveilleux se situe pour lui dans la première, non dans la seconde.

Il est à noter que c’est l’une des rares occurrences qui montrent Aurélien séduit par le physique de Bérénice : lorsqu’elle offre l’apparence d’une morte. Et il faut relever que son regard s’arrête ici sur les « joues » de la jeune femme comme il s’était arrêté à l’incipit sur ‘« (…)cette obliquité des joues où la lumière frisante atteignait un dessin parfait(…)»’. Carine Trévisan observe ainsi que le visage de Bérénice « (…)atteint sa suprême perfection dans la mort.  158 »

L’émerveillement d’Aurélien s’exprime encore dans la comparaison qu’il instaure entre les deux masques ; dès lors, le personnage semble bel et bien manifester sa volonté inconsciente d’inscrire Bérénice sous le signe de la mort :

‘« Oh, qu’elle était plus belle que l’Inconnue, qu’elle était plus terrible, plus terriblement inconnue, Bérénice, vivante et morte, absente et présente, enfin vraie. » (A, p. 388)’

Ainsi, ‘« ce qui est vu pour la première fois avec les marques ordinaires de la découverte, de la nouvelle naissance, c’est celle qui est là, déjà rencontrée, c’est le visage caché sous l’apparence altérée. ’ ‘ 159 ’ ‘»’ Et Bérénice n’est pas seulement dotée ici d’une séduction certaine, elle paraît aussi «(…)vraie(…)» et «(…)présente(…)» comme si, paradoxalement, ce qui la révélait ne pouvait être que la disparition de son âme. (Ceci rappelle les toutes dernières lignes du roman, lorsque dans la voiture, « Aurélien vit tout de suite qu’elle était morte » (A, p. 697) alors qu’on sait qu’il ne la voit jamais pour elle-même tant qu’elle est vivante.) On peut se souvenir également ici de l’intervention du narrateur que l’on a évoquée à propos du fait qu’en tombant malade, Aurélien aurait « laissé tomber un masque » comme s’il était révélé lui aussi par l’intense mal-être physique dû à la maladie.

En outre, lorsque le personnage est confronté au masque de Bérénice, «(…)enfin(…)»le fantasme et la réalité coïncident. A cet instant, Aurélien est comme pénétré d’une sorte de ferveur (traduite par l’interjection initiale) face à cette rencontre qu’il n’attendait pas. Sans doute, ‘« son caractère exaltant vient du fait que le prototype inconscient de l’être recherché trouve soudain son objet correspondant dans la réalité présente. ’ ‘ 160 ’ ‘»’ Mais tandis qu’il en va ainsi pour toute rencontre amoureuse, il semble que cette dernière ne soit qu’un prétexte à Aurélien pour justifier son attirance malsaine pour une morte, au lieu d’être l’occasion d’instaurer un renouveau avec un être fait de chair et de sang. Enfin, la réaction admirative d’Aurélien n’est sans doute pas exempte de crainte ; répulsion logique puisqu’il est en face du masque mortuaire de la femme aimée, mais répulsion qu’il ne ressent jamais pour l’Inconnue.

Ainsi, pour la première fois, le lecteur a le sentiment que cesse la prééminence affirmée de cette dernière dans le cœur d’Aurélien et qu’une chance de triompher de sa lugubre rivale est donnée à Bérénice. Mais il semble qu’elle doive, en quelque sorte, payer ce triomphe de sa vie. Car il est encore possible d’interpréter chez Aurélien le désir inconscient de la soumettre à son obsession, dans la vision qu’il a d’elle lors de la soirée chez Mary.

Ce soir-là, Bérénice porte ‘«(…)une jolie robe, noire dans le bas, avec un dessin de raies blanches de plus en plus larges en montant, comme des halos autour d’une pierre jetée dans l’eau(…) »’. (A, p. 63) Il conçoit, semble-t-il, sa robe (noire, couleur de mort) comme le vêtement d’un condamné à mort : ne voit-il pas la jeune femme (autre forme de pétrification) comme «(…)une pierre jetée dans l’eau » ?

De surcroît, lorsque, plusieurs chapitres plus loin, il réfléchit aux sentiments de Bérénice pour lui, ne songe-t-il pas à elle comme à « (…)quelqu’un qui se noie(…) » ? (A, p. 321) On pourrait alors croire qu’il la condamne, sur le mode fantasmatique, à la mort par noyade, incitant le lecteur à voir Bérénice ainsi représentée une réminiscence de la figure d’Ophélie. En effet, cette vision sépulcrale de la femme aimée rejoint précisément ici ce qui apparaît comme l’autre facette de l’obsession d’Aurélien, à savoir son vif attrait pour l’eau et son étrange idée fixe concernant la mort par noyade. A cet égard, il convient de rappeler avec Carine Trévisan que ‘« cette tentation nécrophile qui fait de la femme réelle et vivante une sorte de poupée inerte et frigide, participe du narcissisme. Ce serait ainsi l’incapacité du personnage(…)à capter un autre visage que le sien qui entraînerait ultimement la ‘‘noyade’’ d’Aurélien, écho de celle de Narcisse. Narcisse qui meurt de ne pas pouvoir rencontrer un autre que lui-même(…) ’ ‘ 161 ’ ‘»’

(Nous ouvrons ici une manière de parenthèse afin d’évoquer ce qui nous semble unir la vision de l’idéal féminin d’Aurélien et celle de l’Alain de Philippe Barrès, idéal commun sous bien des aspects :

Edith, la femme aimée d’Alain lui apparaît pour la première fois ‘« dans un salon élégant et cosmopolite(…)où[il s’était]égaré comme un primitif honnête(…)égarée, elle aussi, comme une fleur étrangère ’ ‘ 162 ’ ‘»’, rappelant la fraîche et candide Bérénice apparaissant comme presque incongrue aux yeux d’un Aurélien désabusé, parmi les jouisseurs emplissant le salon cossu de la mondaine Mary de Perceval ; la figure «(…) toute pâle(…) 163 », le « (…)visage menu, presque exsangue(…) 164 » d’Edith, rappelle le « (…) teint pâle, comme si le sang n’eût pas circulé sous la peau » (A, p. 32) de Bérénice ; ses «(…)traits mobiles(…)» qui à cet instant «(…)se sont posés comme chez le photographe  165 » rappellent les traits de Bérénice comme paralysés par le modelage du «(…)sculpteur(…)» ; Edith est vue par Alain comme un «(…)petit animal(…) 166 » tout comme on a dit que Bérénice est plusieurs fois comparée à un animal par Aurélien ; Bérénice est « l’Inconnue » pour Aurélien tandis qu’Edith est pour Alain « la sylphide inconnue(…)tant imaginée(…) 167 », un «(…) idéal étrange(…) 168 » auquel il a « (…) rêvé 169 », une «(…) fée 170 (…) », éveillant en lui «(…) la plus vive curiosité romanesque  171 », «(…) une jeune chimère(…) 172 » ; Bérénice suscite l’intérêt d’Aurélien parce qu’elle porte le prénom d’une femme à la fois reine orientale et héroïne de tragédie et Edith est pour Alain l’incarnation ou la réminiscence, tout à la fois de « la reine Edith  173 », princesse anglaise du Xeme siècle devenue sainte, d’« Ophélie 174  », de « Juliette  175 », héroïnes tragiques ; enfin, Edith est comparée par Alain à une « nixe  176 », nymphe des eaux dans les légendes germaniques, comparaison unissant Edith et Bérénice au sein de la thématique aquatique que nous étudions dans Aurélien.)

Une première occurrence établit Aurélien comme vivant, si l’on peut dire, au cœur même de sa hantise puisque l’immeuble qu’il habite se trouve « (…)au pli du coude du fleuve, dans son M veineux… » (A, p. 97), proximité qui mêle l’eau et la métaphore du suicide. (Il est à noter que les images du coude et de l’eau fusionnent à nouveau dans l’épisode de la piscine décrite comme ‘« (…)un boyau d’eau verte(…)faisant sur le côté un coude(…) »’. (A, p. 179-180 ))

C’est également la Seine qui s’allie à la mort par suicide dans l’imaginaire d’Aurélien lorsque ‘« (…)ses yeux, circulairement, revinrent à ce grand fossé noir, en bas. La Seine, qui charriait des boues glaciaires, et des noyés. »’ (A, p. 316)

Cette fascination pour l’eau était déjà latente dans l’épisode qui le montrait livré si fiévreusement à sa toilette :

‘« Il regarde avec désapprobation ses ongles douteux. De l’eau, de l’eau ! (…)Avec une rage minutieuse, il se mit à nettoyer ce corps qu’il n’avait pas choisi. Il pouvait vraiment passer des heures à cet exercice(…)Tout dépendait de la propreté d’un carré de peau. Le gant de crin ne suffisait qu’à(…)préparer ce massage au savon(…)ces soins passionnés par lesquels il se traitait(…)comme un de ces objets que les maniaques astiquent avec une vanité puérile. »’

Ce rapport à l’eau constitué d’une grande violence réapparaît au chapitre de l’absolu, concept qui, selon le narrateur ‘« (…)mènera par une voie étrange la ménagère à l’asile de fous, à force de propreté, par l’obstination de polir, de nettoyer, qu’elle mettra sur un carreau de sa cuisine, jamais parfait(…) »’ (A, p. 303). Cet excessif attachement à la propreté trouve un écho lorsque Aurélien, pour tenter de soulager sa frustration d’être séparé de Bérénice trouve refuge dans cette même pathétique frénésie qui le fait nettoyer d’abord son appartement puis à nouveau son corps :

‘_ « Maladivement, toute la journée, il nettoyait ses deux pièces, la cuisine, la salle de bains. Quand on s’y met(…)tout a besoin d’un nettoyage attentif(…)et on apporte à ce travail le soin, la suspicion qu’on a certains jours devant son propre corps. On peut frotter sans fin(…)Cela touche à la folie(…) » (A, p. 381)

_ « (…)il eut l’impression d’être sale, se lava les dents, les mains, sans chasser cette idée absurde, se déshabilla et se flanqua sous la douche. » (A, p. 393 )’

Ces quatre occurrences se répondent et, eu égard au vocabulaire employé (« maniaque », « asile de fous », « maladivement », « folie », « absurde »), attestent de la présence d’un trouble pathologique chez le personnage dans sa relation à l’eau. (Remarquons de surcroît dans les première et troisième occurrences la même tendance d’Aurélien à la chosification qu’on avait pu observer dans sa fascination pour les statues puisqu’ « (…)il se traitait comme « (…)un(…)objet » et voue la même attention au nettoyage de son appartement qu’à celui de «(…)son propre corps. »)

Le trouble que nous qualifions de pathologique n’est pas sans évoquer particulièrement dans la quatrième occurrence, une affection que la psychiatrie moderne reconnaît sous le nom de trouble obsessionnel compulsif ; d’autre part il peut être associé à une pulsion nécrophile si l’on s’appuie sur la définition du mot « toilette » trouvée par Barthes dans le Littré :

‘« Ce mot désigne(…)les apprêts auxquels on soumet le condamné à mort avant de le conduire à l’échafaud. »’

Et Barthes ajoute :

‘« C’est comme si au bout de toute toilette, il y avait le corps tué, enjolivé, vernissé, embaumé à la façon d’une victime.  177 »’

Cette pulsion serait donc bien présente chez Aurélien, que l’on entende le mot « toilette » au sens hygiénique ou vestimentaire (souvenons-nous ici du soin extrême que prend le personnage de sa mise.)

Et, nous pouvons ajouter pour évoquer son rapport à l’eau, que nous trouvons chez Bachelard une analyse des liens de l’eau et de la mort, qui nous semble illustrer le comportement d’Aurélien :

‘« L’imagination du malheur et de la mort trouve dans la matière de l’eau une image matérielle particulièrement puissante et naturelle. Ainsi, pour certaines âmes, l’eau tient vraiment la mort dans sa substance. Elle communique une rêverie où l’horreur est lente et tranquille(…)Pour certains rêveurs, l’eau est le cosmos de la mort. (…)Près d’elle, tout incline à la mort(…)On ne se guérit jamais d’avoir rêvé près d’une eau dormante.  178 »’

L’eau dormante d’Aurélien est la Seine ; sa fascination pour l’eau lui est aisée à satisfaire puisqu’il est en « relation » quasi permanente avec le fleuve dont la figure apparaît souvent dans le roman, au point de devenir presque personnage à part entière. Dès le début, les rapports qu’Aurélien entretient avec la Seine sont évoqués par le jeune homme lui-même :

‘« (…)ça me trouble…de penser que je suis ici à l’M veineux de la Seine(…)Ce qui me bouleverse, c’est de devoir maintenant…pour me conformer à cette image de l’M veineux(…)me représenter le sens, continuellement, de cette eau qui coule, de ce sang bleu, devant moi(…) » (A, p. 97)’

Il est frappant de constater que la Seine le «(…)trouble (…) », le « (…)bouleverse(…)», parvient à provoquer en lui des émotions dont on a vu qu’il n’est guère capable devant une femme ; on constate par le regard du personnage, une sorte de féminisation de la Seine.

Mais les évocations macabres se mêlent aux évocations amoureuses par l’allusion au «(…)sang bleu(…)» : le premier terme est étroitement associé à la mort, le second rappelle la couleur que prend un cadavre de noyé dont le sang se fige.

Car dans l’esprit d’Aurélien, la représentation de la mort est indissociable, on l’a dit, de celle de la noyade ; image qui est aussi intimement liée à sa vision de la Seine.

‘« (…)ses yeux, circulairement, revinrent à ce grand fossé, noir en bas. La Seine, qui charriait des boues glaciaires, et des noyés. »’

Ainsi, « la Seine(…)est donc présentée comme une enveloppe liquide presque fatalement mortifère.  179 » Et il faut noter que cet imaginaire mortifère est également celui qui caractérise, pour Aurélien, le Danube et la Tamise :

‘_ « Bizarre qu’il se sentît si peu un vainqueur. Peut-être(…)d’avoir vu Vienne à cet instant quand le Danube charriait des suicides(…) » (A, p. 29)

_ « La valse baignait la salle. Une valse qu’Aurélien(…)avait dansée de night-club en night-club avec cette amie d’alors, qui s’était noyée dans la Tamise une nuit. (…)Il ferma les yeux. Mais il ne revoyait pas Londres, il pensait à la Seine autour de l’île… » (A, p. 121)’

Mais Aurélien associe encore plus intensément l’image de l’eau et de la noyade à celle de Bérénice. Pour lui, ‘« l’image synthétique de l’eau, de la femme et de la mort ne peut pas se disperser. ’ ‘ 180 ’ ‘»’

Une première occurrence unissant l’attirance pour l’eau à la femme aimée a lieu dans l’épisode déjà cité de la piscine :

‘« L’autre fois, il était venu à cette eau tiède pour y fuir l’image de Bérénice, mais il l’y avait retrouvée, attachante, imperdable. Il s’était abandonné à elle, vaincu. Bérénice mêlée à la caresse de l’eau(…)Cette fois, il était venu avec l’idée de la retrouver(…)Il se retourna, nageant, comme on fait dans un lit dormant avec une femme ; et dans cet enroulement d’un corps d’homme et d’une image, elle le suivit comme fait la femme, inconsciente, qui épouse la courbe du dormeur. »’

On peut donc noter que l’eau inspire particulièrement Aurélien puisqu’on a dit que sur la terre ferme il est incapable de se décider à esquisser les gestes ou prononcer les mots décisifs. Au contact de l’eau, il semble acquérir toute l’assurance lui permettant de vivre une relation amoureuse dans sa plénitude et non plus seulement sur un mode craintif et idéalisé. (On peut également observer qu’une réconciliation avec son propre corps s’opère lors d’un passage dans lequel le personnage prend une douche :

‘« Oh, cette pluie chaude et froide à volonté, ce printemps dans les rideaux de caoutchouc(…)Il retrouvait enfin l’aisance et la jeunesse de son corps. Il faisait durer ce plaisir. » (A, p. 350))’

En ce qui concerne la scène de la piscine, il s’agit de l’unique occurrence amoureuse sur laquelle ne règne pas de manière explicite une atmosphère morbide, voire macabre.

Car, lors de la scène de l’Opéra, à l’instant où Aurélien prend la pleine mesure de ses tendres sentiments, ces pensées pour le moins sinistres le traversent :

‘« Il n’avait même pas pour elle un grand entraînement(…)Non. C’était comme la faim, une faim négative, un manque atroce, un désespoir(…)Il se répéta qu’il était encore temps de se ressaisir. Il sut au même instant qu’il n’en était plus rien. Il eut peur. Il se sentit tomber. Des idées ébauchées où il cherchait à démêler les principes physiques de la chute des corps(…)se croisèrent dans sa tête comme des algues autour des yeux d’un noyé. Il se dit : ‘‘Encore les noyés, je ne peux pas me débarrasser des noyés maintenant.’’ La musique sentimentale d’une romance se mêla à ses hantises : la Seine, le masque blanc, l’ombre des eaux vertes sur son visage en plongée et le bruit des chalands qui s’en vont sur le fleuve. » (A, p. 202-203)’

Ainsi, même le moment de la rencontre amoureuse est marqué par la persistance d’une véritable obsession.

C’est également le cas d’Edmond dans Les beaux quartiers, dans sa manière de ressentir sa relation avec Carlotta :

‘_ « Il fut comme un noyé qui s’entortille dans les herbes. » 181

_ « Le jeune homme sentait dans ses jambes l’étreinte des jambes de sa compagne, et il lui sembla qu’il était un plongeur pris par mégarde aux membres enlaçants d’une noyée. Une idée du corail, et la peur du varech, régnaient sur tout cela. » 182

Il est troublant de constater qu’au cœur de cette dimension mortifère conférée au sentiment amoureux, la femme est une sorte d’élément conducteur de l’effroi et des idées macabres qui s’emparent des deux personnages ; la femme apparaît comme un piège meurtrier, particulièrement pour Edmond. Et, pour ce dernier comme pour Aurélien l’image de la « plongée », celle du «(…) plongeur(…)» est synonyme d’ensevelissement dont le poids de l’attachement à la femme aimée affirme le caractère irréversible, empêche toute chance de remontée à la surface. Il est à noter encore le sème d’immobilisme mortifère que l’on a étudié chez Aurélien, ici implicitement contenu dans ce fantasme d’Edmond qui se ressent physiquement prisonnier des jambes de Carlotta, ainsi d’ailleurs que dans l’image du «(…)varech(…)». Chez l’un comme chez l’autre l’amour est pétrification traumatisante.

On peut également remarquer que, paraissant «(…)une noyée » aux yeux d’Edmond, Carlotta peut préfigurer, par le biais de l’écriture aragonienne, une sorte de pilotis de l’Inconnue.

Enfin, notons que dans l’esprit de chacun, à l’image du «(…)corail (…)» se rattache tout un symbolisme mortifère puisque l’on a vu que dans l’épilogue c’est en voyant le collier de corail de Bérénice qu’Aurélien a instantanément à l’esprit «(…)l’expression de noyée du masque de plâtre ».

Dans Aurélien, de toute évidence la femme aimée, sa présence, loin de ramener le personnage à la vie ne l’en éloigne que davantage. La solution ne peut être que dans la perte de conscience, la «(…)chute(…)», à laquelle seule la mort, dont l’ombre se profile derrière «(…)les noyés(…)», peut mettre un terme en offrant l’ultime refuge, la délivrance.

C’est le même sombre univers mêlant la mort et la femme aimée qui l’environne lorsqu’il revient chez lui après son passage à la piscine :

‘«(…)comme il redescend vers la Seine, les rêves reprennent le dessus, noient le monde(…)il entend la voix de Bérénice qui disait : « Quand j’étais petite, j’habitais une grande maison pleine de fantômes… » (A, p. 187)’

Enfin, on a dit qu’à l’épilogue, en observant que Bérénice porte à son cou « (…)cinq ou six rangs de corail (…) », Aurélien voit surgir dans son esprit ‘«(…)l’expression de noyée du masque de plâtre(…) »’, la soumettant là encore, aux yeux du lecteur, à une ressemblance avec la figure d’Ophélie. La ressemblance paraît d’autant plus frappante, d’une part si l’on songe que Bérénice vit alors ses derniers instants, d’autre part parce que Bérénice mourra sous des balles allemandes, en victime prémonitoire de la Résistance, rappelant peut-être ces mots que Bachelard applique au personnage d’Ophélie : comme cette dernière, Bérénice doit ‘« (…)mourir pour les péchés d’autrui(…)Cette vie sans joie est-elle autre chose qu’une vaine attente ? ’ ‘ 183 ’ ‘»’

De manière peut-être plus attendue, c’est encore sous le signe de la mort et de la noyade qu’Aurélien s’inscrit lorsque Bérénice le quitte ainsi que lorsqu’il est cruellement blessé par la jalousie, à l’égard de Paul Denis :

‘_ « (…)Aurélien flottait dans cette fête comme une épave, comme un homme désemparé. » (A, p. 569)

_ « Il y avait plus de quatre mois qu’Aurélien filait à la dérive(…)De l’absence physique ou de cette présence imaginaire, qui se confondaient, laquelle était à Aurélien plus que l’autre pénible ? Il n’aurait pu le dire mieux qu’un noyé n’a le choix de l’eau et des algues(…)Il ne se soutenait que sur ce fragile radeau, un appartement, de petites rentes, l’oisiveté(…)Aurélien flottait d’une résolution à l’autre, il sombrait d’abîme en abîme. » (A, p. 571 à 575)

_ « Oui, Aurélien était jaloux. (…)Ca venait de lui remonter à la tête d’un coup, une vague. » (A, p. 593)’

Pour la première fois, l’imagination du personnage peut en toute logique laisser libre cours à ses penchants macabres : la désespérance amoureuse trouve une correspondance cohérente dans ces représentations illustrant fort bien la déréliction. A cet égard, nous citons le personnage de Frédéric Moreau qui, lorsqu’il est séparé de Mme Arnoux, adopte un comportement qui s’apparente à celui que nous venons de citer chez Aurélien :

‘« Alors commencèrent trois mois d’ennui. Comme il n’avait aucun travail, son désœuvrement renforçait sa tristesse.
Il passait des heures à regarder, du haut de son balcon, la rivière qui coulait entre les quais grisâtres, noircis, de place en place, par la bavure des égouts(…)
Il rentrait dans sa chambre ; puis, couché sur son divan, s’abandonnait à une méditation désordonnée : plans d’ouvrage, projets de conduite, élancements vers l’avenir.  184 »’

Remarquons aussi que, comme Aurélien, Frédéric se tient sur son balcon pour contempler, avec la même morne fascination, la Seine qui s’écoule, pour lui aussi, juste en bas de chez lui.

On remarque surtout que la Seine qui était «(…)jaune, troublée, lourde(…)des boues d’ailleurs », qui était comparée à un « (…)grand fossé noir(…)» dans Aurélien, si elle n’a pas de couleur particulière dans L’éducation sentimentale, possède néanmoins pour Frédéric Moreau une identique connotation sale, insalubre, sordide, infléchie par « (…)les quais grisâtres, noircis(…)par la bavure des égouts(…)» qu’elle traverse et dont elle semble s’imprégner à travers la vision de Frédéric ; connotation non seulement insalubre mais macabre dans les deux romans puisque la Seine pour Aurélien est « un grand fossé noir  » et que les quais bordant le fleuve sont dans L’éducation sentimentale «  grisâtres , noircis (…)par la bavure des égouts ». (ces derniers pouvant peut-être métaphoriquement induire l’image du tombeau, comme la figure du fossé dans Aurélien. )

L’écoulement de la Seine est donc vécu, ressenti communément par Aurélien et par Frédéric comme un spectacle sinistre, indissociable d’une tonalité mortifère et, en vertu de l’étroite proximité géographique de chacun par rapport au fleuve, semble envahir l’intimité et aimanter la mélancolie des personnages qui paraissent s’abandonner à lui. Pour ces deux figures du retrait, la fascination éprouvée à l’égard du fleuve semble procéder de la commune intuition du fait que le lent écoulement lugubre de la Seine ressemble à l’écoulement de leurs jours.

D’autre part, on observe que dans ces moments où son anéantissement est à son apogée, Aurélien a le sentiment que le masque et le tableau représentant Bérénice « (…)de statues se font spectres » (A, p. 575)

Mais ce n’est pas seulement la femme aimée qui est vue sous un angle funèbre ; l’amour lui-même, sa substance, revêt une dimension mortuaire, même lorsqu’il n’est pas personnifié par la Noyée ni par Bérénice.

Quatre occurrences nous semblent en témoigner particulièrement.

Lorsque Aurélien fait à sa sœur l’aveu de son amour pour Bérénice, ses paroles résonnent ainsi :

‘« ‘‘Je ne me marierai pas, – dit-il, – parce que je suis amoureux.’’
Et la chose dite, il écouta descendre la pierre dans le puits. Bien droit, bien loin. » (A, p. 195)’

Revient alors l’image de cette «pierre», symbolisant la pétrification de l’amour, symbolisant aussi le poids de l’amour trop lourd à assumer pour le personnage. Notons encore au travers du terme « puits »la récurrence de la thématique aquatique et l’illustration du caractère tragique que revêt, aux yeux d’Aurélien, l’état amoureux : comme «(…)la pierre dans le puits », le jeune homme, amoureux, se sent englouti sans espoir de délivrance. Enfin, cette phrase offre un écho structurel au premier chapitre dans lequel, rappelons-le, Aurélien voit les dessins de la robe de Bérénice « comme des halos autour d’ une pierre jetée dans l’eau »

(La figure du puits réapparaît de surcroît par deux fois à l’épilogue :

‘_ « Tout arrivait à Aurélien à travers un brouillard, une clarté de cauchemar, l’incoordination des rêves, la logique du sommeil. Cela se mélangeait (…) à ce sentiment de chute dans un puits. (…) » (A, p. 665 )

_ « Ils étaient seuls. (…)Il faisait très noir, pas de lune(…. Le jardin était un puits d’ombre(…) » (A, p. 686 )’

Revient ici en outre cette « ombre », couleur de mort, dont au début du roman Aurélien «(…)s’emplissait les yeux(..)Comme d’une provision magique » et à laquelle on a dit que Bérénice l’associe étroitement.)

Par ailleurs, l’assimilation mort/amour est établie de manière on ne peut plus claire par Aurélien lui-même lorsque, préparant son lit, il songe ainsi à Bérénice :

‘« (…)n’est-on pas dans la mort comme dans l’amour ? Les draps sont froids aussi où l’on entre à deux. » (A, p. 238)’

Etrange mais révélatrice comparaison qui fait du lit conjugal un tombeau et des draps de l’amour un linceul. Aurélien nie plus que jamais l’existence de l’amour en l’assimilant à un état qui prive de sentiment. Pour lui, l’amour et la mort détiennent le même pouvoir anesthésiant.

La même analogie insolite apparaît quelques pages plus loin, lorsqu’il tient Bérénice entre ses bras :

‘« (…)il avait eu peur comme cela jadis…peur de bouger, de détruire le charme de cet instant…jadis il s’agissait d’autre chose, mais rien ne ressemble à la mort comme l’amour. » (A, p. 298)’

L’irruption dans sa vie de l’amour semble lui être un coup mortel.

C’est de cette manière que l’on pourrait interpréter le mot « charme » : si on l’interprète au sens d’ensorcellement on peut comprendre que la peur d’être tué l’ait immobilisé au front : dans ce cas, il ressent bien l’amour comme un état dangereux.

D’autre part, si l’on comprend ce terme dans son acception plus habituelle, cela peut signifier que pour la mort comme pour l’amour, Aurélien éprouve une attirance.

Enfin, quelque temps après s’être séparé de Bérénice, il ressasse en ces termes son désarroi :

‘« Ce qui est mort est mort. Mais il en demeure le tombeau. Aurélien pensa qu’il porterait à jamais en lui cet amour défunt, comme un faix de fleurs fanées. » (A, p. 641)’

On remarque que leur amour est inscrit une fois encore sous le signe du deuil (« mort », « tombeau », « défunt », « fanées ».) Non seulement le goût du personnage pour l’univers funèbre place l’amour dans l’éternité du souvenir magnifié, mais il semble se voir lui-même « tombeau »de son histoire d’amour disparue. Cela l’établit en coïncidence parfaite avec son obsession et cela rejoint son vif désir de chosification précédemment étudié.

La métaphore du tombeau permet de rejoindre l’image du cercueil, présente à deux reprises dans l’imaginaire d’Aurélien (la première concernant la corbeille à papiers contenant les débris du masque de l’Inconnue.):

‘_« (…)il(…)vint malgré lui heurter du pied la corbeille à papiers. Il frissonna comme s’il avait touché un cercueil. » (A, p. 316)

_ « Il(…)suivit la rive de la Seine vers l’aval, regardant comme des cercueils les boîtes fermées des bouquinistes. » (A, p. 382 )(observons ici que Frédéric Moreau, qui, comme Aurélien, va se promener pour échapper à sa tristesse amoureuse, s’arrête comme Aurélien«(…)à l’étalage d’un bouquiniste (…)» 185

Chez le personnage d’Aurélien sans doute faut-il voir dans cette figure du « bouquiniste » la métaphore d’un irrésistible attachement au passé maintes fois souligné et aussi un symbole macabre puisque le bouquiniste œuvre parmi des livres qui n’appartiennent plus au présent.

Ainsi, on pourrait croire qu’Aurélien enferme l’amour en lui (comme le tombeau enferme le mort) pour ne plus le laisser s’exprimer. Il semble le recueillir non pour s’en imprégner mais pour le faire disparaître. Cet ensevelissement s’apparenterait à une sorte de meurtre de l’amour. Aurélien affirmerait ainsi la victoire de la mort. Et, en évoquant son «(…)amour défunt(…)» Aurélien pourrait lui manifester le même attachement qu’à une personne disparue, comme si cet amour préfigurait Bérénice morte. Ainsi représentée, la jeune femme, dont il a eu tant de mal à conserver le souvenir, serait immédiatement présente, «(…)à jamais(…)» C’est alors qu’elle rejoindrait pour de bon l’Inconnue dont selon le mot de Carine Trévisan, Bérénice est «(…)la résurrection  186 »

D’autre part, on remarque que l’accablement qui saisit Aurélien (et traduit par l’allitération en « f »présente dans le vocabulaire : « défunt » ; « faix de fleurs fanées ») est marqué par une ambiguïté : le terme « faix » (synonyme de fardeau) peut symboliser aussi bien le poids de la tristesse causée par l’amour perdu que le souvenir de l’amour lui-même, qui serait vécu comme une charge.

Enfin, peut-être est-il possible de voir l’expression de la pulsion de mort présente chez Aurélien dans un sentiment de haine de soi caractérisant le personnage.

Ce sentiment nous semble visible dans ce qu’il faut bien qualifier d’obsession à se laver :

‘« Aurélien(…)se lavait les dents avec acharnement(…)Avec une rage minutieuse, il se mit à nettoyer ce corps qu’il n’avait pas choisi.

Il pouvait vraiment passer des heures à cet exercice, il n’était jamais content de lui(…)Le gant de crin ne suffisait qu’à dégrossir, à préparer ce massage au savon qui n’a pas de raison de s’arrêter, la pierre ponce sur les peaux mortes, la brosse qui entre dans les pores(…)Il n’avait pas plutôt achevé un coin, qu’il se demandait s’il avait suffisamment nettoyé ceci ou cela où il était déjà passé, et ce travail(…)se prolongeait bien au-delà de la raison, laissant la peau rouge. » (A, p. 235-236) ’

Tout d’abord, il est clair ici qu’Aurélien ne se plaît ni ne s’accepte ; ni lui dont « (…)il n’était jamais content(…)», ni «(…)ce corps qu’il n’avait pas choisi ». Formulation révélatrice s’il en est : en effet, le manque d’estime ressenti par un individu à l’encontre de sa propre enveloppe corporelle est, nous semble-t-il, symptomatique d’un manque d’estime infiniment plus profond, touchant la part morale et psychique du sujet. Le malaise psychologique d’Aurélien nous paraît d’autant plus aigu chez lui dont le pouvoir de séduction, qui lui est chaque jour prouvé par la gent féminine, fait apparaître totalement injustifié ce genre de mésestime.

Ensuite, l’utilisation drastique du « gant de crin (…) », de la « (…) pierre ponce(…)» semble répondre à ce désir d’ « (…)acharnement(…)» sur soi, à cette «(…)rage minutieuse(…)» dont soi est l’objet. « La brosse qui entre dans les pores(…)» paraît aussi satisfaire à une volonté de s’infliger une souffrance physique au point de «(…)laisser la peau rouge » comme pour se punir d’on ne sait quel crime.

Cette toilette «(…)qui n’a pas de raison de s’arrêter (…)», qui «(…)se prolongeait bien au-delà de la raison(…)», témoigne probablement d’une obsession « maniaque » au sens médical du terme, poussant Aurélien à la destruction de son corps ; autodestruction indéfinie dont le but serait de faire disparaître ce corps haï et donc de se faire disparaître soi.

Guy Corneau remarque :

‘« La première conséquence de l’abandon des fils aux soins exclusifs de leur mère est la peur des femmes(…)la deuxième conséquence est que, toute leur vie durant, ils auront peur du corps, tant de celui des femmes que du leur.  187 »’

Mais on peut surtout se demander avec Didier Anzieu : 

‘« N’y aurait-il pas une activité négative du Moi-peau au service de Thanatos, et visant à l’autodestruction de la peau et du Moi ?  188 »’

………………………………………………………………

En Gilles est présente la pulsion de mort qui habite Aurélien ; chez le personnage de Drieu cette pulsion s’exprime à travers chaque manifestation de mal-être que nous avons précédemment étudiée et qui laissait percevoir en particulier un intense sentiment de non-appartenance au monde. Mais cet instinct qui rapproche Gilles de la mort, de sa mort, s’exprime encore dans diverses circonstances ; on peut en voir le témoignage dans ces paroles du personnage, à propos de Myriam :

‘« Je ne peux pas lui dire que je ne l’aime pas, je peux tout au plus lui parler du vide de mon cœur. Il me semble que je n’aimerai jamais(…)Le désir que je donne aux autres ? Autant dire que je suis amoureux de bouteilles de whisky ou des statues dans les squares… » (G, p. 86)’

Il est frappant de constater que survient chez Gilles la fascination pour les statues qui caractérise Aurélien et qui réapparaît quelques chapitres plus loin :

‘« La beauté n’était que dans les statues, pas dans la vie des humains. Mais si la beauté n’était que dans les statues, elle n’était nulle part. » (G, p. 366)’

Dans ce roman également, on peut considérer l’objet statue comme une métaphore d’un immobilisme mortifère, de la négation de soi comme individu doué de la capacité de ressentir, de la revendication par le personnage de son propre vide affectif, et emblématique de la même rédhibitoire incapacité de se tourner vers l’autre.

Il est à noter que dans Le feu follet, Alain est l’objet d’une prédilection pour les statues, prédilection qui marque son imaginaire :

‘_ « Sur la cheminée(…)une affreuse petite statuette de plâtre coloriée, d’une vulgarité atroce, achetée dans une foire, qu’il transportait partout et qui représentait une femme nue.  189 »

_ « (…)entra une femme. Une statue à la dérive. (…)Rien ne pouvait démoraliser Alain comme cette énorme statue. Il voyait trop de ressemblance entre cette puissance illusoire, ce déplacement d’air et son creux sentiment des choses. (…)Elle était toute nue, forme magnifique et exsangue, en plâtre.  190 »’

Il semble que l’on puisse là encore parler d’intertextualité entre l’écriture de Drieu et celle d’Aragon car la statuette d’Alain, «(…)de plâtre colorié (…)», « (…)affreuse(…)», «(…)vulgaire(…)» semble s’opposer terme à terme au masque de l’Inconnue, fait de plâtre blanc, représentant non pas un corps féminin mais un visage féminin, apparemment dénué de laideur ou de vulgarité, figurant comme son double inversé, double vivant dans le cas de la femme présente dans la deuxième occurrence, décrite comme une « forme(…) exsangue, en plâtre ».

On peut remarquer alors que ce qui lie également Le feu follet et Aurélien réside dans un commun traitement de la femme comme un objet et ce au sens propre, ces femmes-statues devenant l’unique compagne possible pour ces deux personnages masculins qu’habite la peur du féminin, et que cet objet statue peut, dans le cas des deux masques chez Aurélien ou celui de la femme comparée à une statue de plâtre dans Le feu follet, revêtir une dimension macabre puisque toutes les trois, si l’on peut dire, sont « exsangue(s) », cadavériques, induisant peut-être l’expression inconsciente du désir d’Aurélien et d’Alain du meurtre de la femme.

D’autre part, dans Gilles, peut-être est-il significatif qu’il soit fait mention de «(…)bouteilles de whisky(…)», comme si ce détail sous-tendait une propension de Gilles à s’abîmer dans l’alcool, autre manifestation latente d’un désir de mort.

Quelques lignes plus loin, le jeune homme exprime à nouveau ce désespoir qui l’accable :

‘« Il y a en moi un goût terrible de me priver de tout, de quitter tout. C’est ça qui me plaît dans la guerre. Je n’ai jamais été si heureux – en étant atrocement malheureux – que ces hivers où je n’avais pour toute fortune au monde qu’un Pascal de cinquante centimes, un couteau, une montre, deux ou trois mouchoirs et que je ne recevais pas de lettres. » (G, p. 87)’

Gilles dit alors cette complaisance dans la déréliction absolue que l’on a déjà vue. Pourtant au-delà d’un simple apitoiement sur lui-même ou d’une morbide jouissance dans la souffrance, peut-être est-il possible de voir à travers ces paroles, dans ce refus de la lutte contre la désespérance, une profonde volonté inconsciente de se défaire de tout ce qui serait susceptible de le ramener à la vie. Peut-être cette analyse d’André Green peut-elle éclairer son comportement :

‘« Pour le narcissique(…)il s’agit d’être pur, donc d’être seul, de renoncer au monde, à ses plaisirs comme à ses déplaisirs(…)Plus difficile et plus tentant est de se situer au-delà du plaisir-déplaisir en faisant vœu d’endurance(…)de pauvreté et de dénuement, de solitude voire d’ermitage ; toutes conditions qui rapprochent de Dieu. (…)Le narcissique cherchera(…)à appauvrir de plus en plus ses relations objectales pour ramener le Moi à son minimum vital objectal et le conduire ici à son triomphe libérateur.  191 » (Rappelons ici le mysticisme de Gilles ainsi que sa tendance narcissique.)’

De plus Green cite dans son ouvrage deux vers de Sophocle (tirés d’Ajax) qui pourraient constituer une maxime pour Gilles (et aussi pour Aurélien) :

‘« Ne rien sentir, voilà, voilà le temps le plus doux de la vie.
Il cesse, dès qu’on a appris ce que sont la joie et la peine. » 192

Ce «(…)goût terrible(…)de quitter tout » fonctionne comme l’expression d’un souhait incoercible de quitter à tout jamais le monde des vivants, occasion qui lui est offerte par l’activité guerrière où la mort est présente à chaque instant. Est donc ici probablement rapportée par le personnage, sa propre résolution de se laisser mourir.

C’est sans doute en vertu de la même lassitude désespérée de sa propre existence que Gilles est habité par « (…)le rêve de la déchéance sociale. »

En n’étant plus rien socialement, plus rien qu’un vide, qu’une absence se creusant parmi l’agitation d’autrui, Gilles trouve là une opportunité de se rapprocher du rien, du vide absolu auquel il aspire. Déchoir auprès de la société serait une manière de trouver une non- justification à sa propre existence et ainsi une justification à son désir de la voir supprimée. Green parle d’ ‘« (…)aspiration à un état de néantisation psychique où le n’être rien apparaît comme la condition idéale d’auto-suffisance. Cette tendance vers le zéro n’atteint, bien entendu, jamais son but et s’exprimera dans un comportement auto-restrictif de signification suicidaire. »’ Et l’auteur ajoute plus loin :

‘« Au narcissisme positif, il faut accoler son double inversé que je propose d’appeler narcissisme négatif. Ainsi Narcisse est aussi Janus. (…)le narcissisme négatif sous la domination du principe de Nirvâna, représentant des pulsions de mort, tend vers l’abaissement au niveau zéro de toute libido, aspirant à la mort psychique. (…)le narcissisme primaire absolu veut le repos mimétique de la mort. Il est la quête du non-désir de l’autre, de l’inexistence, du non-être, autre forme d’accès à l’immortalité. Le Moi n’est jamais plus immortel que lorsqu’il soutient n’avoir plus d’organes, ni de corps. » 193

On pourrait dire que comme le spleen baudelairien, le mal-être de Gilles peut apparaître essentiellement métaphysique. Baudelaire et Gilles se partagent le découragement, la nostalgie de deux âmes en exil dans ce monde et le sentiment de leur nature irrémédiablement déchue ; ils se partagent aussi la lassitude d’une existence dévastée par l’ennui.

‘« O Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la terre sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !
 » 194

Le vide absolu se cristallise chez Gilles comme chez Aurélien dans une nette propension à la stagnation, à s’inscrire dans une absence totale de mouvement, dans une sorte de déni du ressenti et du vécu :

‘« (…)il percevait que pour lui le bien, c’était cette absence totale de but, cette suspension élastique au-dessus des abîmes de l’indicible immobilité. Moins elle avait de but et plus sa vie prenait de sens. » (G, p. 532)’

Le but ultime de Gilles ne semble atteignable qu’au-delà de sa vie terrestre, dans « (…)cette suspension élastique(…) » qui semble référer à l’éternité temporelle de l’au-delà. Puisque c’est lorsque son existence est libérée de tout lien proprement matériel qu’elle retrouve une valeur, une paradoxale raison d’être en n’étant plus, elle est donc bien la marque d’une volonté de Gilles de se détacher d’elle.

Il semble que le seul intérêt qu’il puisse trouver à la vie réside dans sa conséquence inéluctable, à savoir la mort :

‘« Il sentait avec angoisse, et avec volupté dans l’angoisse, l’aventure humaine comme une aventure mortelle. » (G, p. 111)’

Il est ici frappant de constater que la vie et ses manifestations ne communiquent rien à Gilles sinon l’envie irrésistible de rester figé dans une parfaite immobilité, tandis que la mort est l’unique composante de la vie qui lui inspire une «(…)volupté(…) » ; de telle sorte que l’on pourrait alors parler d’une érotisation de la mort. D’autre part, ce que l’on avait interprété chez Gilles comme une prédilection à l’extase métaphysique serait en ce cas plutôt interprétable comme une pulsion de mort, eu égard au désespoir et à la constante humeur morbide et sombre du personnage. Dans cette logique, cette même extase mystique que nous avons reliée à son rapport à la guerre ne serait que l’expression inconsciente de cette même pulsion :

‘« Il avait trouvé dans la guerre une révélation inoubliable qui avait inscrit dans un tableau lumineux les premiers articles de sa foi : l’homme n’existe que dans le combat, l’homme ne vit que s’il risque la mort. Aucune pensée, aucun sentiment n’a de réalité que s’il est éprouvé par le risque de la mort. » (G, p. 125)’

L’extase, la jouissance de Gilles ne sembleraient procéder que de l’espoir d’un contact prochain avec la mort. Ayant peut-être, jusqu’à son expérience de la guerre, éprouvé l’envie de mourir, son envie trouverait une possibilité de concrétisation dans la guerre qui apparaît ainsi en toute logique «(…) une révélation(…)».

Voilà aussi sans doute pourquoi Gilles accorde un prix à son existence dès lors qu’il est certain de pouvoir la perdre à tout instant et ainsi être libéré du fardeau qu’elle constitue pour lui.

C’est dans cet espoir de mourir offert par la guerre que pourrait résider une des raisons de l’aisance de Gilles dans la vie au front. Il semble ici évident qu’une correspondance intime puisse s’établir entre le désespoir mortifère de Gilles et un univers où règne continuellement la menace plus ou moins latente de la mort, l’éloignant de « ce monde » au sein duquel est toujours possible une «(…) promesse de bonheur » (G, p. 49) qu’il est incapable de vivre et d’assumer. Son «(…) habitude[du]monde ignoble » (G, p. 267) de la guerre et ses propres tendances à la haine et à la destruction ne peuvent que l’entraîner plus avant dans une sorte de piège, qui le rapproche chaque instant davantage de l’intense désir d’en finir avec une vie qui n’a rien à lui offrir, puisqu’il ne peut ni ne veut se satisfaire de rien.

Il est intéressant de remarquer que l’état d’esprit macabre dans lequel Gilles se laisse complaisamment enliser, caractérise l’atmosphère de l’appartement du personnage, plus précisément celle du lieu de l’intimité par excellence que constitue sa chambre à coucher.

Cette atmosphère nous est rendue par le regard de Dora :

‘« (…)l’appartement de Gilles(…)était sombre et austère(…)un christ de Rouault non loin du lit lui donna un malaise : comment pouvait-il y avoir de la beauté dans quelque chose d’aussi tourmenté ? » (G, p. 288)’

L’humeur de Gilles se reflète et est comme nourrie tout à la fois, dans et par ce cadre de vie si peu propice à l’épanouissement psychique et moral. Loin de lui être un refuge bienfaisant, cette chambre est à Gilles un refuge fallacieux où il ne panse les blessures infligées par le monde extérieur qu’en puisant dans l’angoisse et la désespérance que lui insuffle le voisinage du symbole par excellence de la souffrance que constitue une représentation du Christ en croix. D’autre part, cette dernière que l’on pourrait considérer comme une autre manifestation de la religiosité mystique de Gilles ne serait alors que l’expression de la volonté du personnage de trouver dans le spectacle de la Passion un écho à sa souffrance personnelle, comme s’il trouvait une amère consolation dans le spectacle de la souffrance d’autrui.

On relève que dans Le Songe, Alban possède, dans son cabinet de travail, ‘«(…)un Christ d’ivoire(…)avec des fendillements verticaux dans l’ivoire qui rappelaient les traînées de sueur et de sang. ’ ‘ 195 ’ ‘»’

Il faut encore observer que dans Gilles ce crucifix se trouve «(…) non loin du lit(…) » du personnage, tout comme le masque de l’Inconnue est accroché auprès du lit d’Aurélien. Tous deux ont la mort comme point de repère de leurs journées, qui débutent et finissent sous l’auspice de cette lugubre présence. Et, tous deux assistent à un mélange de l’érotisme et de la mort, conduisant à voir chez eux une autre marque d’une certaine érotisation de la mort. Enfin, puisque le masque et le Christ en croix sont auprès du lit, on peut signaler aussi que la mort marque encore leur sommeil, qui est traditionnellement considéré comme le pendant de la mort. (Carine Trévisan rappelle à cet égard que «(…)Hypnos est, dans la mythologie, frère jumeau de Thanatos.  196 »)

La fusion de la jouissance érotique et de la mort se vérifie une ultime fois lorsque Gilles, à l’épilogue, participe à la guerre d’Espagne sous le nom d’emprunt de Walter. Le retour à la condition de militaire lui apporte une plénitude, cette «(…) paix de l’âme » causée par « le lourd, le solide joug physique du danger(…) » (G, p. 659) porteur de mort ; et la violence de ce danger cause au personnage une jouissance lorsqu’il s’apprête à faire usage d’une mitrailleuse :

‘« Cet ébranlement brutal du feu et du fer, Walter en était brusquement atteint, pénétré. Aussitôt, tout son être s’accrochait, faisait corps avec la sacrée machine. » (G, p.659-660) ’

On assiste ici à une fusion totale, physique et morale du personnage avec la mort, par le biais de la mitrailleuse, métonymie de la mort. Celle-ci est bel et bien ici sensuelle et imprime une sensualité au personnage, laquelle s’exprimait avec peine dans le contact du corps vivant et épanoui d’une femme.

D’autre part, l’adjectif « sacrée » qualifiant l’instrument de mort pourrait procéder d’une inconsciente sacralisation de la mort de la part du personnage.

Il est frappant de constater que dans La guerre à vingt ans, l’objet mitrailleuse est soumis là aussi à une certaine forme de sacralisation par le regard d’Alain, qui la voit «(…)comme une petite divinité  197 ».

Enfin, il nous semble percevoir une dernière preuve de la présence d’une pulsion de mort chez Gilles, à travers le même sentiment de haine de soi qui habite Aurélien, à la différence que ce sentiment est ressenti en toute conscience et en toute lucidité chez Gilles. On relève d’abord chez ce dernier, comme chez Aurélien, une auto-agression de son corps :

‘« Ce corps était déroutant : (…) d’un côté, c’était un corps d’homme épanoui et presque athlétique, avec un cou largement enraciné, une épaule droite pleine, un sein ample, une hanche stricte, un genou bien encastré ; de l’autre, c’était une carcasse foudroyée, tourmentée, tordue, desséchée, chétive. C’était le côté de la guerre, du massacre, du supplice, de la mort. Cette blessure sournoise au bras qui avait enfoncé son ongle de fer dans les chairs jusqu’au nerf et qui avait là surpris et suspendu le courant de la vie, et qui par un vaste contre-choc avait saccagé toute l’épure architecturale des muscles, c’était ce que Gilles avait cherché à la guerre, le moins qu’il en avait pu rapporter, cette empreinte, ce signe de l’inexorable, de l’incurable, du jamais plus. » (G, p. 501)’

Il nous semble intéressant de citer Carine Trévisan qui observe à propos de ce passage du roman de Drieu que ‘« (…)mutilé, le corps de Gilles est une sorte de caricature de la duplicité sexuelle de l’androgyne. ’ ‘ 198 ’ ‘»’ Suivant son analyse nous ajoutons que dans cette duplicité même se retrouve une métaphorique vision caricaturale de la différence des sexes : le côté représentant «(…)un corps d’homme(…)» est l’incarnation de la force, de la solidité, de la santé tandis que le côté blessé, si l’on admet selon l’analyse de Carine Trévisan, qu’il représente la part féminine du personnage, est gravement déficient et enlaidi jusqu’à illustrer «(…)la mort ». (On peut remarquer à cet égard l’adjectif « chétive » présent à diverses reprises dans le vocabulaire du personnage lorsqu’il évoque le mépris qu’il s’inspire à lui-même.) D’autre part, on relève que la blessure de Gilles atteint son bras, c’est à dire un symbole phallique, induisant, toujours sur le mode métaphorique, la concrétisation inconsciente par le personnage au combat d’une intense angoisse de castration matérialisant ainsi ses doutes et ses craintes sur sa propre virilité. (Cette blessure au bras de Gilles n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle que subit le bras d’Aurélien à l’épilogue, ainsi que le bras manquant de Lucien.)

Enfin, on peut relever encore un paradoxe dans la mesure où, si l’on admet que c’est ce symbole phallique qu’est le bras qui représente inconsciemment pour le personnage sa part féminine, cela tendrait à indiquer le peu de conviction qu’il a lui-même sur son identité sexuelle, partagé entre le désir de détruire sa part masculine et sa crainte de laisser se développer sa part féminine.

Comme l’écrit Elisabeth Badinter : 

‘« La masculinité se gagne au terme d’un combat(contre soi-même)qui implique souvent une douleur physique et psychique. (…)Les cicatrices du guerrier témoignent des blessures et du sang versé qui prouvent la valeur de l’homme et celle du citoyen. (…)ces épreuves ont toujours pour objet de renforcer une masculinité qui, sans elle, risquerait d’être défaillante, et même de ne jamais voir le jour.  199 »’

Ainsi l’espèce de flagellation que s’inflige Aurélien dans son obsession à se laver trouve un écho dans cette obstination de Gilles à rechercher l’autodestruction. A cet égard, Green écrit : 

‘« Le corps comme apparence, source de plaisir, de séduction et de conquête d’autrui est banni. (…)Le corps, c’est l’Autre qui resurgit, malgré la tentative d’effacement de sa trace. Le corps est limitation, servitude, finitude. (…)Il est néanmoins remarquable de noter que ce malaise, si pénible soit-il, est signe de vie. La souffrance, c’est encore la preuve que quelque chose existe à l’état vivant.  200 » ’

Didier Anzieu parle, lui, de l’ « (…)angoisse » liée à la sensation d’être ‘« (…)un noyau sans écorce ; l’individu cherchant une écorce substitutive dans la douleur physique qu’il s’inflige(…)ou dans l’angoisse psychique(…) »’ ‘ 201

A ce propos, Jacques Hassoun dans La cruauté mélancolique confirme cette analyse en écrivant :

‘« (…)se maintenir à l’écart de tout ce qui pourrait représenter une cause à son désir, en s’enfonçant dans une indifférenciation qui a pour conséquence la mise en suspens de tout désir. Repli sur soi, narcissisation primaire, tendance à prendre le moi pour objet, plaintes infinies en sont les corollaires, au point que le mélancolique en arrive à détruire le seul objet qu’il peut atteindre : le Moi. (…)Rencontrant l’angoisse, expulsé(s)d’une mort qui semblait déjà là, il(s) attente(nt) à l’existence du dernier objet qu’il(s) [a] à [sa] disposition ; [son] corps. (…)Ultime réussite, ultime tentative de faire advenir – dramatiquement – de l’objet dans le désert qui est le sien. » 202

On pourrait également parler d’une auto flagellation morale de Gilles, que l’on ne perçoit pas chez Aurélien :

‘« Il se considérait comme infiniment petit, et comme infiniment coupable parce qu’infiniment petit. Dora n’avait pas voulu de lui parce qu’il était infiniment peu aimable. Comme elle avait raison de rejeter une âme si petite et si grelottante au milieu des espaces vides que faisait son absence de force. Comme elle avait raison de fouler aux pieds un cœur si chétif. (…)La haine naissait et d’un seul coup se levait toute droite en lui. Haine froide, immobile, toute tournée contre lui-même. (…) » (G, p. 398)’

Il semble que dans son cas comme dans celui d’Aurélien on puisse parler d’autopunition à une sorte de « crime » de faiblesse que pensent avoir commis deux personnages masculins par instants désarmants, ne comprenant ni n’acceptant le stéréotype de l’identité masculine imposé par les femmes et la société de leur temps.

D’autre part, on peut voir un désir ancré en chacun de se voir disparaître. Un tel degré d’autodétestation nous paraît devoir signifier que l’acceptation de soi ne sera jamais possible ni même envisageable ; c’est pourquoi il conviendrait d’étudier à présent en chacun des deux personnages une attitude évoquant un désir de suicide dont l’expression dépasserait l’attachement allégorique à l’univers macabre caractéristique de la pulsion de mort.

Notes
144.

in AURELIEN d’Aragon: un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 228

145.

Jean-Thierry Maertens, Le masque et le miroir, essai d’anthropologie des revêtements faciaux, Ritologiques 3 Paris, Aubier Montaigne, collection « Etranges Etrangers », 1978, op.cit.p.33

146.

in Fragments d’un discours amoureux, op. cit. p. 172

147.

in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 158

148.

op. cit. p. 17

149.

ibid, p. 59

150.

op. cit. p. 23

151.

Lionel Follet,in Aurélien d’Aragon ; le fantasme et l’Histoire, op. cit. p. 69

152.

Carine Trévisan, in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’ op. cit. p. 228

153.

Philippe Ariès, L’homme devant la mort, vol. 1 « Le temps des gisants », Paris, Le Seuil, collection « Points », série « Histoire », 1985, p. 257

154.

Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent ; la scène de première vue dans le roman, Paris, José Corti, 1998, p.152

155.

in Le masque et le miroir, op. cit. p. 104

156.

ibid, p. 105

157.

ibid, p. 106

158.

in AURELIEN d’Aragon: un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 241

159.

Jean Rousset, in Leurs yeux se rencontrèrent, op. cit. p. 155

160.

Carine Trévisan, in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 175

161.

ibid, p. 223

162.

op. cit. p. 231

163.

ibid, p. 232

164.

ibid, p. 233

165.

ibid

166.

ibid

167.

ibid, p. 229

168.

ibid

169.

ibid

170.

ibid, p. 232

171.

ibid

172.

ibid, p. 233

173.

ibid, p. 260

174.

ibid

175.

ibid

176.

ibid

177.

in Fragments d’un discours amoureus, op. cit. p. 151

178.

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière(in “Le complexe d’Ophélie”, pp. 95-108)Paris, José Corti, collection « Le Livre de Poche-biblioessai », 1998 p. 105-106

179.

Carine Trévisan, in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 91

180.

Gaston Bachelard, op. cit. p. 102

181.

op. cit. p. 363

182.

ibid, p. 479

183.

Gaston Bachelard, in L’eau et les rêves, op. cit. p. 96-97

184.

op. cit. p. 76

185.

op. cit. p. 77

186.

in AURELIEN d’Aragon: un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 242

187.

in Père manquant, fils manqué, op. cit. p. 29

188.

in Le moi-peau, op. cit. p. 129

189.

op. cit. p. 32

190.

ibid, p.104-105

191.

in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, op. cit. p. 182-184

192.

ibid, p. 177

193.

ibid, p.278

194.

Baudelaire,“Le Voyage”, Les Fleurs du Mal, op. cit. p. 195-196

195.

op. cit. p. 23

196.

in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 222

197.

op. cit. p. 79

198.

in AURELIEN d’Aragon : un ‘‘nouveau mal du siècle’’, op. cit. p. 233

199.

in XY, de l’identité masculine, op. cit. p. 108-109

200.

in Narcissisme de vie, narcissisme de mort, op. cit. p.191-192

201.

in Le Moi-peau, op.cit.p.265

202.

op.cit.p.68