Si Aragon et Drieu marquaient chacun leur personnage du sceau du négatif, Montherlant semble, lui, prendre grand soin dans La Relève du Matin, à traduire la signification grandiose qu’il accorde à la notion de virilité, tout particulièrement lorsque cette notion trouve à s’incarner dans la figure du soldat. Le roman vibre alors d'inflexions proprement dithyrambiques visant à établir une entreprise de sacralisation du soldat à travers un constant panégyrique.
Mythification du soldat
Evoquant la mort d’un de ses amis au front, le narrateur écrit :
‘« Je n’ai pas vu sa mort.(…)J’imagine seulement que soudain, couché sur le sol maternel, il dut apparaître beau, mutilé comme les temples et les statues, lointain comme l’horizon et les astres. 253 »’Le soldat est ici véritablement dépouillé par sa mort de sa condition d’humain ; il se rapproche de l’univers de la mythologie par la comparaison établie avec «(…) les temples et les statues(…) » et par celle établie avec «(…) l’horizon et les astres » impliquant que le soldat mort au combat n’appartient plus au genre humain et est autorisé à revêtir une identité transcendante du seul fait de sa mort.
Loin de l’amoindrir ou de le rapprocher d’une triviale réalité, ses blessures physiques les plus cruelles participent de cette idéalisation comme le feraient des récompenses pour des vertus militaires.
Une autre forme de mythification peut être perçue dans les lignes suivantes :
‘« Guerre et collège dressent entre un être et les siens un pareil mur, celui du silence, de ce silence si terrible que les anciens, dans leur symbolique, le figurèrent sous les mêmes traits qu’ils donnaient à leur figure de la mort. 254 »’L’isolement du soldat créé par la guerre éloigne à nouveau ce dernier, dans l’esprit de l’auteur, de toute dimension quotidienne ; la référence aux anciens, brisant la contemporanéité du soldat, ainsi que la référence à la symbolique qui plonge le soldat dans une atmosphère privée d’une réalité prosaïque accentuent cette conception du combattant comme d’un être surnaturel, une manière de surhomme.
Enfin, le silence même et la mort creusent encore l’écart entre lui et le monde des vivants : en effet la réalité de la guerre est ici considérée comme une réalité inconcevable puisqu’elle ne peut se dire, par les profanes que sont les civils; elle semble intégrer alors une dimension irréelle, presque fictive, ajoutant ainsi au caractère mythique du conflit.
Mythologie et christianisme : une double influence
Maurice Rieuneau observe une confusion de ces deux univers à propos du Songe mais ses propos nous semblent pouvoir s’appliquer également à La Relève :
‘« Ce mélange de paganisme romain et de mysticisme chrétien peut d’abord surprendre ; il n’en est pas moins constant dans cette œuvre, encore que l’idéal viril nietzschéen soit, et de très loin, la dominante. 255 »’C’est ainsi qu’on peut lire dans la scène suivante :
‘« J’imagine que mon camarade, dès l’instant qu’il eût mis le pied sur cette bande de terre inspirée qu’on nomme le front, dut lire sa sentence dans le ciel ; on est ‘‘là haut’’ on s’en rapproche. Il vit son sort s’incliner, ses dieux protecteurs, sans défense devant le destin, se détourner d’un cadavre vivant, et les deux grandes mains qui le couvraient, se retirant comme un velum qui s’ouvre, le laisser nu au péril de l’espace. 256 »’D’emblée le front lui-même revêt une connotation divine à travers le terme « inspirée » et l’expression « là-haut » (le double sens, appellation usuelle du front et désignation de l’au-delà dans la tradition chrétienne, semble d’ailleurs accentué dans le texte par les guillemets)qui transforment la zone de combat en une sorte d’Eden, de terre promise dont les soldats sont les élus.
Et à nouveau vocabulaires chrétien et mythologique se mélangent puisque l’auteur évoque les«(…) dieux(…) », s’opposant au monothéisme du christianisme et à la présente implicite de Dieu symbolisée par ces «(…) deux grandes mains(…) », des termes tels que « sort », « destin », « velum », évoquent l’univers de l’Antiquité et plus particulièrement les tragédies antiques dont la trame narrative repose sur le sort malheureux d’un personnage livré à la colère des dieux de l’Olympe. Dans ces tragédies comme dans ce roman de Montherlant, s’impose la même importance de la notion de destin, en l’occurrence du destin tragique d’un individu promis sans recours à la mort, tel «(…) un cadavre vivant (…) ».
Le soldat, comme une figure christique
A mesure de la progression du roman, la dimension théologique s’impose :
‘« Les combattants, l’un à côté de l’autre, se tenaient debout devant les hommes et devant Dieu. Depuis qu’ils étaient au front, leurs traits s’étaient durcis(…)leurs yeux s’étaient faits plus grands, comme lorsqu’on est dans les forêts. L’ombre déjà renfonçait ces justes sur les confins de la vie et de la mort, déjà libres d’une liberté surnaturelle, incapables de plus jamais décevoir, totalement absous pour le passé et pour l’avenir : déjà fixés comme les statues, purs et perdus comme l’horizon et les astres. (…)Tout était dans l’ordre. Tout était accueilli, accepté.On peut parler d’une véritable mise en scène destinée à anoblir, à valoriser à l’extrême le combattant dans ce contexte de solennité puisqu’ils se trouvent «(…) devant les hommes et devant Dieu »
La dimension divine prêtée à ces hommes « (…)purs(…) » devenus des «(…) justes(…) », «(…) absous(…) », dotés d’une «(…) liberté surnaturelle(…) », se trouvant «(…) sur les confins de la vie et de la mort(…) », autant de références bibliques, se mêle ici étroitement à une conception bien particulière de la virilité : le terme « forêts », l’adjectif « durcis » dessinent le portrait d’une virilité sauvage et brute du soldat, soumis à la prééminence de la nature, et auquel se surajoute une dimension de perfection absolue auréolant ceux qui par le sacrifice de leur vie sont « purs » et « totalement absous », eux qui, soldats, se rapprochent du divin.
Cette idée d’une souffrance expiatoire et celle de la rédemption se retrouvent quelques lignes plus loin mais en l’occurrence, c’est le soldat qui fait office de Dieu, ou tout au moins d’une figure exemplaire dont la parole est vénérée par ceux de l’arrière :
‘« Cette voix des combattants s’était tue. Ceux du coin du feu regardaient en face ceux du feu. Ils leur disaient ‘‘Nous souffrirons, nous rachèterons. Mais parlez, dites-nous ce qu’il faut faire. Nous ne pouvons plus nous faire de mal.’’(…)Sublimation du soldat
Cette double dimension divine, qu’elle soit mythologique ou chrétienne, accentuée par le drame caractérisant intrinsèquement la situation de tout combattant, fait du soldat chez Montherlant un héros proprement tragique, lui conférant immanquablement une noblesse, un grandiose tendant à l’intégrer dans une vision quasi esthétique de la guerre et aboutissant à l’esthétisation de l’homme-soldat.
Cette volonté de sublimer le soldat est tout à fait manifeste dans le portrait que trace à la fin du roman le personnage de Gérard, à propos d’un de ses camarades, soldat comme lui.
‘« Il était(…)enveloppé de son grand manteau de cavalerie, ses cheveux noirs en arrière, ses mains sur le pommeau de son sabre, et, comme dans le vers de l’Iliade, ‘‘dépassant tous les autres de la taille ainsi qu’il convient à un dieu’’. Et moi, sur son maigre visage glabre d’ascète et de chevalier, je cherchais à lire si cette heure l’empoignait comme elle m’empoignait, moi. 259 »’La référence aux récits d’épopée n’est pas dissimulée afin d’ajouter au processus d’héroïsation du soldat mais la description de cette incarnation militaire et guerrière nous semble à la limite de la caricature des personnages de ces récits, tant le texte y accumule les poncifs; tout y est : les «(…) cheveux noirs(…) », car une chevelure blonde, symbole de la délicatesse, de la douceur féminine dans la tradition romanesque, ne saurait constituer un symbole masculin, la haute stature, qui seule peut convenir à un héros épique, le «(…) maigre visage(…) », symbole d’ascétisme qui marque le sérieux, la gravité, le dédain pour la futilité, visage «(…)glabre(…)» car le moindre signe de pilosité serait vulgarité. Enfin, les détails vestimentaires que sont le «(…) grand manteau(…) »et le «(…)sabre(…)» ajoutent à l’impression de présence imposante et émouvante qu’est censée dégager ce personnage.
On peut enfin se demander, à la lecture de tant de détails exprimant une si totale perfection, si elle est bien en coïncidence avec la trivialité que doit supporter au quotidien le soldat de cette guerre de sang, de boue, de saleté quasi constantes et si le soldat de 14-18 est souvent à l’abri de toutes les avanies nécessairement inhérentes à une guerre où les hommes au combat ne sont pas plus épargnés dans leur chair que dans leur âme. Sans oublier que le détail du sabre peut paraître légèrement incongru si ce n’est anachronique, dans une guerre de début du vingtième siècle où les soldats se servent plus volontiers du pistolet ou de la mitrailleuse, armes plus modernes, mais qui souffrent évidemment d’un cruel manque de panache.
Cette conception d’un homme-soldat divinisé, sublimé, tend à faire de l’homme de l’arrière un homme médiocre, terne ; seul l’état de guerre offre à l’individu mâle l’occasion de briller aux yeux du monde et aux siens propres. Ainsi raisonne le personnage de Gérard à la fin du roman :
‘« J’ai demandé à partir pour le front, dans l’infanterie, en première ligne. (…)Mon orgueil, comme dans les foires ces machines à mesurer la force, plus on avait frappé dessus, et plus il est monté haut. J’ai senti que demain, tandis que le soldat pourrait parler de sa tâche achevée, pour moi tout restera à faire. J’ai éprouvé le ressort d’une telle pensée, et j’ai crié avec blasphème :‘‘Je ferai plus qu’eux !’’ 260 »’Il est intéressant de relever cette phrase d’Antoine Prost sonnant comme une dénonciation visant ces soldats qui, comme Gérard, ont été des ‘« (…)soldats impatients d’en découdre à la baïonnette, fantoches habituels d’une imagerie patriotique insensible à la véritable grandeur de la situation. La vérité était plus émouvante et plus humaine. ’ ‘ 261 ’ ‘»’
Ce même personnage de Gérard présente au lecteur une conception de ce que doit être le soldat, empreinte d’un véritable mysticisme, tant le souci du devoir et de l’excellence nous semblent développé jusqu’à l’excessif.
‘«Dans ce corps qui n’avait pas souffert, c’est une expiation de ce corps même qu’il fallait. A chaque acte nouveau d’héroïsme que j’apprenais, à chaque nouvelle de quelqu’un que je connaissais, répondaient un nouvel effort, une nouvelle victoire sur la fatigue ou le plaisir, afin de rétablir l’équilibre. Se dépasser ! Se dépasser ! La libre fièvre du jeu ! Se sentir augmenter comme un ballon qu’on gonfle. Battre son record, avancer de dix centimètres le jalon vers la totale perfection humaine…(…)avoir courbé, contraint ma vie vers les graves problèmes et la pensée, qui est triste ; avoir modifié douloureusement mon esprit, mon action, ma sphère de mouvance jusqu’aux vêtements que je porte, jusqu’au style de ce que j’écris, avoir retrouvé à chaque réveil la nuit que j’avais quittée le soir et fait ma lampe éternelle comme si mon front contenait un dieu ; avoir pu vraiment sans ridicule prononcer les mots : ‘‘Se tuer à la tâche’’, et se tuer à une tâche pour laquelle je n’étais ni désigné ni armé, parce que je la croyais plus pressante en vue du bien de mon pays, et partir, à présent, prodigieusement fatigué(…)dans ma tête, mon corps, mon cœur, n’emportant à mes tempes que ma migraine pour couronne de lauriers. 262 »’Là encore, par le biais de ce jeune homme resté à l’arrière et frustré d’une vie au front qu’il imagine immanquablement pavée de gloire et d’honneurs militaires, on assiste à la représentation idéale et idéalisée du soldat et, par là-même, la représentation magnifiée de ce que doit être un homme jugé digne de partir pour le front : un homme capable d’endurer avec une égalité d’humeur, presque un bonheur, la souffrance physique jusqu’à l’épuisement, la discipline intellectuelle la plus austère ; tout cela semble transformer la vie au front en une école d’excellence physique et morale, que seuls pourraient intégrer les individus atteignant «(…) la totale perfection humaine(…) », ceux dignes de porter, suprême symbole de la gloire militaire, la «(…) couronne de lauriers », en somme un homme possédant l’étoffe d’un héros.
Maurice Rieuneau écrit au sujet de cette conception :
‘« Devant la guerre elle-même, aucune espèce d’esprit critique, mais une exaltation lyrique de ses prestiges moraux. Elle amène les hommes à se surpasser, cela suffit. (…)[La guerre]procure le climat moral qui convient aux âmes fortes(…) » 263 ’Le soldat se doit donc ici encore de ne receler ni faille ni faiblesse d’aucune sorte et doit répondre au schéma romanesque ou épique d’une virilité rude, sévère et exigeante. Là encore la représentation du soldat et, partant, de l’homme, n’a qu’un faible lien avec la réalité du front.
Le soldat et l’enfant, une intimité ontologique
Au sein de cet univers tout à la gloire de la « mâlitude », il est frappant de constater les rapports qui unissent, à la faveur d’un parallèle établi par l’auteur, le soldat et l’enfant-mâle.
Maurice Rieuneau qui observe également ce parallèle, note :
‘« Une liaison interne se crée ainsi entre les deux expériences de l’adolescence qui révèlent une même valeur fondamentale : la noblesse de l’enfant de treize à seize ans, et du soldat, héroïsme, pureté, sens de l’honneur, appartiennent à ces deux êtres(…)L’enfant, doué naturellement d’une sorte de grandeur tragique, trouve dans le soldat son héros naturel(…) 264 »’Cette « liaison interne » apparaît particulièrement à trois reprises :
‘_ « (…)entre les jeunes vivants et les jeunes morts, entre les jeunes gens au feu et les jeunes gens au coin du feu, entre celui qui sait tant de choses et le petit garçon(…)une communauté s’est faite, un ordre est né. (…)La tranchée, le collège, le cercle d’études sont toutes pièces communicantes d’une seule maison morale. (…)Et cependant, quand nous cherchons à nous concerter avec ceux de notre ordre, voici que très vite nous nous heurtons. Les morts ! Je les récuse comme principe de vie : leurs conseils viennent de trop loin, nous risquons trop de mal comprendre. Les vivants de l’arrière ? J’en ai été, ce sont des incomplets. Les combattants ? Ils sont trop mêlés à l’action, trop préoccupés d’autres soins, trop chargés de choses ; puis je ne fonde pas sur les morts de demain. Mais alors ? (…)Le monde(…) vient vers nous appuyé sur un enfant. (…)Le galopin qui traîne ses savates à l’école est plus lourd des temps que nous tous. 265 »’ ‘_ « (…)le soldat et l’enfant se continuent, se pénètrent par leurs profondeurs, font une seule coulée d’âme. 266 »’ ‘_ « En vérité, un soldat causant avec un enfant, dans un mâle sentiment de ce qu’il fait, beaucoup de grandeur peut tenir dans cet étroit cercle. De tels de ces entretiens, on lira plus loin une sténographie. (…)Je l’imagine brûlant dans le temple parmi les paroles de nos grands hommes. C’est la Nation qui est la vestale, et elle courbe la main devant cette petite flamme. 267 »’Entre ici l’impression d’une quasi-filiation née d’un devoir de continuité entre le jeune homme en âge d’être soldat et l’enfant qui, parce qu’il est né garçon, est aussi né homme, et est aussi né soldat. Il est troublant de constater qu’une sorte de destinée pèse implicitement, dans l’esprit de l’auteur, sur l’enfant-mâle : sa destinée est d’être soldat, son devoir d’enfant est de se préparer à sacrifier sa vie pour sa patrie. Il semble que l’enfant soit ici considéré comme l’espoir et le renouveau de son pays en un sens quelque peu perverti si l’on songe qu’il s’agit pour Montherlant d’un avenir de conflit baignant dans la violence, la haine, la souffrance et la mort.
La virilité en germe dans tout enfant ou tout adolescent mâle s’avère une virilité au développement de laquelle ne sera faite aucune concession, à laquelle rien ne sera épargné puisqu’il est question d’une virilité morale et physique formatée, celle du soldat, du combattant. Il semble qu’entre « la tranchée(…) » et «(…) le collège(…) », l’unité, la logique d’entente soient telles qu’aucune possibilité d’existence autre, ni même intermédiaire ne soit offerte aux jeunes garçons. Cette «(…) seule coulée d’âme », cette «(…) seule maison morale » cet «(…) étroit cercle » qu’est l’univers mâle, cette «(…) communauté(…) » virile, évoque irrésistiblement l’idée d’une vie en vase clos au sein de laquelle «(…)tout contact avilissant avec la médiocrité du monde est supprimé 268 » (situation paradoxale pour des jeunes gens destinés à se plonger corps et âme dans cette quintessence de toutes les médiocrités humaines qu’est la guerre), un monde protégé des influences extérieures susceptibles d’entacher la pureté, la «(…) grandeur(…) » de ce «(…) mâle sentiment(…) ».
Il est également notable que la présence féminine dans La Relève soit quasi absente ; l’unique scène dans laquelle l’auteur admet les femmes les place non dans un rôle de femme mais dans un rôle de mère, (rôle que la nature plutôt que la culture leur assigne) et qui plus est dans une position d’admiratrice éperdue de leurs vaillants soldats de fils :
‘_« Et quand [le Supérieur de la maison] dit(…)que tous ces corps ressusciteraient comme dit saint Augustin ‘‘parce qu’ils étaient beaux’’, renaîtraient tels que ceux qui étaient là les voyaient hier(…)alors en bas, au fond de la chapelle, les femmes, les femmes se mirent à palpiter et à pleurer. 269 »’ ‘_ « Lorsque(…)[les mères en deuil]s’arrêtèrent sous le cadre où sont inscrits les morts du collège pour lire une fois de plus celui qu’elles savaient bien y être(…)il leur parut que la liste funèbre, et puis celle des Croix de guerre, à côté, n’en faisaient qu’un dans le même bonheur sans réserve. Dans une minute peut-être irretrouvable, elles pensèrent qu’il valait bien que leurs fils fussent morts pour qu’une telle heure eût existé. 270 »’L’attitude de ces femmes (dont on peut d’ailleurs constater dans la première occurrence qu’elles se trouvent « (…) en bas , au fond (…) »), cette attitude participe ici de la mythification du soldat puisqu’elles sont décrites « palpitant et pleurant », par conséquent se faisant la caricature du féminin (tout comme les personnages masculins se font la caricature du masculin dans ce roman), c’est à dire s’adonnant avec bonheur au pathos et à la mièvrerie, ne faisant ainsi que ressortir avec plus de splendeur la fière dignité des soldats appelés à mourir.
La fonction sociale du combattant est ici présentée comme une fonction infiniment enviable au sein de laquelle s’exprime et se développe une définition dogmatique de l’identité masculine ; être guerrier est la seule façon concevable, convenable d’exister pour un « vrai » homme, la seule façon d’être un « vrai » homme.
L’homme et le feu, une même noblesse
Il est intéressant d’observer que le roman contient la thématique récurrente du feu, étroitement associée au masculin et plus précisément au soldat.
‘_« (…)entre les jeunes vivants et les jeunes morts, entre les jeunes gens au feu et les jeunes gens au coin du feu, entre celui qui sait tant de choses et le petit garçon(…)une communauté s’est faite, un ordre est né »Cette même métaphore associant le feu et le monde de la guerre est également utilisée par André Tardieu dans sa préface du livre de Jean Tocaben, Virilité ; c’est ainsi qu’on peut lire :
‘« Maintenant, c’est la paix. Au feu a succédé le coin du feu. 274 »’Chez Montherlant, on peut remarquer que dans les première, troisième et quatrième occurrences, l’auteur utilise la figure du feu simultanément comme métonymie de la violence meurtrière du front et comme métaphore de la paisible tranquillité de l’intérieur domestique où se réfugient les jeunes garçons qui ne sont pas encore en âge de combattre. Cette double symbolique semble illustrer la bipolarité du feu, danger mortel aussi bien que doux réconfort, afin peut-être d’exprimer dans cette double fonction, une sorte de passage initiatique : celui qui est passé du «(…) coin du feu (…)», symbole ici de la douce quiétude de l’enfance, à l’exposition au feu des armes est devenu un homme. La fonction sociale de soldat serait donc passage obligé pour prouver à la société sa masculinité.
D’autre part, le soldat deviendrait alors l’incarnation moderne et inversée du mythe prométhéen : le soldat est celui qui, étant parti chercher le feu, est parti pour rapporter la paix aux hommes.
On relève également dans la deuxième et la dernière occurrences que la symbolique du feu est utilisée par l’auteur pour exprimer la noblesse d’âme de l’homme devenu soldat. La « flamme », image traditionnelle de la vie, de la passion, du courage, ajoutée à la métaphore du « temple » et de la « vestale » participe à nouveau de l’esthétisation du soldat en rappelant la majesté, le charisme du héros antique, mais aussi le héros moderne puisque n’ayant accompli d’autre action glorieuse que celle de combattre, sa parole est cependant l’égale de celle de «(…) nos grands hommes ». Le feu est donc ici le signe d’une solennité majestueuse et triomphale caractérisant la parole de celui qui en devenant soldat est devenu modèle de toute une «(…) Nation(…) ».
D’autre part, dans l’acte de « (…)brûler comme sur un bûcher » se rattache un sème de lumière, synonyme de beauté et d’exemplarité : le soldat devient le flambeau qu’il faut suivre. Surtout, peut-être faut-il voir dans cette figure du bûcher la symbolique immémoriale de la flamme purificatrice ; par conséquent « (…)ces triomphateurs de la mort(…) » que sont les combattants (qui acquièrent par cette définition une dimension transcendante, comme christique) sont donc dotés d’une immaculée pureté morale ; entre donc une nouvelle fois une connotation religieuse avec en filigrane la figure des saints, édifiants personnages souvent morts sur un bûcher.
La relève du matin, Paris, Grasset, 1933, p. 50-51
ibid, p. 183
in Guerre et révolution dans le roman français, op. cit. p. 140
op. cit. p. 45
ibid, p. 196
ibid, p. 197
ibid, p. 207
ibid, p. 218
in Les Anciens Combattants, 1914-1940, op. cit. p. 19
op. cit. p. 219-220
in Guerre et révolution dans le roman français, op. cit. p. 138-139
ibid, p. 137-138
op. cit. p. 139
ibid, p. 142
ibid, p. 143
Maurice Rieuneau, in Guerre et révolution dans le roman français, op. cit. p. 137-138
op. cit. p. 198
ibid, p. 201
ibid, p. 182
ibid, p. 197
ibid, p. 198
Virilité, Jean Tocaben, Paris, Flammarion, 1931, p. VIII