Le feu follet, quoique dans une acception à l’exact opposé des personnages de L’Espoir, est pourtant un roman que l’on pourrait qualifier lui aussi de roman du masculin, tant son personnage principal montre dans toute l’étendue de son accablement combien il peut être difficile, douloureux jusqu’à l’épuisement, d’être cela : un homme. Portrait sombre et angoissant, le roman dépeint notamment les problématiques liens d’Alain avec les femmes, avec la femme, constant objet de ses pensées, de ses réflexions et de ses tourments. Intégrant spontanément dans ses rapports amoureux la sphère de la dépendance, Alain se débat dans une attente continuelle, qu’il s’agisse de tendresse, de sensualité ou d’argent puisque, comme pour Chéri, ses maîtresses lui fournissent les moyens matériels de vivre. La femme constitue donc pour lui l’unique vecteur de sens et de positivité dans son monde en pleine désagrégation. Mais Alain est tenaillé par l’impitoyable conscience du complet décalage qui existe entre l’image physique et morale qu’il renvoie et celle de ce qu’il considère comme l’idéale virilité, notion qui l’obsède et que déchirent les regards extérieurs. L’exigence tyrannique du modèle dictateur lui est infiniment douloureuse, lui qui est condamné par la nature à ce que ce modèle reste un rêve inaccessible. Ressassant sa déploration désespérée qui le pousse à croire qu’il ne séduira jamais personne, le personnage se débat vainement dans la perpétuelle hantise de la dérobade féminine.
Masculin/féminin : le renversement
Offrant de troublantes similitudes avec Gilles, Alain perpétue dans l’œuvre romanesque de Drieu la figure de l’homme exprimant et affichant une constante et extrême fragilité psychique, mais le héros (ou anti-héros) du Feu follet manifeste un désespoir et un dégoût de lui-même poussés à un degré très supérieur à Gilles ; de surcroît les pulsions violentes et destructrices qui l’habitent, Alain choisit de les tourner vers lui-même, tandis que Gilles vit dans une puissante haine de l’autre. Mais surtout l’un comme l’autre sont particulièrement identiques dans leur incapacité de répondre à l’acception traditionnelle du statut viril, de la place, du rôle et de l’être de l’homme de cette première moitié du vingtième siècle, qu’il s’agisse de leur fonction dans le couple ou d’une fonction en phase avec les exigences sociales schématiques de leur temps.
Le fonctionnement d’Alain, lui aussi grand amateur de femmes, se fonde chez lui aussi sur un renversement de la différence des sexes.
On a déjà observé que, comme Chéri, comme Gilles et comme Aurélien, Alain est caractérisé par un goût de la parure et du raffinement :
‘« Il avait encore plaisir à fouiller dans la garde-robe qui lui restait des beaux jours(…)A Miami ou à Monte-Carlo, devant une malle pleine de beau linge, il nouait une nouvelle cravate(…)Ses flacons, ses brosses, une robe de chambre qui traînait sur le lit illuminaient de luxe la morne chambre d’hôtel. (…)Ce «(…) plaisir(…) » d’Alain peut renvoyer a priori le personnage du côté du féminin ; le référent féminin est d’ailleurs suggéré dans l’écriture même par les objets tels que les « flacons(…) », les «(…) brosses(…) », la «(…) robe de chambre(…) » et qui fonctionnent comme les signifiants de l’atmosphère féminine créée par le personnage lui-même.
D’autre part ce goût pour la frivolité semblant un trait accessoire de la psyché du personnage, peut apparaître comme la variante d’une mesure de sauvegarde qu’Alain ferait intervenir pour tenter de ralentir le processus qu’il a lui-même enclenché et qu’il entretient par la drogue. Comme c’est le cas de manière moins tragique avec Edmond Barbentane dans Aurélien, Alain semble tenter, en se redonnant une apparence plaisante, de combler un même manque à être. La frivolité constitue un pôle d’attraction qui produit sur Alain une sorte de dédramatisation de soi. Le vêtement est également le lien le moins précaire qui subsiste entre Alain et le désir de vivre, car il offre le réconfort narcissique dont le jeune homme éprouve un si intense besoin. Plus qu’un dérivatif, une diversion à un conflit intime, la frivolité engendre une trompeuse sensation d’aisance dans le rapport de soi à soi. L’apparence devient ainsi le terrain où s’opère une autre vision de soi et du monde, vision par laquelle s’occulte la souffrance et où le moi d’Alain peut s’abîmer dans un oubli provisoire. Cette notion de provisoire est celle qui se rattache ici au personnage car au cœur même de son souci de soi et de sa parure, le personnage s’inscrit encore dans une signifiance macabre ; on remarque en effet que la cravate « (…)à fond rouge » évoque une tonalité sanglante et surtout que le «(…) gris uni »du « (…)costume(…) » et l’« élégance effacée jusqu’à devenir terne » baignent le personnage dans une ambiance de deuil.
Cependant cet attachement au vêtement n’en implique pas moins une similitude qui le rapproche du féminin, similitude suggérée encore à diverses reprises :
‘« Entre autres projets fantomatiques, Alain avait celui de monter à Paris ou à New York une boutique où il aurait réuni tous ces objets vieillots, laids, ou absurdes, auxquels l’industrie populaire, sur le point de finir et devenant populacière, a donné le jour dans les cinquante dernières années(…)Donc, Alain pensait vendre très cher tout un bazar hétéroclite : manège de puces, collections de cartes postales sentimentales ou grivoises, images d’Epinal, boules de verre, bateaux dans une bouteille, figures de cire, etc. 460 »’L’attention d’Alain se fixe ici sur des objets dont le caractère kitsch indubitable éveille d’ordinaire davantage un intérêt féminin. De plus le descriptif de ces mêmes objets renvoie à un univers féminin : que ce soit le «(…) manège de puce(…)s », les «(…) cartes postales sentimentales(…) », les « (…)images d’Epinal(…) », les « (…)boules de verre(…) » ou les « (…)figures de cire(…) » ; autant d’objets susceptibles par leur aspect délicat ou pseudo-poétique de figurer au nombre des bibelots décorant un intérieur féminin.
Cette attitude féminine s’éprouve aussi à travers certaines réactions psychiques d’Alain :
‘« (…)comme il allait se lever, il eut un scrupule ou une crainte.Cette « féminité » d’Alain est particulièrement évidente dans la première occurrence, cette scène d’un couple dont l’intimité amoureuse vient de prendre fin et au sein de laquelle c’est lui qui ressent et qui exprime une émotion, une demande affective dans ses gestes comme dans ses paroles. La scène fonctionne donc bien en miroir inversé des comportements sexués.
Comme l’écrit Carole Klein, ‘« si les qualités qui les lient à leur part féminine avaient le droit de s’épanouir, les pressions imposées aux hommes dans notre culture seraient considérablement soulagées.’ ‘ 463 ’ ‘»’
L’attachement d’Alain à la dimension sentimentale dans la seconde occurrence, suggère encore davantage la distanciation qui s’instaure entre le personnage et la conduite masculine habituelle, dans la mesure où il s’agit d’une scène de séparation presque caricaturale : la femme figure l’élément du couple qui s’éloigne et pour qui le départ signifie une ouverture sur l’extérieur, une connaissance plus vaste du monde ; Alain est celui qui reste, celui qui attend, qui demeure rattaché, ancré à l’univers familier, quotidien dont aucun élément d’extériorité ne vient rompre la monotonie. Et, ce souci de l’affectif est plus habituellement un trait féminin marquant un désir de fusion sentimentale avec l’autre et contrecarrant le désir dit plus masculin de détachement et d’indépendance, dont Lydia se fait d’autant plus l’expression qu’elle s’éloigne physiquement, géographiquement, de son amant.
L’inversion est encore présente dans le passage suivant qui se situe juste après l’accomplissement de l’acte sexuel :
‘« Elle parlait toujours du même ton égal, sans exprimer aucune ardeur. Et elle ne se souciait nullement de lire sur le visage d’Alain ; elle fumait, couchée sur le dos, tandis qu’Alain, appuyé sur un coude, regardait plus loin qu’elle. 464 »’L’intimité charnelle devient le champ, non d’un possible rapprochement affectif, mais au contraire d’un détachement, comme si l’intimité charnelle figurait un détournement du sentiment amoureux en en devenant non l’aboutissement mais l’affaiblissement. Et, force est de constater que cette attitude procède de la femme : son absence d’émotivité, son calme et sa maîtrise d’elle-même convoquent dans l’imaginaire du lecteur une sorte de topos du comportement masculin dans le domaine sexuel, jusque dans son geste de fumer après que l’acte a été consommé.
L’analyse des corps dans leur esthétique tend aussi à apparaître dans l’écriture comme un indice supplémentaire d’un anticonformisme dans la représentation physique, physiologique pourrait-on dire, du couple :
‘«Pendant qu’elle retirait de l’intime de son ventre le sceau de sa stérilité et procédait à une brève ablution, la glace refléta(…)de belles jambes, de belles épaules, un visage exquis(…)Sa peau, c’était le cuir d’une malle de luxe, qui avait beaucoup voyagé, fort et sali. (…)Le corps de Lydia figure, comme celui de Léa pour Chéri, un appui, une solidité, une réassurance contre laquelle venir reposer sa vulnérabilité. Le manque de consistance du corps d’Alain contribue à l’inscrire dans une identité irréelle, intangible, menacée de déperdition, et le rapproche aussi d’une évanescence, d’une transparence organique, qui l’apparentent d’autant plus à une figure féminine que le caractère morbide de sa faiblesse physique le maintient dans une certaine infériorité par rapport à Lydia, dont le corps témoigne d’une parfaite santé si l’on excepte les premiers signes du vieillissement. Cette différence entre eux est bel et bien inscrite dans le texte qui signale l’incapacité de la jeune femme à « (…)émouvoir » ; l’élément émouvant du couple est Alain, dont le précaire état de santé renvoie au topos de la demoiselle en détresse, au secours de laquelle vient Lydia au moyen de son argent. Alain incarne donc une figure infiniment pitoyable, tandis que Lydia offre l’image physique et morale d’une sorte de saine brutalité.
Passivité amoureuse
Alain rappelle encore Gilles et Aurélien de manière évidente dans le comportement passif qu’il adopte dans son rapport à l’amour et à la séduction, alors même que, comme eux, Alain offre artificiellement l’image d’un Don Juan.
De plus, Alain et Aurélien (même initiale et même consonance des prénoms, comme un écho d’un auteur à l’autre) se partagent une semblable difficulté à intégrer la présence féminine dans leur monde, ou plutôt une commune disposition à l’intégrer dans une tendance à la rêverie qui idéalise la femme en même temps qu’elle la maintient à distance :
‘« Il n’avait pas su de bonne heure se jeter sur les femmes et se les attacher alors qu’il leur plaisait et qu’il en rencontrait de toutes sortes, il avait gardé l’habitude de son adolescence de les attendre et de les regarder de loin. Jusqu’à vingt-cinq ans, pendant tout le temps qu’il avait été sain et très beau, il n’avait eu que des passades, où tout de suite il lâchait prise, découragé par un mot ou un geste, craignant tout de suite de ne plus plaire ou qu’on ne lui plût pas assez longtemps(…)De sorte qu’il n’avait aucune expérience du cœur des femmes ni du sien, et encore moins des corps. 466 »’L’élément constitutif d’Alain dans ce rapport à la séduction demeure dans cet insurmontable manque d’estime de soi et qui aboutit à la fuite devant les femmes comme devant un danger. Il est intéressant d’observer que signalant en mineur l’auto-dénigrement du personnage, en particulier dans le domaine de l’amour, le texte le fait parvenir à la même sorte de virginité que l’on avait vue chez Gilles ; de sorte que cette inexpérience d’Alain vient démentir l’hypothétique donjuanisme qu’auraient pu révéler ses «(…) passades(…) ».
Ainsi, non seulement il évolue dans une fascination/répulsion pour la femme, mais il est surtout manifeste que sa crainte le contraint à rester en position de retrait, de quasi soumission au désir et à la volonté de celle-ci puisque l’initiative de la relation de séduction n’est jamais de son fait. Dans la même optique, l’expression «(…) lâcher prise(…) » suggère le défi instauré par une liaison amoureuse, défi trop effrayant ou trop exigeant pour qu’Alain s’y accroche, «(…) découragé(…) » devant l’investissement de soi qu’elle représente. Le texte insiste donc une nouvelle fois sur le peu de résistance qu’il offre vis-à-vis de cette véritable entreprise que constitue la conquête amoureuse. Cette impossibilité de la conquête d’une femme s’avère de la manière la plus concrète dans la scène suivante :
‘« Ce débauché était ignorant, et le sentiment de son ignorance le rendait timide, il s’affola devant la pudeur de Dorothy qui n’était qu’attente craintive(…)Alain la prit dans ses bras avec une maladresse qui lui révélait soudain à lui-même l’incroyable pénurie de sa vie. Il ne savait pas quoi faire, parce qu’il n’avait jamais rien fait. Il resta des nuits entières à côté d’elle, à grelotter de misère. 467 »’L’inexpérience d’Alain dans le domaine charnel révèle, à travers le vocabulaire, la position de faiblesse tant organique que psychique qu’il occupe dans une situation qu’il est censé dominer ; cette scène démontre surtout l’irrémédiable déchirement du personnage, d’autant plus atteint dans sa fierté de mâle que cette inexpérience amoureuse lui apparaît comme la pire des disgrâces, montrant à elle seule «(…) l’incroyable pénurie de sa vie ».
Face à son épouse, il incarne donc de la plus douloureuse des manières une sorte de novice dans l’univers sensuel, semblable dans une certaine mesure à Chéri qui reçoit de la femme une initiation à cet univers, initiation qu’Alain semble attendre, ici en vain.
Ce sentiment de son propre malheur confirme le statut d’anti-héros qui nous semble lui être rattaché ; réduit à l’impuissance gestuelle et sexuelle, figurant l’incarnation de la fragilité masculine ici dans la part la plus intime de son identité masculine, Alain paraît annoncer une manière de démythification du Don Juan, bien davantage même qu’Aurélien ou Gilles, qui n’affrontent pas le problème de l’impuissance à un degré aussi aigu de souffrance. Ainsi cette dernière engendre une redéfinition de l’image de l’homme dans le couple et opère une (r)évolution dans la vision romanesque du masculin, en particulier dans le domaine du pouvoir physique sur la femme.
Egalement, le texte offre ici une troublante similitude avec Aurélien dans cette non-attitude d’Alain au sein de la relation charnelle ; comme Aurélien, Alain craint et fuit autant qu’il lui est possible la fusion physique et réactive le sème d’immobilisme qui frappe Aurélien : que ce soit dans des tentatives avortées ou malhabiles pour amorcer un contact, ou bien dans le fait de rester totalement passif, «(…) des nuits entières à côté d’elle(…) » ou encore de ne pas parvenir à extérioriser son angoisse, Alain se situe dans une identique incapacité de se dévoiler. Comme chez Aurélien, le texte trace ici la même mise en scène de l’indicible, de l’inexprimable, dont est empreinte la relation de chacun des deux personnage à la praxis sexuelle. Il est également frappant de constater qu’aliéné par la nécessité d’agir, comme Aurélien se réfugie dans la maladie dont la fièvre le fait frissonner, aux instants de l’intimité amoureuse, Alain se met à «(…) grelotter(…) » ; eu égard à l’image exprimée à travers ce verbe, il faut rappeler l’analyse de Didier Anzieu que nous avions citée et selon laquelle, par cette sensation de froid, le sujet cherche à se protéger, sur le mode inconscient, du contact avec l’autre.
Ainsi le lien particulier qui unit le personnage de Drieu aux femmes n’apparaît pas comme un lien égalitaire, puisque sans cesse dans le roman, Alain demeure dans une dévalorisation de soi qui place d’emblée la femme dans un statut de supériorité, dont le personnage est accablé, mais qu’il nourrit en refusant de sortir, par un quelconque effort de volonté, de cette situation de dépendance. Aussi l’analyse de son ami Dubourg nous paraît-elle très juste :
‘« (…)tu as d’autant plus besoin des femmes que…Tu es resté un enfant : ton seul lien avec la société et la nature, ce sont les femmes. 468 »’Par cette parole Dubourg rémunère la ressemblance déjà observée entre Alain et Chéri : le personnage de Colette est lui aussi tributaire de sa maîtresse dans son rapport à «(…) la société et la nature(…) » dans la mesure où c’est par elle qu’il accède à la socialisation, c’est le cercle dans lequel elle le fait entrer à sa suite qui détermine, qui conditionne son rapport à l’autre, et c’est elle qui veille à la satisfaction de ses besoins matériels dictés par les nécessités de « la nature ». De surcroît, cette association entre Alain et «(…) un enfant(…) » présente au sein de son rapport au féminin, rappelle les liens mère/enfant de Chéri et Léa.
Ainsi, Dubourg, par ses propos, fait implicitement référence à une autre forme de dépendance qui soumet Alain à la toute-puissance du féminin : la dépendance financière.
Cette simultanéité du rapport d’Alain à la femme et l’argent, est explicitement dite par le personnage lui-même :
‘_ «Tout naturellement attiré par le luxe, il se trouvait toujours en face de femmes riches. Or, il se disait sans cesse que leur charme était fait en partie de leur argent. 469 »’ ‘_ « J’ai peu de prise sur elles, mais ce n’est que par elles pourtant que je peux avoir prise sur les choses. La femme, pour moi, ç’a toujours été l’argent. 470 » ’Comme Gilles, Alain est incapable de tomber amoureux d’une femme pauvre. La femme fortunée apparaît alors comme une figure protectrice de sa vulnérabilité morale et matérielle en lui offrant une forme de sécurité, et elle apparaît également comme une figure dominante puisqu’elle dispose d’une aisance qui la place au-dessus de lui dans le champ du social. Il occupe donc lui aussi le rôle de l’homme entretenu. Et ces femmes sont, par leur richesse, tournées vers l’extérieur, leur argent leur offrant bien matériels, relations influentes ou réputation sociale établie, toutes sortes d’avantages réservés, en particulier dans cette première moitié du vingtième siècle, aux hommes. Elles acquièrent donc sur Alain une autorité procédant de cette plus vaste maîtrise des rouages sociaux et mondains.
Toutefois, l’étroite association qui lie les femmes à l’argent dans l’esprit d’Alain, prend dans ces deux occurrences une coloration particulière si l’on considère les deux formes d’énonciation de cette situation : dans les deux cas on semble assister à une forme de dénégation de la femme qui n’existerait pour lui – le personnage n’en faisant pas mystère – que par sa fortune. La femme serait donc occultée d’une certaine manière, ce qui déplacerait le statut de la supériorité. D’autre part, cette indissociabilité femme/argent semble se muer en fusion à la seconde occurrence ; Alain procéde à une sorte de matérialisation de la femme qui devient, qui n’est plus que son argent. Son «(…) charme(…) », ce qui fait le propre de son individualité, est ainsi dévalué.
Sur un autre mode qu’Aurélien, on assiste donc à une conception de la femme-objet par l’homme et à une identique attirance pour cette femme-objet.
Ne se situant par rapport à lui que dans une fonction utilitaire elle n’aurait donc pour lui aucune essentialité intrinsèque. Ainsi, comme Aurélien et comme Gilles, Alain fonctionnerait dans son rapport à la femme sur un semblable désintérêt pour la subjectivité de celle-ci.
Il est également intéressant de constater dans la seconde occurrence que cette expression «(…)avoir prise(…)» renvoie à l’expression « lâcher prise » que l’on a étudiée précédemment et qui nous semblait employée pour évoquer la difficulté que représente pour lui toute liaison. Cette expression pouvant également susciter la vision métaphorique de la femme comme une proie (deux termes liés par une identité sémantique) confirme cette réfutation du féminin. Ici encore elle n’a qu’un rôle fonctionnel, servant de lien entre Alain et «(…) les choses », c’est à dire probablement son rapport à l’aspect social et matériel du monde.
Néanmoins dans cette expression qui, on l’a dit, se fait écho, demeure également l’idée selon laquelle, offrant une « prise » au désarroi d’Alain, la femme se présente comme un recours salvateur contre la vacuité sociale et morale du jeune homme qui l’entraîne toujours plus loin dans la déchéance. Eloignant momentanément d’Alain la tentation suicidaire, la femme rémunère pour Alain comme pour Gilles, la solidité d’un appui sur lequel « avoir prise » contrecarrant la perception de cette déréalisation de soi. Au travers de l’aisance financière de la femme, c’est la possible concrétisation de ses rêves velléitaires d’existence sociale, c’est la matérialité du monde extérieur qui s’offre à saisir pour annihiler ses macabres réflexions, et ainsi donner du sens à cette existence qui, devenue elle-même une perpétuelle quête de sens, menace de sombrer, faute d’en trouver, dans cet irréversible non-sens qu’est la mort.
Par conséquent, bien qu’existant principalement aux yeux d’Alain par son argent, la femme exerce malgré tout sur lui une incontestable domination, puisque de cet argent procède la condition grâce à laquelle il pourra poursuivre cette survie désespérée qu’est devenue sa vie. La scène suivante entre Lydia et lui en est l’exemple concret :
‘«Elle lui plaisait parce qu’elle ne disait que des choses nécessaires. Il entrevoyait d’ailleurs que cette nécessité était mince.On a vu que les caractéristiques masculines rattachées au physique de Lydia contribuaient à inscrire cette scène dans une inversion de la distribution des rôles entre masculin et féminin ; il en est de même avec sa propension à «(…) ne dire que des choses nécessaires » qui la place encore, dans son discours, dans une appréhension directe, sobre, brute de son rapport au monde, conforme à un comportement plus habituellement rattaché au masculin.
D’autre part cette scène a lieu aussitôt après un instant d’intimité amoureuse ; c’est ainsi qu’en dépit d’une certaine tendresse colorant leurs liens, Alain fait plus ou moins figure d’un gigolo que Lydia paierait pour les faveurs qu’il vient de lui accorder ; le lit sur lequel elle s’appuie pour signer son chèque acquiert ainsi une double symbolique, amoureuse et pécuniaire. Et, même en tenant compte des sentiments liant le couple, force est de constater qu’Alain reçoit de Lydia l’argent nécessaire au règlement de ses dépenses, de ses dettes, comme une épouse ou une maîtresse attendrait de l’époux ou de l’amant l’argent dont lui seul pourrait disposer librement.
Cette liberté, cette indépendance de Lydia, sont perceptibles dans le détail du carnet de chèques, objet qu’aucune femme en France n’est alors en droit de posséder à titre personnel. A cet égard, il est intéressant de souligner que les deux femmes de la vie d’Alain sont des Américaines, et que Dora, seule femme à laquelle Gilles est réellement attaché, est, elle aussi, une Américaine ; culturellement plus autonome qu’une Française, Lydia confirme par le biais de sa nationalité son image très éloignée d’une féminité traditionnelle, et, par rapport à Alain, confirme son rôle rassurant et protecteur. Le caractère de prompte efficacité que prend son geste, lui aussi très éloigné de toute contingence émotionnelle ou sentimentale, dénote plutôt une parfaite maîtrise des choses, un esprit de décision, autant de qualités qui sont précisément celles qui manquent à Alain.
Mais au travers de ces personnages féminins, Drieu s’engage dans ce que Evelyne Sullerot qualifie de «(…) mythe(s) (…) » ; elle explique ainsi :
‘« C’est peut-être aux Etats-Unis que la guerre allait provoquer, dans la vie des femmes, le plus profond et durable changement. L’Amérique, encore plus que l’Angleterre, semblait, vue du continent européen, la patrie des femmes indépendantes. (…)L’Américaine, pour une Française ou une Italienne, était une sorte de super-femme, pilote d’avion, médecin, manager, vamp, etc…Tout semblait possible en ce pays neuf et lancé comme un bolide. Les femmes, particulièrement nous apparaissaient d’un dynamisme épuisant et d’un autoritarisme ravageur(…)Vulnérabilité sociale
Ce besoin qu’éprouve Alain de l’argent des femmes est dicté par une incapacité ou un refus de s’intégrer à la vie sociale, notamment par l’exercice d’un métier, refus qui là encore le situe dans un processus de rupture avec la représentation du modèle masculin de son temps. Cette attitude le place également dans une parenté indubitable avec Aurélien, Gilles et Chéri :
‘_« Alain, depuis qu’adolescent il avait senti des désirs, ne pensait qu’à l’argent. Il en était séparé par un abîme à peu près infranchissable que creusaient sa paresse, sa volonté secrète et à peu près immuable de ne jamais le chercher par le travail. »’ ‘_ « Il avait refusé de passer son bachot, il avait détourné tranquillement la tête devant tous les métiers(…) 473 »’Son attitude le fait une fois de plus intégrer une similitude identitaire frappante avec eux par le refus de gagner de l’argent mais aussi par le même trait psychique s’apparentant à une certaine nonchalance ou plutôt une forme très précise de dilettantisme, comme le comprend Dubourg :
‘« (…)tu es né d’une famille de vieille petite bourgeoisie pour qui l’argent était une source modeste dans le fond du jardin, nécessaire pour arroser une culture tout intérieure. Il fallait pouvoir s’occuper tranquillement de son moi : donc, héritage, sinécure ou mariage. Eh bien, toi qui t’es révolté contre ta famille, tu en as hérité tout naturellement ce préjugé. Tu ne t’es pas plié à l’époque comme la plupart font autour de nous : tu n’as pas accepté la nouvelle loi du travail forcé et tu es resté suspendu à la tradition de l’argent qui tombe du ciel, mais cela fait de toi un songe-creux. 474 »’La seule différence entre eux subsiste dans la pauvreté de plus en plus menaçante d’Alain. Il est lui aussi est un personnage du désœuvrement.
Il rejoint plus particulièrement Aurélien dans l’analogie de leurs passés :
‘« Au milieu des fous et sous la coupe des docteurs et des infirmiers, il retombait dans des servitudes primaires : lycée et caserne. Il lui fallait s’avouer un enfant ou mourir. 475 »’Aurélien a été incorporé dès sa sortie du lycée puis aussitôt appelé sous les drapeaux et dans le cas d’Alain la narration semble signaler que ces deux périodes, «(…) lycée et caserne », ont été les plus marquantes de sa vie. Cela tendrait à l’inscrire dans la même impossibilité de s’assumer en tant qu’homme accompli, adulte autrement que par l’âge ; le texte confirme cette immaturité en présentant Alain comme « un enfant », tout comme Aurélien est perçu par lui-même comme « un grand garçon ». Tous deux souffrent d’une enfance, ou du moins, d’une adolescence, qui refuse de s’achever. Leur inaptitude à prendre un emploi apparaît donc pleinement logique. De plus, ils ont connu des modes de vie caractérisés par un enfermement physique et moral où l’indépendance ne leur a jamais été possible(vie scolaire et militaire pour les deux, clinique psychiatrique pour Alain et cercle mondain pour Aurélien)des univers bien particuliers qui interdisent, chacun à sa manière, toute liberté d’agir ou de penser par soi-même.
Toutefois la situation d’Alain subit une dramatisation signalée dans l’écriture et qui ne concerne pas Aurélien. Comme Chéri, son identité sociale est peu ou prou celle d’un enfant et il n’est pas plus qu’un enfant, préparé à vivre une existence autonome ; comme un enfant qui serait projeté sans ménagement dans cette existence, il ressent un affolement qui le condamne. Et, comme Chéri séparé de Léa et contraint d’assumer une vie de couple avec une femme qui le voit comme un homme et non comme un enfant, cet affolement conduit Alain à la voie du suicide, préférable pour tous deux à une vie dans laquelle ils ne peuvent se prendre en charge.
Recherche jeunesse désespérément
Ce refus prégnant d’embrasser une existence adulte nous semble signalé à plusieurs reprises au cours du roman par un attachement obsessionnel et quasi névrotique à la jeunesse et un regret de celle-ci allant jusqu’au déchirement. Une nouvelle fois son ami Dubourg opère une verbalisation du drame qui ronge Alain :
‘« Voilà le problème pour toi, il faut sortir de la jeunesse pour entrer dans une autre vie. 476 »’Quelques pages plus loin, c’est Alain lui-même qui exprime en toute clarté sa hantise :
‘« Je ne veux pas vieillir [la jeunesse] c’était une promesse, j’aurai vécu d’un mensonge. Et c’était moi le menteur. 477 »’Ces années constituent a posteriori une «(…) promesse(…) » parce qu’elles ont été les seules années où la drogue était absente et où le rapport de dépendance à l’autre était perçu davantage sous l’angle d’une logique sociale. S’étant détruit et rapproché de la mort à travers la drogue, et ayant ainsi « menti » à l’enfant qu’il fut en trahissant son espoir d’une vie heureuse, la fin de la prime jeunesse et le statut d’adulte signifient pour Alain la mort.
Ne pouvant, ne sachant se penser comme un homme, Alain fait peser sur lui la même interdiction qu’on a dit qu’Aurélien se pose à lui-même, celle d’un avenir :
‘« Il avait certes toujours douté du lendemain, mais la réalité du doute n’était en lui que depuis peu. Il s’apercevait qu’il y avait des limites au tapage, qu’il est impossible d’imposer comme la règle, au cercle restreint de ses amis taillables, ce qu’ils considèrent comme l’exception. (…)Il savait que le ressort principal de son crédit, sa jeunesse était à bout. 478 »’Pour Alain il s’agirait inévitablement d’un avenir ou il lui faudrait être responsable de soi moralement mais surtout financièrement ; voilà sans doute pourquoi, perdant sa jeunesse et perdant du même coup l’acceptation par autrui d’une déresponsabilisation, il voit s’éloigner toute possibilité concrète de poursuivre sa vie.
Il est intéressant de souligner cette référence au lendemain qui apparaît comme un rapport inversé au futur dans le cas d’Alain qui en « (…)avait(…)toujours douté(…) » et dans le cas d’Aurélien qui n’a jamais «(…) à [y] songer(…) ». Cette apparente dissemblance réunit en fait les deux personnages dans une expérience complexe de la temporalité. Si, comme l’a montré Carine Trévisan, Aurélien refuse de s’extraire d’une chronologie faussée qui se fonde et se maintient sur le présent, chez Alain la dimension du présent est constamment infirmée par le désir d’un cheminement régressif qui le ramènerait à sa jeunesse. Leur point commun réside en une négation persistante du futur, source d’angoisse pour chacun.
Mais plus particulièrement chez Alain se dessine le désir de procéder à une annulation de ce présent, laquelle ferait triompher son passé, décalage temporel dont l’impossibilité signifie pour le personnage une condamnation puisque toute projection mentale vers une ultériorité est pour lui inenvisageable.
Cet irrémédiable de la perte de la jeunesse se vit d’autant plus douloureusement par lui, que cette perte se double du sentiment de sa propre insuffisance :
‘« (…)Alain en revenait encore pour de longs moments à l’idée qu’il avait caressée, toute sa jeunesse – cette jeunesse qui finissait, car il venait d’avoir trente ans, et trente ans c’est beaucoup pour un garçon qui n’a pour lui que sa beauté – que tout s’arrangerait par les femmes. 479 »’Le personnage revêt ici sans aucune ambiguïté le rôle social du gigolo ; surtout cette inutilité intrinsèque pressentie en soi infirme encore davantage l’hypothèse d’une quelconque existence sociale d’Alain et contribue à une représentation de la jeunesse et son cortège d’avantages comme une nécessité impérieuse, vitale pour cet être qui, comme il est clair ici, n’existe que grâce à cette « (…)beauté(…) », malencontreusement en train de s’affadir. On peut citer ici cette analyse de Falconnet et Lefaucheur :
‘« (…)fût-on avantagé par la nature, la naissance, la fortune, on ne peut jamais être sûr de conserver son pouvoir de séduction. Le pouvoir de séduction comme la virilité, n’est jamais assuré, il faut sans cesse le prouver, l’affirmer. Le danger, même si on est un homme à succès, un tombeur, reste la vieillesse. (…)Pour rester séducteur quand on a les tempes qui grisonnent, il faut occuper une situation sociale élevée. 480 »’Alain qui ne saurait avoir «(…) une situation sociale élevée » est donc bien condamné à dépérir.
On peut encore observer que, fondée sur l’éphémère de cette notion d’esthétique, son existence s’inscrit encore davantage sous le signe d’une indubitable inconsistance.
D’autre part, il est frappant de constater chez Alain une référence à cet âge de trente ans que l’on trouve chez Aurélien ou Chéri ; mais si pour le personnage d’Aragon il représente un commencement, pour le personnage de Colette comme pour Alain, trente ans est l’âge du déclin, voire de l’achèvement (« Tout est foutu, j’ai trente ans » pense Chéri).
Cette vision d’un déclin qui surviendrait dès trente ans se réaffirme dans Le feu follet plusieurs chapitres plus loin :
‘« Il marchait d’un pas hâtif qui, pour un homme de trente ans, était lourd et saccadé. 481 »’On assiste ici à la concrétisation du sème de déclin rattaché à cet âge-clé, puisque l’écriture introduit sur le mode mineur un déclin physiologique ici consommé qui s’apparente plus nettement à une notion de vieillesse. L’antinomie entre la jeunesse objective de l’âge et le pas difficile du personnage suggère en définitive que ce déclin prématuré s’inscrit dans la logique mortifère intrinsèquement liée à Alain, et est accordé à son destin qui lui promet une mort tout aussi prématurée. Ce vieillissement physiologique survenu à trente ans apparaît ainsi un aboutissement cohérent.
Enfin, il est intéressant d’observer que cette fixation à la jeunesse se déplace du personnage vers le narrateur (vers Drieu ?) car elle est signalée en mineur dans l’écriture :
‘« Cyrille n’était pas jaloux, il pensait tenir sa femme pour plusieurs années ; il faisait bien l’amour, il avait encore deux millions devant lui. Après ? Mais après, sa jeunesse serait finie. 482 »’Cette intervention concernant la jeunesse de Cyrille Lavaux, dont on ne sait pas très bien s’il s’agit d’une focalisation interne ou externe, implique néanmoins que le non-sens d’un vécu déserté par la jeunesse fonctionne comme une constante narrative dans tout le roman.
Ainsi, par ce désir d’une perpétuation de sa jeunesse, inscrit dans son attitude fondée sur la tergiversation et l’immobilisme, Alain s’installe dans une incapacité à faire évoluer non seulement le cours de son existence mais aussi son rapport à la virilité, dont il souffre pourtant qu’elle le condamne à ne jamais vivre une relation de séduction véritable avec les femmes.
Par ailleurs, il est frappant de constater que la ressemblance entre Alain et Aurélien se développe jusque dans leur rapport aux études, cette passerelle entre la jeunesse et l’âge adulte :
‘« Il avait refusé de passer son bachot(…) »’De même qu’Aurélien se refuse à tout effort dans la poursuite de ses études de droit, s’y montre « irrégulier » et s’y cherche un « prétexte », Alain écarte de sa vie le domaine de l’effort, qu’il soit intellectuel ou moral. Tous deux sont les incarnations romanesques du dilettantisme. Alain entretient également avec sa famille le genre de relations que celles d’Aurélien avec sa sœur, l’entourage familial de chacun manifestant une identique incompréhension pour une manière de vivre qui n’est pas la leur. L’un comme l’autre illustre aux yeux de ses proches une analogue forme d’anormalité sociale par cette irrésolution à obéir au conformisme social ambiant, par ce désir de la rêverie plutôt que de l’action, valeur fondatrice de la bourgeoisie à laquelle appartiennent la sœur d’Aurélien et les parents d’Alain.
Alain ou l’incarnation du rien
Surtout, comme Aurélien, Alain souffre de ce qu’on pourrait définir comme une paralysie du désir. Aurélien « ne savait pas vouloir » et Alain explique :
‘« J’ai songé à deux ou trois choses à la fois, je n’ai rien désiré. 483 »’Par cette sorte d’annulation du monde à laquelle il procède en ne le «(…) désirant » pas, Alain exprime sur le plan moral un identique sème d’évanescence que celle qui caractérise son physique. Ce manque de désir comme le manque de volonté d’Aurélien les situe dans une absence à eux-même qui fait d’eux non seulement des désœuvrés ou des anti-héros mais surtout des personnages en dehors du monde. Ainsi ils sont chacun marqués du signe constant du négativisme ; leur rapport au réel est irrémédiablement gangrené par cette sorte de continuelle période de latence qui s’instaure dans leur manière de penser ce réel. De sorte que le non-désir d’Alain pour les choses ou pour les êtres condamne ce dernier, comme Aurélien, à un avenir sclérosé, déconstruit avant même d’avoir été vécu faute d’avoir été pensé, imaginé, voulu. Son indifférence le place surtout au cœur d’un processus mortifère, dont la drogue est l’agent, mais qui est initialisé par cet insurmontable désintérêt, dans la mesure où souhaitant de moins en moins asseoir son identité, Alain obéit à une logique de néantisation poussée jusqu’à son extrémité, qui fait de lui-même un néant que rien ne vient plus peupler, matérialiser, conformer. Il correspond alors en tout point à une autre facette de ce prototype masculin que Guy Corneau baptise «l’adolescent éternel » :
‘« Il existe aussi un type d’adolescent éternel somnolent qui ne sort jamais des brumes, pour ainsi dire. Celui-là perd sa vie en rêves démesurés qui demeurent lettre morte. Il veut écrire un grand roman mais ne peut même pas s’asseoir pour en rédiger la première page. (…)vivant dans un monde fantasmatique, il devient fantomatique. L’issue peut être tragique : les drogues et l’alcool ( …)peuvent devenir des compagnons de sa solitude, qui l’entraîneront dans la misère et n’embelliront plus que les banalités auxquelles il tente désespérément de croire. 484 »’Cette latence menant à la déperdition de soi est parfaitement comprise par Alain lui-même :
‘« J’ai commencé par attendre les femmes, l’argent, en buvant. Et puis tout à coup, je m’aperçois que j’ai passé ma vie à attendre, et je suis drogué à mort. 485 »’Au-delà du caractère attentiste d’Alain, il faut sans doute voir également dans cette réplique, une autre expression de cette incapacité de désirer qui le mène à s’abîmer dans un infernal cycle d’auto-destruction savamment entretenu par l’alcool et la drogue. Il est frappant de voir dans cette occurrence la drogue comme un moyen de remplir la vacuité existentielle du personnage, en se substituant à tout désir, à toute volonté, à la poursuite d’un but quelconque. Trompant cette « attente » d’un événement ou d’un être dont lui-même ignore tout, la drogue devient un but, et le désir et la volonté d’Alain trouvent enfin vers quoi se tendrent. Ainsi ses efforts pour se détruire dénotent malgré tout la présence en lui d’une réelle énergie mais qui, par un déplacement morbide, trouve à s’employer au service d’un tout aussi réel souhait d’auto-destruction, au lieu de servir le personnage dans une quelconque quête de réalité sociale ; de sorte que l’énergie devient force d’inertie.
Nous retrouvons cette capacité à vouloir et à agir inscrite dans le champ du macabre, non seulement au travers de l’expression «(…) drogué à mort », qui indique sa persistance acharnée à se défaire de la vie, mais aussi dans une intervention de la narration présentant le suicide comme un acte valeureux :
‘« La destruction, c’est le revers de la foi dans la vie ; si un homme, au-delà de dix-huit ans, parvient à se tuer, c’est qu’il est doué d’un certain sens de l’action.Cette affirmation de l’auteur du Récit secret, fait apparaître le suicide, selon un mécanisme pervers, comme l’occasion de donner la preuve de sa virilité. «(…) L’action » et « la destruction(…) » ne sont plus ici antinomiques mais constituent un pôle fusionnel qui les montrent comme découlant l’une de l’autre selon un développement logique. Il est intéressant de relever un parallèle avec l’opinion d’Alban de Bricoule chez Montherlant selon qui la preuve que l’on est un être viril réside dans la destruction non pas de soi, mais de l’autre, à travers le meurtre. Chez Drieu le suicide est un procédé restituant à tout homme qui ne les a pas connus dans sa vie, le sens et le sentiment de l’honneur et de la dignité, dans la mesure où la décision de mourir est, dans le cas d’Alain, la seule décision « responsable », autonome qu’il ait jamais prise, une décision mûrie en toute indépendance, le seul projet qui n’ait pas été infléchi par autrui, qu’il ait pu accomplir seul. Sa fatale léthargie peut ainsi, en vertu de ce raisonnement, se trouver compensée par la violence psychique et parfois physique nécessaire à l’accomplissement d’un tel acte, et le personnage peut alors, dans cette violence même, revêtir à ses propres yeux cette forme de virilité formatée associée à la violence qui semble, pour lui aussi, l’unilatérale définition de la virilité. C’est en ces termes que s’ordonne cette pensée du personnage, pensée qui sera la dernière :
‘« La vie n’allait pas assez vite en moi, je l’accélère. La courbe mollissait, je la redresse. Je suis un homme. Je suis maître de ma peau, je le prouve. 487 »’Il est frappant de constater combien non seulement se donner la mort équivaut à une manifestation d’autonomie et de virilité, mais aussi combien « la vie(…) » prend dans l’esprit du personnage une lourdeur dont la mort viendrait l’alléger ; de surcroît se tuer constitue un indice de vigueur, de santé morale, garant d’un sens de l’amour-propre : Alain «(…) redresse » la «(…) mollesse(…) » où s’englue sa vie comme il redresserait chez lui un comportement indigne, avilissant, par une conduite irréprochable. En outre, ce sème d’ «(…) accélération(…) », de vitesse, peut également apparaître comme la preuve d’une conduite mâle et opposée à la dolence dite féminisante.
Enfin, on observe une sorte de contresens dans cette démonstration de «(…) maîtrise(…) » de soi qui se condense dans l’acte de suicide, puisque celui-ci nous semble au contraire l’indication d’une perte totale de contrôle.
Falconnet et Lefaucheur soulignent à propos de cette question de la virilité qui tourmente tant Alain :
‘« Même si on se méfie de la notion de virilité, même si on la récuse(…)on n’échappe pas facilement à son terrorisme, à l’obligation constante de se montrer un homme. (…)La virilité n’est jamais acquise, jamais assurée. Il faut sans cesse la manifester. 488 »’Virilité : la dictature moderne
L’origine principale du rapport douloureux du personnage à sa propre virilité (trait qui le rapproche d’Aurélien et de Gilles) nous semble constituée essentiellement par sa vision extrêmement caricaturale de la représentation du masculin, vision dans laquelle il ne peut évidemment pas s’inclure.
Cette icône de la virilité trouve son incarnation au travers du personnage de Brancion :
‘« Brancion avait une gueule de héros : le teint plombé par la fièvre et les dents broyées par quelque accident brutal. On regardait avec beaucoup de considération cet homme qui avait volé et tué, car il l’avait fait lui-même, ce qui n’est pas l’habitude des maîtres de notre époque. 489 »’Une masculinité presque poussive se dégage de la description physique et morale de cet homme ; elle est caractérisée par un sème évident de brutalité, voire de cruauté et est pourtant celle qui inspire la «(…) considération(…) » sociale. A lire ce portrait, une ressemblance est immédiatement suggérée avec les personnages masculins de Montherlant et de Malraux, révélant une représentation de la virilité confondue avec des notions telles que le danger, le risque, l’aventure, la douleur, toutes valeurs éminemment fondatrices du « vrai », du seul mâle.
Etant conduit, par cette confrontation, à une revisitation du mythe de Narcisse, Alain observe en miroir inversé sur cette apparente masculinité, ce que lui-même renvoie et qui, loin de convoquer dans l’imaginaire (en particulier un imaginaire féminin) la stature d’un de ces «(…) maîtres de notre époque », suggère plutôt dans un contraste pour lui humiliant ‘« (…)les caractères véritables de la vie des drogués : elle est rangée, casanière, pantouflarde. (…)Un train-train de vieilles filles, unies dans une commune dévotion, chastes, aigres, papoteuses, et qui se détournent avec scandale quand on dit du mal de leur religion. ’ ‘ 490 ’ ‘»’
Constat d’autant plus traumatisant s’il est fait, même sur un mode amical, par une femme désirée comme l’est Solange Lavaux :
‘« (…)Brancion(…)c’est le contraire de vous, c’est une force de la nature . 491 »’D’autre part les traces laissées sur le visage de Brancion, témoignant d’une existence menée comme un combat, incitent le lecteur à repenser l’enfermement suicidaire d’Alain dans la drogue ; en effet non seulement se suicider relève d’une impulsion dont on a souligné la violence, mais il faut peut-être également considérer le geste de s’infliger ces injections mortifères, comme l’écho morbide de cette confrontation incessante à tous les périls, constitutive, pour le cercle que fréquente Alain, d’une virilité réelle ; les cicatrices laissées par les injections successives sur son bras fonctionneraient alors en mimésis de ces stigmates d’une vie aventureuse ayant marqué leur empreinte dans la chair de Brancion. Ainsi, à son insu, Alain s’inscrirait dans une tentative pathétique de montrer au monde, aux femmes en particulier, que lui aussi a prouvé sa virilité en prenant le risque de se heurter intimement à une mort violente à chacune de ses injections. On peut, à propos de cette conduite à risques, citer Elisabeth Badinter :
‘« Les efforts exigés des hommes pour être conformes à l’idéal masculin engendrent de l’angoisse, des difficultés affectives, la peur de l’échec, et des comportements compensatoires potentiellement dangereux et destructeurs. (…)Si l’on ajoute que dans notre société la vie d’un homme vaut moins cher que celle d’une femme (les femmes et les enfants d’abord !), qu’il sert de chair à canon en temps de guerre, et que la représentation de sa mort(…)est devenue simple routine, cliché de la virilité, on a de bonnes raisons de regarder la masculinité traditionnelle comme une menace pour la vie. 492 » ’Enfin, on peut remarquer dans ce roman également, la récurrence du motif du bras blessé d’un protagoniste masculin : le bras d’Alain est victime de l’héroïne, celui d’Aurélien est victime d’une balle perdue, et celui de Gilles est victime d’une blessure de guerre. (On relèvera ici cette troublante coïncidence qui fait que parmi toutes les catégories de drogue existantes, celle qui tue Alain porte précisément la dénomination d’héroïne, comme un autre écho morbide – et aussi en l’occurrence ironique – à ce fantasme du héros viril qui habite le personnage.)
Ainsi cette rencontre avec Brancion condense toute l’impossibilité pour Alain d’assumer sa totale inadéquation avec le type d’homme qui constitue l’idéal dominant. Cette inadéquation lui interdit de voir la stéréotypie dont est affligée cette incarnation virile, et l’enferre dans sa résignation désespérée :
‘« Contre le monde des hommes et des femmes, il n’y a rien à dire, c’est un monde de brutes. Et si je me tue, c’est parce que je ne suis pas une brute réussie. 493 »’Ce refus de soi le place également dans un rapport aux femmes aussi tourmenté que celui d’Aurélien et de Gilles, même s’il s’exprime dans des nuances différentes. Ce type de rapport condamne le personnage à se contenter, comme nous l’avons vu, de rêver la femme, et ce lien fantasmatique s’exerce chez lui sur un mode douloureux, dicté par la certitude d’une insuffisance de soi :
‘_ « Dorothy à New York, elle avait jeté sa lettre au feu et était allée danser avec un homme solide, sain, riche, qui la protégeait, qui la tenait. Lydia, sur le bateau, entourée de gigolos. Son frisson s’accentua encore quand il reçut l’image de ce bateau qui s’enfonçait comme une coquille de noix dans l’affreuse nuit de novembre, dans l’affreuse cuvette noire, flagellée de vents polaires. 494 »’ ‘_ « A cette heure-ci toutes les femmes sont aux mains des hommes : Dorothy est aux mains d’un homme fort, aux muscles de fer, avec des poignées de banknotes dans ses poches. Lydia est aux mains des gigolos plus beaux les uns que les autres, de sorte qu’elle est obligée d’aller des uns aux autres. Solange tout à l’heure va se coucher dans les bras de Cyrille, en rêvant de Marc Brancion. 495 »’Cet éloignement de la femme dans une dimension irréelle qui, chez Aurélien, signale son inaccessibilité, subit une dramatisation chez Alain puisqu’il s’agit d’une rêverie sombre dans laquelle domine la perte de la femme aimée ; cet abandon fantasmé recrée dans les deux occurrences le triomphe d’une masculinité obéissant à une stéréotypie, traduisant une nouvelle fois le mode conflictuel sur lequel s’ordonne la perception chez Alain de sa propre apparence. Ainsi, établissant une norme dans ce domaine, il se condamne de fait à une nouvelle forme de marginalité.
Il est intéressant de constater qu’au travers de cette description schématique d’une virilité présentée comme essentielle, se dégage l’importance accordée aux «(…) mains(…) » et aux «(…) bras(…) » des hommes ; sans doute faut-il voir dans ces images torturantes pour l’imaginaire du personnage, l’idée d’une captation de la femme, que les autres hommes contrairement à lui, peuvent ainsi «(…) tenir ». Ce motif de la prédation de la femme apparaît comme une récurrence thématique si l’on se souvient de la tendance d’Alain à voir la femme comme une possibilité offerte d’une prise sur un monde qui, pour lui, se dérobe constamment.
C’est ainsi que les mains ou les bras des hommes contiennent ici – comme on l’avait analysé chez Léa – un sème d’enfermement qui dépasse l’habituelle fonction de protection. Cette idée semble d’ailleurs accentuée dans la seconde occurrence par le terme «(…) entourée(…) » qui désigne la femme au milieu d’un groupe d’hommes. Alain semble percevoir une forme de labilité intrinsèque de la femme, qu’il voudrait circonscrire car elle rend la femme fuyante ; et ce caractère insaisissable, qui fait qu’ « (…)elles se résignaient si facilement à passer, à sortir ou à ne pas entrer 496 » dans sa vie, est précisément à la source de la souffrance d’Alain, qui voudrait tant s’attacher l’amour d’une femme mais ignore comment y parvenir. Or, c’est justement cet aspect inconstant de la femme qui fonde cette double et sinistre représentation mentale de la femme aimée ou désirée. Qu’il s’agisse de Lydia « (…)obligée d’aller des uns aux autres » des «(…) gigolos(…) » qui l’accompagnent ou de Solange qui «(…)va se coucher(…) » auprèsd’un homme tout «(…) en rêvant d’(…) » un autre, toutes deux dans ces scenarii imaginaires échafaudés par Alain, incarnent un donjuanisme au féminin qui, tout en contribuant à invalider l’estime de soi du personnage, les rattache encore davantage à cette notion d’insaisissable qui, selon Alain, les caractérise.
Cet insaisissable de la femme aimée est d’ailleurs ce que perçoit chez Bérénice, Aurélien qui voit en elles « toutes les femmes » et pour qui c’est profondément perturbateur.
On peut également relever, dans une sorte d’écho intertextuel, une identique tonalité macabre rattachée à la représentation mentale de la femme aimée ici chez Drieu, comme c’est le cas à de nombreuses reprises dans l’esprit d’Aurélien à l’égard de Bérénice ; le parallèle se poursuit plus avant si l’on observe que cette dimension mortifère s’exprime dans le roman d’Aragon comme dans celui de Drieu au moyen d’une image suggérant explicitement le sème aquatique, ici avec les références au « (…)bateau(…) » et à «(…) l’affreuse cuvette noire(…) », cette dernière évoquant sans doute l’Atlantique.
Cette angoisse constante de voir la femme lui échapper, entraîne chez Alain le même rapport à sa propre identité virile au plan charnel que celui que nous avons analysé chez Aurélien ou chez Gilles. Ce rapport est ressenti avec une cruelle lucidité par Alain lui-même :
« Je n’ai aucune sensualité. 497 »
Il est également explicité par le personnage comme étant la source principale de sa déchéance :
‘« (…)je me drogue parce que je fais mal l’amour. 498»’Cette relation à sa propre intimité fonctionne sur un mode tragique plus accentué que chez Aurélien ou Gilles, et soumet encore davantage à une crise l’identité masculine d’Alain, laquelle constitue un pôle de souffrance indexant toute cette existence qui plonge dans une déréliction progressive.
De plus il est intéressant de voir que cette absence d’une quelconque capacité sensuelle du personnage, selon ses propres dires ne s’applique pas seulement au domaine érotique, mais concerne une appréhension globale de l’existence :
‘_ « Figurez-vous que je suis un homme ; eh bien, je n’ai jamais pu avoir d’argent, ni de femmes. Pourtant, je suis très actif et très viril. Mais voilà, je ne peux pas avancer la main, je ne peux pas toucher les choses. D’ailleurs, quand je touche les choses, je ne sens rien. 499 »’ ‘_ « Je ne peux pas vouloir, je ne peux pas même désirer. 500 »’Cette incapacité de « toucher », de « sentir », de « désirer » rejoint précisément cette paralysie du désir que nous avons étudiée précédemment chez lui ; ici revient se dire ce même manque que nous avions qualifié de manque à être et qui l’inscrirait dans un registre mortuaire ; et cette asthénie de toute impulsion désirante rapproche encore Alain d’Aurélien dont nous avons analysé l’engourdissement sensoriel qui fait qu’ « il ne savait pas vouloir », tandis qu’Alain affirme qu’il « (…)ne peu [t] pas vouloir(…) ». Cette infirmité du désir annonce et, d’une certaine manière, infléchit, conditionne la tentation du suicide chez Alain ; sa déclinaison dans le champ de l’érotique ne se présente que comme un avatar d’un désintérêt plus général pour le fait de vivre.
Ceci amène à reconsidérer la souffrance que cause à Alain son insuccès auprès des femmes, tant sur le plan sentimental que physique, et à se demander s’il ne s’agit pas d’une sorte de souffrance autosuggérée, déguisant une réelle quoique inconsciente désaffection pour les femmes autant que pour quoi que ce soit en ce monde.
La scène d’intimité amoureuse sur laquelle s’ouvre le roman peut ainsi faire l’objet d’une double interprétation :
‘« A ce moment, Alain regardait Lydia avec acharnement. (…)Qu’attendait-il ? Un soudain éclaircissement sur elle ou sur lui.En effet, cette difficulté rattachée à l’accès à la jouissance sexuelle, «(…) sensation(…) glissante(…) », fugitive, peu intense, à laquelle il ne peut «(…) s’abandonner(…) »et qui le laisse «(…) crispé(…) », peut être motivée a priori par une trop importante crainte de la femme ainsi que par une relation à soi trop problématique pour pouvoir autoriser une aisance dans l’intimité du rapport amoureux. Dans cette optique, la perception de sa propre «(…) inutilité(…) » lorsque s’évanouit la sensation physique tendrait à souligner une forme d’angoisse chez lui qui, lorsque disparaît le lien charnel, considère comme inexistante sa présence auprès de la femme aimée.
Mais cette même difficulté à intégrer la notion de plaisir physique pourrait aussi signifier une indifférence trop rédhibitoire à la femme pour pouvoir éprouver une quelconque envie de s’investir dans une sensorialité communément partagée ; il s’agirait plutôt d’une distanciation affective qui se traduirait ici par un immobilisme du ressenti. L’indifférence d’Alain pourrait encore être perçue dans son regard qui se détourne de Lydia, comme si, ayant pu faire acte de virilité auprès d’elle, elle ne lui était à présent plus nécessaire, devenue présence accessoire.
Cette indifférence pourrait peut-être également se retrouver dans ce qui apparaît comme une récurrence thématique unissant ce roman à Aurélien et surtout à Gilles, à savoir le recours d’Alain à la galanterie tarifée:
‘« Il se rappela qu’un soir, au cours d’un séjour à Paris, il était sorti seul et avait couru au bordel en quête d’une compensation chimérique à l’abstraction de sa vie conjugale. 502 » ’Comme pour Gilles, ce recours fonctionne comme un remède contre l’impuissance subie au cœur des liens conjugaux, qui supposent une intimité sentimentale avec l’épouse. Et, on l’a vu dans cette scène où Alain en est réduit à « grelotter de misère » parce qu’il ne sait, ne peut pas faire l’amour à cette même épouse, cette forme d’intimité semble la cause directe de cette défaillance organique qui le conduit à solliciter les services d’une prostituée.
Mais là encore, cette plus grande aisance dans l’amour vénal peut signaler la même incapacité d’Alain à s’intéresser véritablement à une femme, dans la mesure où son intérêt pour les prostituées ne concerne en réalité que lui-même ; chercher à prouver sa masculinité physiologique, non seulement comme chez Gilles, lui est plus facile avec une étrangère, mais cela ne place alors cette dernière que dans un rôle de catalyseur de cette masculinité en péril ; la subjectivité de la prostituée est par Alain également, niée, ignorée puisqu’il ne voit en elle qu’une sorte d’objet charnel.
Ainsi nous apparaît son regard sur les autres femmes qu’il prétend aimer ou désirer ; devant chacune ses interrogations et ses angoisses n’ont que lui-même pour objet, sans que jamais ne lui vienne une pensée concernant la femme en question pour elle-même.
ibid, p. 51
ibid, p. 15
ibid, p. 19
in Mères et fils, op. cit. p. 62
op. cit. p. 13
ibid, p. 17
ibid, p. 61
ibid, p 64
ibid, p. 94
ibid, p. 62
ibid, p. 90
ibid, p. 17
Histoire et sociologie du travail féminin, Paris, Gonthier, collection « Grand Format Femme », 1968, p. 192
ibid, p. 60
ibid, p. 83
ibid, p. 45
ibid, p. 87
ibid, p. 99
ibid, p. 37
ibid, p. 49
in La fabrication des mâles, op. cit. p. 65-66
ibid, p. 157
ibid, p. 142
ibid, p. 82
in Père manquant, fils manqué, op. cit. p. 58-59
op. cit. p. 93
ibid, p. 159
ibid, p. 372
in La fabrication des mâles, op. cit. p. 34
op. cit. p. 139
ibid, p . 47
ibid, p. 172
in XY, de l’identité masculine, op. cit. p. 211
op. cit. p. 158
ibid, p. 59
ibid, p. 158
ibid, p. 151
ibid, p. 89
ibid, p. 93
ibid, p. 148
ibid, p. 150
ibid, p. 9
ibid, p. 66