Introduction

Le travail de définition du sujet

Lorsque nous avons commencé ce travail de thèse, nous avions pour projet d’étudier la protection des végétaux et des réceptions dans le monde agricole en région lyonnaise après 1945. Cependant nous avons été confrontés à des problèmes de sources et de littérature qui nous ont conduits à modifier certaines des orientations guidant initialement nos travaux de recherches. Notre thèse s’est ainsi transformée en une contribution à l’évolution de la protection phytosanitaire au vingtième siècle en France. Il convient d’expliquer les raisons de ce changement.

Une étude sur la région lyonnaise après 1945 impliquait de mettre en œuvre des techniques de micro-analyse, demandant des sources importantes sur les pratiques locales. Or les entretiens préliminaires effectués auprès d’agriculteurs retraités ne permirent aucunement de dégager suffisamment d’informations exploitables. De même, la documentation relative aux interrogations que nous nous posions, dans les archives départementales consultées à titre de sondage (Rhône, Saône-et-Loire, Drôme), n’offrait que des éléments épars qui interdisent une analyse fine sur un département ou une région agricole précise. Cette carence en source a été l’élément déterminant qui nous a amené à redéfinir le sujet de notre travail.

Parallèlement l’examen de la littérature existante se révélait hautement lacunaire : la protection des végétaux, élément pourtant essentiel de l’intensification de l’agriculture au vingtième siècle en France, est très peu présente dans les travaux disponibles d’histoire rurale et d’histoire des sciences. L’importance de ce manque nous a décidé d’entreprendre une étude de fond sur la protection phytosanitaire en France au vingtième siècle. Que ce soit l’évolution quantitative et qualitative des déprédateurs, des moyens de lutte, des organismes spécifiques de promotion des traitements phytosanitaires, ou la complexité des problèmes rencontrés dans la mise en œuvre de la lutte phytosanitaire, tout restait à mettre à jour et à reconstruire.

Nous avons donc transformé notre sujet d’étude de trois manières. Tout d’abord, l’impossibilité de réaliser une analyse fine ciblant la région lyonnaise (qui possédait pourtant l’avantage de présenter des cultures variées), comme l’absence de travaux nationaux d’ensemble, nous a conduit à considérer l’ensemble du territoire métropolitain, et donc à abandonner une approche micro-historique systématique.

Ensuite, eu égard à l’importance des traitements phytosanitaires après la Libération, souvent mis en évidence par les effets secondaires qui découlent d’une utilisation massive, nous pensions limiter notre étude à la seconde moitié du vingtième siècle. Or, il nous est apparu rapidement que les pratiques, certains produits en usage et les structures agricoles spécialisées postérieurs à la Libération sont apparus, parfois en filigrane, avant la Seconde guerre mondiale. C’est pourquoi avons opté pour une analyse qui prend comme bornes chronologiques, d’une part le début du vingtième siècle, qui s’ouvre après la crise phylloxérique, et d’autre part l’interdiction de l’usage du DDT au début des années 1970.

Enfin, nous avons dû abandonner le principe d’une étude fondée sur les pratiques et comportements phytosanitaires des praticiens, répondant à des préoccupations relevant de la micro-histoire économique et sociale. Le changement de focales spatiales et temporelles nous a amené, avec le risque de paraître parfois descriptif, vers une étude permettant d’appréhender la réalité mouvante des ennemis des cultures, des produits disponibles et de l’utilisation de ceux-ci. Cependant, qu’il s’agisse de lutte biologique ou de lutte chimique, nous tentons, lorsque cela est possible, d’appréhender l’impact de ces procédés sur le comportement phytosanitaire des exploitants. En effet, malgré des modifications successives, l’orientation de nos recherches vise toujours à percevoir et à analyser les comportements habituels des producteurs dans la lutte contre les ennemis des cultures. C’est ainsi, que de la problématique initiale, essentiellement consacrée aux pratiques des exploitants, demeure l’étude d’une structure particulière, la Fédération nationale des groupements de protection des cultures, entièrement vouée à la défense des végétaux cultivés. L’étude de cette organisation, présentée dans ce travail, permet d’envisager d’une part d’approcher des acteurs départementaux et communaux et, d’autre part, de percevoir les liens qui l’unissent avec des organismes d’Etat. Parmi ces derniers se trouve le Service de la Protection des végétaux, dont la diffusion des avis de traitements fut, jusqu’au début des années 1970, confié aux fédérations départementales des groupements de protection des cultures.