Une historiographie lacunaire

La protection des cultures, élément capital de l’intensification agricole

Dès la fin du dix-neuvième siècle, les rendements des productions végétales s’accroissent considérablement. Le cas des céréales est particulièrement spectaculaire et le blé tendre constitue un exemple de choix puisque « pour 12,1 quintaux par hectare sur la période 1891-1900 et 15,5 quintaux sur 1931-1940, on passe à 22,1 quintaux sur 1951-1960, puis 31,9 ; 44,9 et 58,6 quintaux au cours des décennies suivantes »1. Cette augmentation quantitative résulte d’une évolution générale des moyens, utilisés par les praticiens, parmi lesquels nous pouvons citer les engrais, l’amélioration variétale ou la mécanisation. Au sein de ce cortège d’innovations techniques et de leurs applications, la lutte contre les déprédateurs tient une place, considérée par les scientifiques et le pouvoir politique, comme déterminante dans cette hausse des rendements. Certaines expériences permettent de démontrer la justesse de cette vision. C’est ainsi que, dans une note présentée en 1887 à l’Académie des sciences, Aimé Girard, chimiste et homme de terrain, souligne que des champs de betteraves également soumis aux engrais fournissent une récolte équivalente à 6,7 tonnes en l’absence de traitement contre 48 tonnes lorsque le principal ravageur présent se trouve éliminé2. L’élimination des ennemis des cultures demeure un souci permanent pour tous ceux qui jouent un rôle dans la production nationale au cours du vingtième siècle. Dans l’Entre-deux-guerres le ministre radical-socialiste Henri Queuille résume parfaitement cette préoccupation lorsqu’il affirme que « l’augmentation de la production agricole est liée intimement à la défense contre les parasites des plantes cultivées qui commettent chaque année des dommages considérables à l’agriculture »3.

Néanmoins, et malgré les gains de production colossaux engendrés par la protection des végétaux cultivés, il demeure souvent difficile de connaître l’ampleur des déprédations commises régulièrement. En 1967, la préface d’un ouvrage de référence, publié par l’entreprise Bayer, intitulé La protection des plantes et les récoltes dans le monde 4, signale l’impossibilité d’évaluer précisément les pertes pour chacune des 60 plantes principales cultivées sur la terre « par suite du manque de sources d’information »5. Dans la majorité des études consacrées aux conséquences économiques, la plupart des chiffres énoncés traduisent des estimations, considérées, avec juste raison, comme temporaires et approximatives6.

Notes
1.

Christian BAIN, Jean-Louis BERNARD, André FOUGEROUX, Protection des cultures et travail des hommes, Paris Le Carrousel, 1995, 263 p. [Citation p. 159].

2.

Aimé GIRARD, « Sur la destruction des nématodes de la betterave », dans Compte-rendu hebdomadaire des séances de l’Académie des sciences, tome 104, 1887, pp. 585-587.

3.

M.R.H.Q., Archives non classées, Henri QUEUILLE, discours à l’Académie d’agriculture, 1928.

4.

Ce travail considéré comme la principale source d’information sur les pertes dues aux déprédations à cette époque, et parfois cité à l’extrême fin du vingtième siècle, semble cependant absent, d’après les recherches que nous avons effectuées à l’aide des bases de données informatiques, des bibliothèques universitaires françaises.

5.

H.H. CRAMER, La protection des plantes et les récoltes dans le monde, Bayer, 1967, 518 p.

6.

Au cours de notre étude, en fonction des dégâts engendrés par les hôtes indésirables que nous évoquons, nous avancerons des chiffres traduisant des réalités particulières, plus aisées à cerner, qui permettent par conséquent de justifier l’intérêt, pour les producteurs mais aussi pour les consommateurs, d’une protection efficace des végétaux cultivés.