Pour tenter de cerner l’évolution française de la protection des végétaux, pourtant fondamentale dans l’Histoire de l’agriculture végétale du vingtième siècle, nous devons appliquer les conseils de Marc Bloch, énoncés en 1938 : « Il me paraît indispensable de demander aux spécialistes, aussitôt qu’ils quittent, précisément, leur domaine propre, de faire appel aux avis d’autres spécialistes, dûment qualifiés »9. C’est ainsi, que l’absence de données historiques relatives au combat permanent mené par les exploitants contre les ennemis des cultures au cours du vingtième siècle, engage à envisager les démarches de recherches en fonction des publications synthétiques rétrospectives issues des acteurs du développement de la protection des cultures. Ces ouvrages, limités en nombre, permettent cependant de cerner l’évolution événementielle de nombreux aspects liés aux traitements phytosanitaires. La connotation autobiographique éventuelle, parfois discrète, permet à d’anciens responsables ou acteurs de transcrire les faits marquants des organismes dirigés. Ces travaux sont particulièrement instructifs et révèlent bien souvent des anecdotes et des détails significatifs de l’état d’esprit des chercheurs qu’il eut été impossible de découvrir par ailleurs.
En dehors d’un livre grand public intitulé Protection des cultures et travail des hommes, particulièrement riche en illustrations tout en possédant de nombreuses citations permettant d’approcher les réalités techniques depuis la fin du dix-neuvième siècle, nous n’évoquerons ici que les travaux auxquels nous nous référons au cours de notre étude. Parfois, comme cela se présente pour la Chronique historique de la zoologie agricole française, réalisée par Pierre Grison10, éditée en 1992 par l’I.N.R.A., ouvrage qui retrace avec force détails, un siècle d’entomologie appliquée, les témoignages, voire les anecdotes, présentés révèlent l’évolution de l’état d’esprit des chercheurs et applicateurs des découvertes.
Mais, dans certains cas, l’aspect hagiographique de ces écrits, par ailleurs remarquables de concisions, en font des outils habiles d’action psychologique. Ce phénomène n’enlève rien à l’exactitude des évènements présentés et ne constitue aucunement un écueil puisque le lecteur demeure bien souvent prévenu. Ainsi, le Président de l’Union des industries de la protection des plantes (U.I.P.P.) présente en 1986 un fascicule consacré à l’évolution de cette structure : « En dépit du proverbe “les peuples heureux n’ont pas d’histoire”, il ne faut voir dans les pages que vous vous apprêtez à parcourir que le souci de retracer le cheminement d’une profession dynamique »11. Enfin, outre les dictionnaires biographiques des entomologistes12 et des phytopathologistes13, il est un ouvrage, intitulé La phytopharmacie française, chronique historique, qui, d’après les termes mêmes des auteurs, prend en compte « l’évolution de tous les aspects de la science phytopharmaceutique, avec ses prolongements industriels, juridiques et économiques ». Véritable annuaire historique des organismes impliqués dans la défense des cultures, ce livre traduit l’évolution des préoccupations d’une multitude de structures14.
Les ouvrages collectifs, rédigés à l’occasion d’anniversaires ou de commémorations, proposent également des pistes de recherches pour les travaux historiques. Ils permettent de cerner, rapidement, les grands traits d’une évolution et de distinguer, par la même, les grandes modifications et les changements apportés par telle ou telle découverte ou application. Réalisé en complément du symposium organisé en 1988 par l’Académie d’agriculture pour son bicentenaire, le livre au titre évocateur, Deux siècles de progrès pour l’agriculture et l’alimentation, 1789-1989, constitue une première synthèse. La protection des végétaux y possède une part non négligeable grâce à un chapitre réalisé par Paul Pesson, Professeur à l’INA, qui, dès les années 1950 contestait dans un ouvrage grand public, l’usage unique des pesticides chimiques15. Le sous-titre même du chapitre de Pesson, de l’empirisme à la lutte intégrée, indique par ailleurs la prédominance des entomologistes sur les autres chercheurs.
L’ensemble des œuvres citées précédemment, bien qu’elles soient rédigées par des acteurs de premier plan, ayant non seulement eu des responsabilités dans des secteurs d’importance capitale, mais ayant été également en contact direct avec les praticiens ou leurs représentations professionnelles, ne s’attardent que fort peu, sans toutefois les omettre, sur les répercussions des méthodes de lutte chez les agriculteurs.
Au final, les travaux historiques produits par les scientifiques et les professionnels de la protection des végétaux, s’ils sont des sources d’information intéressantes, restent insuffisants pour appréhender tout à la fois les problèmes phytosanitaires rencontrés par l’agriculture française au vingtième siècle, les moyens de lutte développés et les pratiques des exploitants.
Marc BLOCH, Les caractères originaux de l’Histoire rurale française, tome 2, paris, éditions de 1956, Armand Colin, 230 p. [La citation est extraite de l’introduction de Robert Dauvergne, p. XX].
Pierre GRISON, Chronique historique de la zoologie agricole française, Livre premier, Guyancourt, Département de zoologie agricole de l’I.N.R.A., 1992, 366 p.
François LE NAIL, Yves DEFAUCHEUX, L’industrie phytosanitaire, (1918-1986), soixante-huit ans d’organisation syndicale en France, Boulogne, U.I.P.P., 1987, 85 p.
Jean LHOSTE, Les entomologistes français, 1750-1950, Versailles, I.N.R.A./O.P.I.E., 1987, 355 p.
Jacques PONCHET, Jean LHOSTE, Histoire de la phytopathologie et des artisans de son évolution en France, Echauffour, 1994,
Jean LHOSTE, Pierre GRISON, La phytopharmacie française, chronique historique, Paris, I.N.R.A., 1989, 280 p.
Paul PESSON, Le monde des insectes, Paris, Horizons de France, 1958, 206 p.