B. Inventaire des déprédateurs

Cerner le nombre de déprédateurs s’attaquant aux cultures françaises ne constitue pas un travail aisé. Le grand nombre de végétaux cultivés nous empêche d’obtenir des chiffres relativement précis. Au début du vingtième siècle, le nombre d’espèces cultivées en France est d’environ 330 plantes (utiles ou ornementales). Ce chiffre correspond à 16 espèces de fruitiers, 28 de plantes potagères, 38 de céréales et fourrages, 85 de plantes médicinales, 117 de plantes basses ornementales et 34 d’arbres et arbustes d’ornements40. Un siècle plus tard, ce nombre est nettement plus élevé, notamment en ce qui concerne les végétaux ornementaux.

Par ailleurs, à une époque donnée, le nombre de déprédateurs n’est pas stable. Des déprédateurs occasionnels commettent parfois des dégâts immenses et disparaissent ensuite pendant des décennies. Les exemples sont nombreux au cours du dix-neuvième siècle et, dans une moindre mesure, en raison de la généralisation des traitements, du vingtième. Eu égard à l’impossibilité d’établir une liste, même très incomplète, des dégâts engendrés par des pullulations temporaires d’ennemis provisoires, nous ne présenterons que deux exemples. La vigne est ainsi victime de plusieurs espèces de lépidoptères qui proviennent de plantes basses contiguës aux cultures. En 1931, un sphinx migrant (Hyles lineata) s’abat en de nombreux endroits de France et commet de sérieux dégâts41. En avril 1939, un coléoptère de la même famille que le doryphore, nommé galéruque de l’aulne (Agelastica alni), attaque subitement plusieurs arbres fruitiers (pommiers, poiriers, pruniers et noisetiers) et les rosiers dans plusieurs départements du sud-ouest français42. Ces invasions, susceptibles de compromettre des productions variées, ne se manifestent que lorsque les aulnes, hôtes habituels, subissent la sécheresse. Les feuilles deviennent alors plus coriaces (région de Mâcon en 1906), ou tombent (sud-ouest en 1939)43. Dans les ouvrages récapitulatifs, les ravageurs occasionnels, lorsqu’ils sont cités, ne donnent pas lieu à un grand développement.

Le nombre d’espèces, ou d’agents infectieux (dans le cas des maladies virales), de déprédateurs varient, pour des publications contemporaines, d’un ouvrage à l’autre. Afin d’obtenir un aperçu du nombre d’organismes considérés comme ennemis des cultures, nous avons retenu une série de guides publiés en Suisse au cours du vingtième siècle. Les divers problèmes phytosanitaires abordés ne trahissent pas une grande différence avec la situation française. De plus, dans de nombreux cas, les déprédateurs absents de la Confédération helvétique, mais présents en France sont succinctement décrits. C’est ainsi que le Pou de San José et le Black-rot trouvent une place dans l’édition de 1943. Les auteurs, officiant à la station fédérale de Lausanne, entretiennent par ailleurs des relations professionnelles avec leurs homologues français. Enfin, la série d’ouvrages considérée constitue une référence pour les vulgarisateurs et spécialistes français et toutes les bibliothèques, possédant des fonds liés à l’agriculture, que nous avons consultées, des lycées agricoles aux Universités, en détiennent au moins une édition. L’ouvrage de 1934, que nous avons considéré comme première référence, correspond à un remaniement d’une publication antérieure, plus restreinte quant aux thèmes abordés, de 1909, réactualisée en 1917 et en 1923, simplement intitulé Les maladies des plantes cultivées et leur traitement. En 1934, le titre devient Les ennemis des plantes cultivées et se transforme en 1943, pour ne plus subir de modifications jusqu’en 1972, en La défense des plantes cultivées. Nous pouvons résumer le nombre de déprédateurs, à partir des éditions dont nous nous sommes servis, dans le tableau suivant.

Tableau n° 1. Liste du nombre d’espèces de déprédateurs répertoriés entre 1934 et 1972.
  1934 1943 1953 1967 1972
Virus 1 5 5 105 109
Bactéries 5 5 5 14 14
Champignons 77 80 80 153 173
Nématodes 6 6 6 12 13
Acariens 5 6 7 21 23
Insectes 140 145 155 267 278
Mollusques 2 4 4 6 6
Oiseaux 0 0 0 8 8
Mammifères 0 4 4 19 19

L’inventaire réalisé, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, constitue un élément d’appréhension de l’évolution numérique des déprédateurs. Ce chiffrage, strictement descriptif, permet de constater un accroissement considérable des espèces ou agents infectieux contre lesquels les producteurs doivent se prémunir. Nous devons tenter, avant d’aborder les remèdes disponibles, de fournir des explications des modifications quantitatives que nous venons de signaler.

Notes
40.

ANONYME, « Le nombre des plantes utiles comparées à celui des nuisibles » dans la revue bibliographique du Bulletin de la Société de pathologie végétale de France, tome 2, 1915, p.81 [Commentaire des travaux de Paul NOEL, directeur de la station d’entomologie agricole de la Seine-inférieure, et extrait d’un article de la Revue horticole de l’Algérie, juillet-décembre 1914]

41.

Jean BRUNETEAU, « À propos des invasions de sphinx », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, n°1, janvier 1932

42.

A. S. BALACHOWSKY, « Sur les dégâts provoqués par la galéruque de l’Aulne dans les cultures fruitières du sud-ouest de la France, par modification accidentelle de son régime alimentaire », dans Bulletin de la Société entomologique de France, juin 1939, tome 44, pp. 174-175

43.

Jean FEYTAUD, « Sur les parasites accidentels de la vigne et des arbres fruitiers », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, n°1-2, janvier-février 1940, pp. 13-16

44.

Les ouvrages utilisés sont les suivants :

Henry FAES, Marc STAEHELIN, Paul BOVEY, Les ennemis des plantes cultivées, Publié par l’Association suisse des Professeurs d’agriculture, Librairie Payot, 1934, 384 p.

Henry FAES, Marc STAEHELIN, Paul BOVEY, La défense des plantes cultivées, Publié par l’Association suisse des Professeurs d’agriculture, Librairie Payot, 1943, 510 p.

Henry FAES, Marc STAEHELIN, Paul BOVEY, La défense des plantes cultivées, Publié par l’Association suisse des Professeurs d’agriculture, Librairie Payot, 1953, 647 p.

Paul BOVEY (sous la direction de), La défense des plantes cultivées, Publié par l’Association suisse des Professeurs d’agriculture, Librairie Payot, 1967, 847 p.

Paul BOVEY (sous la direction de), La défense des plantes cultivées, Publié par l’Association suisse des Professeurs d’agriculture, Librairie Payot, 1972, 863 p.