1. De la loi de 1903 au congrès de défense sanitaire de 1934

En 1903, la promulgation d’une loi réglemente le commerce des produits cupriques, ces derniers étant essentiellement destinés à combattre les maladies cryptogamiques de la vigne120. Elle oblige les fabricants et vendeurs à annoncer la proportion de cuivre lors des transactions. Certains parlementaires regrettent d’ailleurs la stricte limitation de ce texte121. La fabrication et la vente des substances phytosanitaires, dans leur ensemble, sont régies ultérieurement par la loi du premier août 1905 sur la répression des fraudes. Cette dernière punit les tromperies sur « la nature, les qualités substantielles, la composition, la teneur en principe utile de toutes marchandises »122. Or, excepté pour les bouillies cupriques, seuls les cas de fraudes manifestes tombent sous le coup de la loi de 1905. En effet, « des poursuites auraient peu de chances d’aboutir en raison des difficultés qu’éprouverait l’administration à faire preuve de l’inefficacité du produit litigieux »123.

Face à un tel vide législatif, de nombreuses personnalités envisagent une modification des textes dans le sens de l’intérêt des praticiens mais aussi de l’agriculture nationale. Se référant à la législation américaine, connue sous le nom d’Insecticide act(voté par le Congrès le 26 avril 1910), destinée à lutter contre les falsifications, les nuisances potentielles pour les cultures et l’inefficacité des produits, Paul Marchal, Directeur de la station entomologique de Paris, souhaite ardemment un contrôle du spectre d’activité des pesticides. Lors du compte-rendu de son voyage aux Etats-Unis, publié en 1916, il écrit : « Une des garanties essentielles que doit prendre une organisation qui se propose la protection des cultures et la lutte contre leurs ennemis, est celle qui consiste à assurer l’efficacité des substances insecticides ou fongicides mises à la disposition des agriculteurs et des horticulteurs »124. Mais, malgré de tels souhaits, aucun changement n’intervient rapidement. En 1925, Fernand Willaume, préparateur à la station entomologique de Paris, compare la situation des produits phytopharmaceutiques à celle des engrais avant les textes réglementaires de 1925 et même du 4 février 1888, obligeant les fabricants à signaler la composition des produits vendus125.

Le résultat d’une tel désintérêt politique entraîne des répercussions chez les praticiens. Lors du Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, tenu à Lyon en 1926, Fernand Willaume assure que les abus engendrent une situation catastrophique et que, par conséquent, « le terme insecticide complètement dévoyé, est devenu, dans nos campagnes, synonyme de “Poudre de perlimpinpin” et qu’on hésite souvent à l’employer par crainte de se donner une allure de charlatan »126. Or, après une enquête diligentée par Willaume, probablement entre 1925 et 1926, il apparaît que de nombreux fabricants de substances phytosanitaires souhaitent un contrôle de l’Etat afin de s’assurer une plus grande crédibilité. S’appuyant sur l’intérêt commun des agriculteurs et des entreprises, le congrès de 1926 émet le vœu suivant : « Qu’une loi intervienne pour résoudre la question de la réglementation et du contrôle de tous les produits destinés à combattre les ennemis des végétaux, produits qui, dans l’état actuel de la législation, sont fournis aux agriculteurs dans des conditions n’offrant aucune garantie sérieuse relativement à la composition de la marchandise et que cette loi soit appliquée à l’Algérie »127.

La présence de quelques députés lors de ce congrès constitue un relais entre scientifiques et praticiens d’une part et pouvoirs publics d’autre part. Ainsi, le Ministre de l’agriculture, Henri Queuille, dépose un projet de loi, destiné à rendre public la composition des produits commerciaux, le 12 janvier 1928128. Aucune suite n’étant donné par le Parlement à ce texte, le député Edouard Barthe, présent au congrès de Lyon en 1926, dépose une proposition sur la répression des fraudes dans le commerce des produits phytosanitaires le 28 mai 1929129. Cette dernière reprend les termes du projet de loi d’Henri Queuille. Comme Willaume l’affirme lors du Congrès de la défense sanitaire des végétaux en 1934, « ce qui empêche la proposition Barthe d’aboutir, c’est qu’on n’a pas pu tomber d’accord sur les méthodes de contrôle »130.

Notes
120.

« Loi réglementant le commerce des produits cupriques anticryptogamiques », loi du 4 août 1903, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets,7 août 1903, p. 5097. [Le texte de 1903 est complété par une loi du 18 avril 1922, J.O. du 25 avril 1922, p. 4271).

121.

Rapport du Sénateur Ricard, DP 1903, 4-79 [Cité par François Rioufol, La réglementation des produits à usage agricole, Thèse de droit, Université des sciences sociales de Toulouse, octobre 1974, 237 p.]

122.

« Loi sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des denrées alimentaires et des produits agricoles », 1er août 1905, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 5 août 1905, pp. 4813-4815 [Citation de l’article 1].

123.

Fernand WILLAUME, « Les problèmes actuels des insecticides », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, Paris, Service agricole de la compagnie P.-L.-M., 1927, pp. 317-345 [F. Willaume cite E. Roux, Directeur du service de la répression des fraudes et Conseiller d’Etat].

124.

Paul MARCHAL, « Les sciences biologiques appliquées à l’agriculture », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties en 1914, tome 3, 1916, pp. 31-382

125.

Fernand WILLAUME, « Esquisse d’un plan de sélection rationnelle des produits insecticides et fongicides », dans Revue de pathologie végétale et d’entomologie agricole, tome 12, fascicule 3, juillet-septembre 1925, pp. 207- 224

126.

Fernand WILLAUME, « Les problèmes actuels des insecticides », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, Paris, Service agricole de la compagnie P.-L.-M., 1927, pp. 317-345

127.

Vœu situé après le rapport de Fernand WILLAUME, « Les problèmes actuels des insecticides », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, Paris, Service agricole de la compagnie P.-L.-M., 1927, pp. 317-345

128.

« Projet de loi sur la répression des fraudes dans le commerce des produits insecticides et fongicides. (Annexe n° 5305)», dans Journal officiel de la République française, Documents parlementaires (Chambre des députés), volume 2, 1928, pp. 17. [Projet de loi présenté le 12 janvier 1928].

129.

« Proposition de loi sur la répression des fraudes dans le commerce des produits utilisés pour la destruction des ravageurs des cultures. Annexe n° 1637 », dans Journal officiel de la République française, Documents parlementaires (Chambre des députés), volume 2, 1929, pp. 691-692. [proposition de loi présentée le 23 mai 1929].

130.

F.-L. BRANCHER, « La répression des fraudes dans le commerce des produits insecticides et fongicides », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome II, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 281-287 [Intervention de Fernand Willaume p. 286].