3. Application et modification de la loi de 1943

Le décret-loi du 2 novembre 1943 prévoit un contrôle des antiseptiques, fongicides, herbicides et de tous les produits concernant la destruction des vertébrés et invertébrés. Ce texte, nous l’avons précédemment énoncé, prétend essentiellement protéger les agriculteurs des abus industriels en n’autorisant que les substances véritablement dotées d’une action efficace. La réalisation pratique de l’homologation se traduit par la création de deux organismes. Le premier, nommé Commission des produits antiparasitaires à usage agricole, possède une triple fonction. Cette structure doit concourir à « entourer les utilisateurs de toutes les garanties d’efficacité » des produits phytosanitaires, définir « les méthodes de contrôle de composition et de l’efficacité » des substances soumises à son approbation et « donner son avis aux questions qui lui seront soumises par les secrétaires d’Etat intéressés ». La seconde organisation, dénommée Comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole, correspond à la mise en place des décisions prises par la commission précédente. Ainsi, il est du ressort du Comité de faire effectuer les essais d’homologation définis par la Commission des produits et de « soumettre aux secrétaires d’Etat intéressés un rapport comportant des propositions quant à la suite à donner à la demande d’homologation ». De plus, est octroyé au comité le rôle de proposer « toute étude scientifique jugée susceptible d’améliorer les conditions de la lutte contre les parasites agricoles ».

Cependant, le rôle d’une autre structure, mise en place en 1934 par le Ministre Henri Queuille, dénommée Commission chargée d’étudier l’emploi des toxiques155, demeure capital. En effet, durant trente ans, de 1942 à 1972, elle émet, transmis au Comité d’étude des produits anti-parasitaires, des avis sur plus de 500 substances et examine une centaine de projets de règlements156. Mais, si l’ensemble du système de contrôle de l’Etat permet l’homologation, de 1943 à 1972 de 6 200 produits phytosanitaires sur 14 355 demandes formulées par les fabricants157, il incombe, après la Seconde guerre mondiale, à la commission promulguée par Queuille d’étudier les problèmes toxicologiques liés aux conséquences sur l’Homme et les animaux utiles158.

Cependant, les obligations imposées par des textes prenant en compte essentiellement les considérations d’efficacité ne répondent plus aux attentes de l’opinion et du législateur. De plus, le cadre des textes en vigueur ne prend pas en compte l’homologation de certaines formulations chimiques. Ces dernières, qui permettent de lutter contre des nouveaux types de déprédateurs (bactéries par exemple) ne sont pas véritablement des antiparasitaires sans toutefois correspondre à des antiseptiques (notion précisée en 1943).

En 1972, la loi de 1943 sur l’homologation connaît donc un réajustement par rapport aux préoccupations de l’État vis-à-vis de l’environnement et des effets toxicologiques. Bernard Pons, alors Secrétaire d’État à l’agriculture et au développement rural, insiste particulièrement sur les résidus des pesticides découverts dans le lait159. Pons exprime en quelque ligne le rôle des modifications envisagées (puis adoptées) : « L’esprit de la loi de 1943 visait essentiellement à protéger l’agriculteur. Et la modification qui vous est proposée aujourd’hui conserve, faut-il le dire, cette préoccupation. Mais une autre préoccupation retient en outre l’attention du législateur, celle de lutter contre la pollution, et notamment contre l’apparition de résidus chimiques dans les aliments et les eaux, ou contre les atteintes qui pourraient être portées à l’environnement par la destruction de la faune et de la flore »160.

Notes
155.

Cette commission est abordée succinctement dans la Seconde partie, Chapitre 6, « La Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures », section III.B.1.

156.

R. TRUHAUT, R. SOUVERAIN, « La commission interministérielle et interprofessionnelle de l’emploi des toxiques en agriculture », dans Bulletin technique d’information du Ministère de l’Agriculture, n° 287, Février-Mars 1974, pp. 195-204

157.

Michel SORDEL, « Rapport de la commission des affaires économiques et du Plan », in “Contrôle des produits antiparasitaires”, dans Journal officiel de la République française, Sénat, séance du 2 novembre 1972, pp. 1911-1918

158.

Circulaire du 4 mai 1948. [Citée par François RIOUFOL, La réglementation des produits antiparasitaires à usage agricole, Thèse pour l’obtention du doctorat en droit, présentée et soutenue en octobre 1974 à l’Université des sciences sociales de Toulouse].

159.

Dès 1969, les USA refusent l’entrée de certaines denrées françaises. En 1971, une mission française est envoyée aux U.S.A. et au Canada afin d’étudier les polluants chimiques présents dans les produits laitiers français (A.N.F.,16 DQ 50). Certains pays comme l’Allemagne effectuent des analyses en 1970 : « Ces sondages ont été décidés à la suite des refoulements de fromages français par les autorités américaines en 1969. Sur 24 analyses effectuées, dans deux cas, la teneur de D.D.T. révélée aurait atteint 1,5 ppm alors que le maximum toléré en R.F.A. serait de 1,25, lui-même plus élevé que le seuil recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé » (A.N.F.,16 DQ 50), lettre de l’attaché agricole près l’ambassade de France à Bonn, 13/04/1970). En 1975, un rapport de l’I.T.E.B. explique cette apparition de divers pesticides par un changement de pratique dans les élevages (retournement des prairies naturelles et traitements). Ainsi, « la contamination en résidus d’heptachlore-epoxyde et de dieldrine de la ration de base des vaches laitières est relativement importante à la fin de l’hiver 1971-1972 » (A.N.-F, 5 SPV 13).

160.

Allocution de Bernard PONS, in « Contrôle des produits antiparasitaires », dans Journal officiel de la République française, Débats parlementaires (Sénat), séance du 2 novembre 1972, pp. 1911-1918