La vente, incontrôlée, des arsenicaux ne permet aucune estimation précise de la quantité commercialisée. Nous savons cependant qu’en 1910, une quinzaine de départements usent occasionnellement de composés arsenicaux, essentiellement comme rodonticides, et 17 connaissent une utilisation plus rationnelle de ces substances en tant qu’insecticides. Le tableau ci-dessous (n° 7) récapitule les départements au sein desquels les agriculteurs utilisent les arsenicaux. Aucune donnée n’est signalée concernant des départements pourtant susceptibles de profiter rapidement de l’évolution phytopharmaceutique. C’est le cas du Rhône, du Lot-et-Garonne ou encore du Tarn-et-Garonne.
| Eure-et-Loir | Aude |
| Gironde | Côte-d'Or |
| Haute-Garonne | Gard |
| Loir-et-Cher | Indre-et-Loire |
| Marne | Hérault |
| Nièvre | Loire-Inférieure |
| Oise | Maine-et-Loire |
| Puy-de-Dôme | Haute-Marne |
| Haute-Savoie | Pyrénnées-Orientales |
| Var | Seine-et-Marne |
| Vaucluse | Vendée |
| Vienne | Alger/Oran/Constantine |
| Haute-Vienne |
Les renseignements consignés ci-dessus, fournis par le Ministère de l’Intérieur à l’Académie de médecine, apparaissent comme parfois sujets à caution. La Gironde constitue probablement un cas litigieux. En effet dès 1906, le conseil de salubrité et d’hygiène publique de ce département manifeste son désaccord vis-à-vis de l’usage des arsenicaux. De plus, dès 1911, l’usage généralisé, au sein de certains vignobles, des insecticides à base arsenicale est attesté par divers articles. Ce fait tend à prouver que les composés arsenicaux ne constituent pas une nouveauté phytosanitaire propre à l’année 1911. L’Académie de médecine émet elle même des réserves quant à la validité de cette enquête administrative. Outre le fait qu’ils ne soient pas médicalement fiables, les rapports, réalisés par des professeurs d’agriculture et des médecins sont demandés à une période de l’année où les insecticides connaissent un usage occasionnel221. Cependant, d’autres sources permettent de cerner la quantité de produits utilisée dans certains départements consommateurs.
H.Bertin-Sans, Professeur d’hygiène à la faculté de Montpellier, corrobore les allégations de M. Roos222, directeur de la station œnologique de l’Hérault, en affirmant en 1907 : « C’est par tonnes que ces produits sont répandus au printemps sur les vignes de nos départements viticoles »223. En 1911, la quantité de produits arsenicaux répandue dans l’Hérault correspond approximativement à 300 tonnes224. L’exemple d’un droguiste montpelliérain qui a livré, en 1907, plus de deux tonnes d’arsenicaux est reproduit régulièrement par diverses revues médicales. Eu égard au fait que ce vendeur soit cité durant plusieurs années, il est certain qu’il s’agit plus d’un cas remarquable que d’un échantillon représentatif. Les diverses informations, qui transparaissent au sein des multiples témoignages publiés, traduisent, avant la Première guerre mondiale, essentiellement des faibles quantités achetées par les cultivateurs métropolitains. Dans l’Hérault, en 1907, « il s’est vendu à Montpellier même, plusieurs milliers de kilogrammes de sels d’arsenic par fractions de 10, 5, 2 kilogrammes et même moins »225. Ces renseignements, fournis par le directeur de la station œnologique départementale, n’apparaissent que pour renforcer l’idée que les petites et grandes exploitations manifestent une réceptivité identique aux nouveaux produits phytosanitaires. Ce phénomène se révèle également dans les descriptions des échoppes. Le médecin Paul Cazeneuve décrit, en 1913, le lieu type d’approvisionnement des petites quantités d’arsenicaux par les cultivateurs : « Il n’est pas rare aujourd’hui de voir dans les épiceries-drogueries des commerçants peser, empaqueter et débiter de l’arséniate de soude ou de l’arséniate de plomb sur le même comptoir où ils vendent du fromage ou des denrées alimentaires »226. Outre l’impossibilité de cerner l’étendue d’un phénomène illégal, résultant d’une vente atomisée, un autre fait rend difficile toute estimation quantitative précise et nationale. En dehors de l’imprécision relative des dosages de matière active au sein de produits commerciaux, les détaillants ne connaissent pas toujours la composition de ce qu’ils vendent. Ainsi, en 1915, Louis Ravaz, spécialiste de viticulture, note que, pour lutter contre les larves de certains déprédateurs, « on utilise diverses mixtures qui, dit-on, sont à base d’arsénite ou d’arséniate de soude »227. Le secret de fabrication est une habitude qui perdure après la Première guerre mondiale. En 1921, Paul Cazeneuve, cite un produit responsable de la mort de plusieurs personnes. Il s’agit de l’occipyral, « spécialité arsenicale sur la composition exacte de laquelle on n’est pas fixé »228.
DUGUET, « Rapport sur l’emploi des sels arsenicaux en agriculture », dans Bulletin de l’Académie de médecine, tome 63, 1910, volume 1, séance du 28 juin, pp. 657-659
Cité par Alf. RICHE, « Au sujet de l’emploi de l’arsenic pour la destruction des insectes nuisibles à l’agriculture », dans Comptes-rendus des travaux du conseil d’hygiène publique et de salubrité de la Seine, séance du 9 novembre, 1906, pp. 795-810 [Réponse, en date du 7 juin 1907, à une demande de renseignement présentée par le Conseil d’hygiène de la Seine]
H. BERTIN-SANS, V. ROS, « L’emploi de l’arsenic en agriculture, ses dangers », dans Revue d’hygiène et de police sanitaire, tome 29, 1907, pp. 193-217
André LATTES, Le danger arsenical en viticulture, Thèse soutenue à la faculté de médecine de Montpellier le 12 juillet 1922, [information p. 16].
Cité par Alf. RICHE, « Au sujet de l’emploi de l’arsenic pour la destruction des insectes nuisibles à l’agriculture », dans Comptes-rendus des travaux du conseil d’hygiène publique et de salubrité de la Seine, séance du 9 novembre, 1906, pp. 795-810 [Réponse, en date du 31 juillet 1907, à une demande de renseignements présentée par le Conseil d’hygiène de la Seine]
Paul CAZENEUVE, « La réglementation des substances vénéneuses employées en agriculture », dans l’Horticulture nouvelle, 10 novembre 1913, n°21, pp. 411-414
Louis RAVAZ, « À propos des traitements arsenicaux », in “Chronique”, dans Le progrès agricole et viticole, 3 octobre 1915, pp. 317-318
Paul CAZENEUVE, « Sur plusieurs cas d’intoxication mortelle par l’arsenic dans les milieux viticoles », dans Bulletin de l’Académie de médecine, série 3, tome 85, vol. 1, 1921, pp. 660-671. [Ce texte est publié par la suite dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale (série 4, tome 36, vol. 2, 1921, pp. 101-114) et dans la Revue de viticulture (tome 55, n° 1431, décembre 1921, pp. 401-409)].