3. Économie financière et complexité d’emploi

Afin de sauvegarder une récolte commercialisable, tous les cultivateurs demeurent dans l’obligation de réaliser plusieurs traitements par saison. Qu’il s’agisse de viticulture ou d’arboriculture, le nombre de traitements préconisés, avant 1914, varie de 5 à 7 par campagne. Les agriculteurs qui s’astreignent à suivre un calendrier phytosanitaire manipulent obligatoirement des substances particulièrement toxiques. Les arsenicaux permettent de réaliser des économies de temps et donc de main-d’œuvre par rapport au ramassage manuel et aux divers travaux répétitifs préconisés antérieurement. Le coût des bouillies arsenicales se manifeste cependant par une forte amplitude en fonction des éléments qui entrent dans la composition du produit utilisé. Ainsi, au cours des premières années du vingtième siècle, « l’arsénite de chaux à la soude est le moins cher, car il dépasse à peine le quart de celui du vert de Paris […] ou de l’arséniate de plomb, et n’atteint guère que la moitié de celui du vert de Scheele ». Mais, surtout, « Ils reviennent encore meilleur marché lorsqu’ils sont préparés à la ferme »229. Or, ce type d’économie entraîne des fabrications locales particulièrement difficiles à mettre en œuvre. Nous prendrons comme exemple, la préparation de l’arséniate de plomb, dont la manipulation est considérée comme facile et qui, de plus, s’allie parfaitement à la bouillie bordelaise230. Jouissant « d’une certaine faveur auprès de bon nombre d’agriculteurs »231, l’arséniate de plomb correspond à un produit doublement toxique puisqu’il contient des éléments arsenicaux et plombiques.

Dans un article, publié en 1917 dans le Progrès agricole et viticole, Degrully, rédacteur en chef de l’édition du midi, donne un aperçu des préparations possibles destinées à l’éradication des cochylis. Deux solutions s’offrent aux cultivateurs souhaitant opérer un traitement mixte (fongicide et insecticide). La première, simple, nécessite seulement la possession d’une balance relativement fiable. L’arséniate de plomb commercial se trouve en principe vendu sous forme de pâte et ce, probablement dès le début de la décennie 1910-1920232. « Les doses à employer sont de 800 à 1 200 grammes par hectolitre d’eau ou de bouillie cuprique (correspondant à 200 à 300 grammes d’arséniate de soude, en chiffres approchés). Dans la bouillie cuprique préparée comme d’habitude, on ajoute l’arséniate de plomb délayé dans quelques litres d’eau : on brasse et c’est tout »233.

La seconde alternative, moins onéreuse, consiste à préparer l’arséniate de plomb sur le terrain. Il convient alors de dissoudre (en fonction de l’humidité locale et du taux d’infestation des cochylis) 200 ou 300 grammes d’arséniate de soude anhydre dans 25 litres d’eau. La même opération est requise avec l’acétate neutre de plomb à concurrence de 600 ou 900 grammes, suivant les critères précédemment cités, dans 75 litres d’eau. La suite de l’opération consiste à verser, en agitant, la solution d’acétate dans celle d’arséniate. Par la suite, les exploitants doivent encore réaliser le mélange de la solution cuprique et arsenicale, dont il convient, afin d’obtenir un dosage exact, de doubler les proportions de chacun des composants des bouillies originelles. Bien que les bouillies à base d’arséniate de plomb soient « d’autant plus légères et plus adhérentes qu’elles sont fraîchement préparées », la station entomologique de Paris précise que les bouillies bordelaises arsenicales nécessitent une préparation de la partie cuprique devant être effectuée la veille234.

Si ce type de préparation ne demande aucune notion particulière de chimie, elle oblige cependant les préparateurs à une discipline fondée sur l’observation précise des instructions d’exécution (respect des doses et des étapes du processus de fabrication). La fabrication de tels produits de traitements correspond à une réalité quantitativement inchiffrable mais réelle. En 1913, Paul Cazeneuve s’insurge contre la préparation de l’arséniate de plomb par les utilisateurs, en expliquant que « l’on trouve tout simple qu’un brave vigneron manipule de l’arséniate de soude et des sels de plomb, se souille les mains, les vêtements, au milieu de ses enfants et du personnel de la maison, sans réglementer en quoi que ce soit cet usage »235.

Notes
229.

A. TRUELLE, « L’emploi de la bouillie bordelaise arsenicale en arboriculture », dans Journal d’agriculture pratique, tome 1, 1906, pp. 502-504

230.

BRIOUX, GRIFFON, « Les traitements arsenicaux en arboriculture fruitière », dans Le Sud-est, avril 1911, pp. 159-164

231.

F. MUTTELET, F. TOUPLAIN, « L’arséniate de plomb en viticulture », dans Annales des falsifications, n°39, janvier 1912, pp. 9-16

232.

Charles DUBOIS, « Procédé de préparation de l’arséniate de plomb en pâte à l’eau, avec ou sans addition de savon ou de Sapindus pour la destruction des insectes et parasites de la vigne », dans La revue des produits chimiques, n°11, 10 avril 1912, p. 164. [La recette de préparation de l’arséniate de plomb en pâte consiste de préférence en un mélange d’azotate de plomb et d’arséniate de soude. Le pouvoir insecticide de cette préparation est supérieur au mélange courant réalisé par les cultivateurs à l’aide d’acétate de plomb et d’arséniate de soude].

233.

L.DEGRULLY, « Cochylis et bouillies arsenicales », in “Chronique”, dans Le progrès agricole et viticole, n°19, mai 1917, p. 437-439

234.

ANONYME, « Traitement des arbres fruitiers », dans L’horticulture nouvelle, n°2, 1917, pp. 35-39 [D’après une instruction de la station entomologique de Paris, intitulée “Traitements arsenicaux contre les insectes des arbres fruitiers”]

235.

Paul CAZENEUVE, « La réglementation des substances vénéneuses employées en agriculture », dans L’horticulture nouvelle, n°21, 1913, pp. 411-414