2. Des textes appliqués avec retard

Essentiellement utilisés pour les traitements de la vigne et des arbres fruitiers, les arsenicaux demeurent irremplaçables. Bien que les viticulteurs puissent traiter les vignes par d’autres procédés, le manque de main-d’œuvre interdit la généralisation de telles méthodes de lutte244. De plus, l’achat séparé de l’arséniate de soude et de l’acétate de plomb constitue une économie financière par rapport à l’acquisition de l’arséniate de plomb manufacturé. Enfin, comme le remarque L. Degrully dans un article du Progrès agricole et viticole, publié au printemps 1917, le meilleur moyen d’éliminer les stocks d’arséniate de soude, acquis en toute illégalité, « est de s’en servir »245.

Ainsi, eu égard aux conditions particulières engendrées par la Première guerre mondiale, la vente et l’épandage des arsenicaux solubles sont légalisés temporairement, en traitement d’hiver, pour la lutte contre les insectes des vignes et des arbres fruitiers. Dans un premier temps, le Ministre de l’Agriculture publie une circulaire autorisant l’écoulement des préparations arsenicales solubles pendant un délai de quatre mois à partir du premier janvier 1917246. Cependant, la prohibition des arsenicaux solubles, tardivement suspendue, « a empêché un grand nombre de viticulteurs d’avoir recours aux badigeonnages arsenicaux» pour lutter, durant l’hiver, contre la pyrale de la vigne247. Parmi les protestations émises, la Confédération générale des viticulteurs (C.G.V.) souhaite la levée de l’interdiction d’utilisation des arsenicaux solubles. Le gouvernement, sensible aux récriminations des producteurs, mais également à la baisse possible des rendements, repousse une nouvelle fois l’application du décret de 1916. Ainsi, le 5 août 1917, une décision ministérielle étend la possibilité d’utilisation des arsenicaux solubles de la fin des vendanges au premier mai 1918248. Or, certains viticulteurs ne peuvent se procurer les produits nécessaires à cause de la pénurie engendrée par la guerre et Le progrès agricole et viticole recommande la destruction manuelle de certains ravageurs249. Une dernière dérogation intervient en 1921. Le 27 avril, une décision ministérielle permet, à nouveau l’usage des arsenicaux solubles entre la fin des vendanges et la reprise de la végétation au printemps 1922. Le contournement légal du décret de 1916 devient, pour certains spécialistes, une habitude. Ainsi, le rapport phytopathologique de 1921, publié par les Annales des épiphyties, indique simplement qu’il s’agit d’une mesure identique à celles des années antérieures250.

Mais, le texte de 1921, particulièrement imprécis, prend comme bornes chronologiques les stades végétatifs de la vigne tout en s’adressant également aux arboriculteurs. De plus, le ministre de l’Agriculture qualifie lui-même cette dérogation de tolérance. Cette notion, qualifiant l’usage momentanément possible des arsenicaux solubles, n’implique pas une autorisation véritable. La complexité de la réglementation incite certaines revues à une grande prudence. Ainsi, concernant l’emploi des arsenicaux agricoles, le Bulletin des sciences pharmacologiques, en particulier destiné aux pharmaciens, détenteurs officiels du pouvoir de vendre des substances toxiques, affirme répondre aux courriers des lecteurs « sans aucune garantie », et ce, « tant que la législation ne sera pas plus claire »251. Cette inextricable situation prend fin le 7 juillet 1922 avec la publication d’un nouvel arrêté. Ce dernier préconise des périodes précises pour les traitements de nombreuses espèces végétales à l’aide des seuls composés arsenicaux insolubles252. Ainsi, en fonction des risques résiduels, liés à la nature de chaque culture, les arbres fruitiers, le tabac, les pommes de terre, les betteraves, les vignes ou encore les osiers et les arbres d’ornement s’exposent à recevoir des substances arsenicales lorsque la santé des consommateurs n’est pas susceptible d’être altérée par les épandages. Concernant les vignes et les oliviers, le Ministre de l’Agriculture précise encore les périodes d’applications en 1928253.

Notes
244.

ANONYME, « Les insecticides arsenicaux », in “Chronique agricole”, dans Journal d’agriculture pratique, tome 30, 1917, p. 334

245.

L.DEGRULLY, « Cochylis et bouillies arsenicales », in “Chronique”, dans Le progrès agricole et viticole, n°19, mai 1917, p. 437-439

246.

« Circulaire aux inspecteurs et inspecteurs adjoints des pharmacies », dans Journal Officiel de la République française, n°16, 17 janvier 1917, pp. 558-559

247.

ANONYME, « La pyrale et les traitements arsenicaux », dans Le progrès agricole et viticole, n°28, 1917, pp. 55-56

248.

« Décision relative à la fabrication, à la vente et à l’emploi en agriculture des préparations à base de composés arsenicaux solubles », dans Bulletin mensuel de l’Office des renseignements agricoles, juillet-septembre 1917, p. 397. [Texte initialement publié dans la Feuille d’informations du 14 août 1917].

249.

ANONYME, « Les traitements arsenicaux contre les insectes », dans Le progrès agricole et viticole, n° 42, 21 octobre 1917, pp. 390-391

250.

Paul MARCHAL, Étienne FOEX, « Rapport phytopathologique pour l’année 1921 », dans Annales des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au Comité supérieur des stations de recherches, 1922, tome 8, pp. I-LIX

251.

ANONYME, « Sur l’emploi et la vente des arsenicaux solubles », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, Bulletin d’informations professionnelles, tome 28, n°7, 1921, pp. 154-156

252.

« Emploi des composés arsenicaux en agriculture », dans Journal officiel de la République française, 11 juillet 1922, p. 7220

253.

« Emploi des composés arsenicaux en agriculture », dans Journal officiel de la République française, n°52, 1er mars 1928, p. 2329