2. Réticences paysannes

De nombreux articles insistent sur le fait que les cultivateurs possèdent quelques craintes à l’encontre des dérivés de l’arsenic. Les textes réglementaires de 1916 n’empêchent aucunement les craintes irrationnelles ou réelles des cultivateurs. Nous pouvons distinguer trois préoccupations principales qui invitent certains agriculteurs à un comportement réfractaire à la protection des plantes cultivées par les arsenicaux.

La peur irraisonnée d’un produit synonyme d’empoisonnement criminel constitue la première explication. Ainsi, dans le Beaujolais, le Professeur d’agriculture de l’arrondissement de Villefranche dénonce une rumeur d’intoxication. « En 1927, certains bruits ont couru, tendant à faire croire à la nocivité particulière du pyralumnol pour l’ouvrier »269. Dans ce cas précis, preuve d’une certaine défiance lors des premiers usages d’un produit arsenical, il s’agit bien d’une déformation imaginaire d’un accident sans rapport, de l’aveu même du cultivateur concerné, avec l’élément toxique incriminé. Afin de vaincre, sinon la peur, du moins l’appréhension légitime, certains représentants en produits insecticides n’hésitent pas, au cours des années 1930, à brasser le produit à la main puis à se passer les doigts sur les lèvres afin d’en prouver l’inocuité270.

La seconde cause d’un usage limité des arsenicaux est marquée par la prudence envers des composés dont certains occasionnent parfois des brûlures graves aux végétaux traités. De fait, si certains cultivateurs adoptent complètement les produits arsenicaux en deux ou trois ans, d’autres alternent méthode ancienne et traitement arsenical. Dans le Rhône, un cultivateur de la commune de Denicé explique les raisons de ce roulement : « On dit aussi que toutes ces drogues plus ou moins corrosives éprouvent le Cep. Je n’ai jamais été à même de le constater, mais je suis assez disposé à le croire »271. Dans ce cas, malgré le but évident de soigner correctement ces vignes, l’exploitant prend des mesures sans rapport avec les problèmes qu’il souhaite éviter.

Le dernier type d’appréhensions concerne les résidus qui peuvent se trouver dans le vin ou les fruits. Les fabricants d’arsenicaux comprennent rapidement que certains doutes doivent être dissipés. Au début des années 1920, une publicité de l’entreprise parisienne Billault indique que le produit vendu, dénommé simplement “Bouillie Billault”, ne brûle jamais les plantes traitées et que les fruits des arbres fruitiers peuvent être consommés sans danger272.

À la méfiance engendrée par la toxicité des produits, s’ajoute le désarroi occasionné par des erreurs de jugements dans l’application des matières actives. Les impératifs biologiques des ravageurs, extrêmement liés au climat, posent parfois des problèmes lors des traitements. Ainsi, en 1932, le décalage entre la période habituelle des traitements et la date des sorties des chenilles de pyrales de la vigne incite certains viticulteurs du Beaujolais à penser qu’ils ne peuvent compter sur les produits arsenicaux273. Ces déconvenues, sont, par la suite, corrigées par les avertissements agricoles.

Notes
269.

A.D.-Rhône, 7 MP 53, Rapport sur le fonctionnement de la chaire d’agriculture de Villefranche-sur-Saône pendant l’année 1929-1930

270.

Témoignage de Monsieur Savoye, 10 février 1996. [Ce fait concerne le Beaujolais, commune de ).

271.

A.D.-Rhône, 7 MP 53, Rapport sur le fonctionnement de la chaire d’agriculture de Villefranche-sur-Saône pendant l’année 1929-1930

272.

Document présenté en annexe

273.

A.D.-Rhône, 7 MP 53, Rapport sur le fonctionnement de la chaire d’agriculture de l’arrondissement de Villefranche-sur-Saône et de l’Ecole départementale d’agriculture d’hiver de Villefranche-sur-Saône