2.Charles Willemot, doublement oublié

L’échec de Willemot dans la diffusion des poudres insecticides à base de pyrèthre n’apparaît pas clairement. Par ailleurs, la lecture des divers écrits, le plus souvent à caractère scientifique, rend parfois difficile l’émission d’une opinion définitive concernant la pérennité des tentatives de vulgarisation de Willemot. Bien que nous ne souhaitions pas opérer un historique de la classification botanique, un détail d’importance relègue bien souvent les travaux de Willemot au rang des expériences sans lendemain. Le pyrèthre de Dalmatie, dénomination courante à partir de la fin du dix-neuvième siècle, n’est autre que l’espèce utilisée par Willemot à la fin des années 1850. En effet, après l’avoir nommé Pyrethrum Willemoti, Duchartre opère un rectificatif dès 1860 et identifie la plante comme Pyrethrum cinerarifolium 311. A ce propos, A. Juillet note en 1924 : « la confusion de Duchartre ne devait pas disparaître, et on a souvent considéré plus tard P. Willemoti comme une espèce réelle, différente du pyrèthre de Dalmatie, P. Cinerarifolium, la correction faite par Duchartre ayant été ignorée de beaucoup d’auteurs »312. Un article du Directeur du service des cultures de la ville de Lyon, publié dans L’horticulture nouvelle, journal dont il est co-rédacteur, est particulièrement évocateur. En 1898, pour le Professeur R. Gérard, « le pyrèthre de Willemot ne présente aujourd’hui, au point de vue commercial qu’un intérêt historique »313. R. Gérard affirme que le pyrèthre de Willemot n’est ni cultivé, ni même présent dans les jardins botaniques. Il ne peut en être autrement puisque l’espèce n’existe pas.

Par ailleurs, la dénomination vulgaire de pyrèthre recouvre d’autres plantes. En effet, deux autres espèces de plantes du même genre, Pyrethrum roseum et Pyrethrum carneum, également cultivées comme plantes d’ornements dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, « forment jusqu’en 1870, la presque totalité des poudres insecticides commerciales »314. À partir de cette date, le pyrèthre de Dalmatie, supérieur en efficacité, supplante progressivement les deux autres espèces. Bien qu’il soit difficile de présenter des certitudes, l’usage du pyrèthre ne semble pas connaître de développement agricole avant la dernière décennie du dix-neuvième siècle. Il est certain en revanche que les trois espèces de pyrèthre (P. cinérariafolium, P. roseum et P. carneum), permettent la fabrication de poudres insecticides diverses. Ainsi, « le Pyrethrum caucasicum ou cinerariafolium, originaire non du Caucase mais de Dalmatie […], constitue la poudre contre les punaises, du Caucase, de Kraille ou de Mismaque, la poudre persanne, l’Insecticide de Ferrand, de Ferry, de Vicat, , l’Antipunaise, , le Morto insecto de Julien, etc., etc »315. Ces spécialités commerciales, d’emploi courant dans les années 1870, sont essentiellement employées pour détruire les punaises des lits ou les mouches316. Cette utilisation domestique perdure. À la veille de la Grande guerre, des préparations à base de pyrèthre, servent couramment à lutter contre les moustiques317.

Notes
311.

Découvert en 1660, le pyrèthre de Dalmatie n’intègre la classification binominale qu’en 1820. La plante est alors nommée Pyrethrum cinerarifolium. Avant de retrouver ce nom en 1860 (Duchartre), elle change 6 fois de dénomination. [D’après A. Juillet, 1924]

312.

A. JUILLET, Le pyrèthre, insecticide de Dalmatie, Etude botanique, chimique et agricole, Montpellier, Comité des plantes médicinales et à essence de la région de Montpellier & Office agricole du département de l’Hérault, 1924, 236 p.

313.

R. GERARD, « Les pyrèthres insecticides », dans L’horticulture nouvelle, 1898, pp. 322-328

314.

A. JUILLET, Le pyrèthre de Dalmatie, Publications agricoles de la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée, notice n° 26, 38 p., [non daté].

315.

François Laurent Marie DORVAULT, L’officine ou répertoire général de pharmacie pratique, neuvième édition, Paris, P. Asselin, 1875, 1609 p. [ La dénomination P. Caucasicum recouvre une espèce, sans lien avec les précédentes mais il ne s’agit probablement que d’une erreur supplémentaire].

316.

Gustave PLANCHON, Histoire naturelle des drogues simples, cours de N.J.B.G. Guibourt, septième édition, Paris Baillère et fils, 1876, 778 p.

317.

ANONYME, « Mesures de protection contre les moustiques ailés », dans L’horticulture nouvelle, n°2, 25 février 1914, pp. 69-70 [Commentaire d’un article de La Presse médicale du 22 octobre 1913]