B. Nouvelles tentatives : 1880-1918

1. Usage agricole de la fin du dix-neuvième siècle

Le pyrèthre, toujours utilisé en poudre, comme le préconise déjà Willemot en 1859, connaît quelques usages avant 1890. L’efficacité est parfois aléatoire, en particulier pour la destruction des altises de la vigne318. En revanche, malgré le prix élevé des poudres manufacturées, des viticulteurs utilisent, pour lutter contre la première génération des cochylis, l’insecticide Vicat. D’après un rapport de la station viticole de Villefranche-sur-Saône, daté de 1889, ces exploitants, probablement très peu nombreux, obtiennent des résultats encourageants 319. Mais, comme le souligne ce rapport, le prix prohibitif empêche toute généralisation du procédé.

De nouveau, la culture du pyrèthre devient synonyme, pour certains exploitants éclairés, de l’essor agricole de cet insecticide. Ainsi, un propriétaire des environs de Bergerac (Dordogne), Genebrias de Boisse, tente, à partir de 1889, de cultiver le pyrèthre de Dalmatie, « aidé des bienveillants conseils de M. de Tartaglia, vice-consul de France à Spalato (Dalmatie), membre de la commission centrale phylloxérique de Vienne »320. L’insecticide produit, performant, permet à l’expérimentateur d’envisager un développement de ce végétal au sein même des exploitations viticoles : « L’acclimatation de cette plante étant aujourd’hui acquise à notre pays, nous nous faisons un devoir d’aider les viticulteurs à adopter sa culture, en leur fournissant à titre gracieux, les semences provenant de pieds acclimatés ». Mais, la diffusion des semences de pyrèthre est plus aisée à réaliser auprès des naturalistes et l’organe de la Société nationale d’acclimatation propose de remettre gratuitement, suivant le vœu de Genebrias de Boisse, aux membres de la Société qui le souhaitent, des graines de ce végétal321.

Bien que nous puissions considérer l’usage agricole du pyrèthre comme relativement faible, il existe une adéquation entre les souhaits des chercheurs et les besoins des cultivateurs. La lutte contre les altises de la vigne permet de comprendre l’avantage du pyrèthre sur les techniques traditionnelles. Afin d’assurer une destruction massive, les exploitants doivent, théoriquement, organiser la lutte durant l’hiver. Un ramassage manuel ou la destruction d’abris artificiels permet d’opérer une limitation importante des populations. Mais, ces recommandations « n’empêchent pas le plus grand nombre des viticulteurs d’attendre les mois de mars ou d’avril pour songer à se défendre, alors que l’insecte commence déjà ses ravages »322. Dès lors, un produit tel que le pyrèthre, à action rapide et curative, possède une chance de s’imposer comme une alternative à un travail hivernal aisé mais fastidieux et coûteux en main-d’œuvre. En 1896, un viticulteur de la région de Montpellier, dans un courrier adressé au Progrès agricole et viticole, assure traiter les altises grâce à la poudre de pyrèthre, seul insecticide efficace à ses yeux323. Le produit, répandu à l’aide d’un soufflet, concomitamment au soufre (anticryptogamique), n’entraîne qu’une faible dépense supplémentaire pour l’exploitant. La quantité de poudres insecticides utilisées correspond à une dizaine de kilogrammes par hectare et l’exploitant engage une dépense d’environ trois francs par kilogramme. En fait, seuls les exploitants utilisant « la main-d’œuvre et les produits nécessités par le traitement d’autres affections »324 identifient l’usage du pyrèthre à un coût supplémentaire peu conséquent.

Cependant, si nul ne remet véritablement en cause les propriétés insecticides du pyrèthre, « les traitements à la poudre de pyrèthre sont peu répandus à cause du prix élevé de ce produit »325. Le problème financier est récurant et freine toutes les opportunités de vulgarisation. Au cours de la dernière décennie du dix-neuvième siècle, même ceux qui reconnaissent au pyrèthre des qualités certaines hésitent à en encourager l’utilisation. Degrully, rédacteur en chef du Progrès agricole et viticole, s’explique ainsi : « Nous devons avouer, toutefois, qu’il nous vient un scrupule, au moment d’en recommander l’emploi général. C’est que cette poudre est un produit d’un prix élevé et que nous craignons -en cette époque de fraudes savantes- que bon nombre d’acheteurs ne soient abominablement trompés »326.

Afin d’obvier à ses inconvénients, que sont le coût excessif et les fraudes, seule la mise en place de plantation française doit permettre la diffusion du pyrèthre insecticide. Dans la région de Marseille, Edouard Heckel, médecin et Président de la Société d’horticulture et de botanique des Bouches-du-Rhône, s’explique sur les raisons de ses premiers essais locaux d’acclimatation : « Dès 1900, impressionné par les préoccupations légitimes des agriculteurs en lutte avec le parasitisme végétal et animal qui assaille les cultures, et à l’instigation même de ces agriculteurs qui unanimement proclament l’excellence de la poudre de pyrèthre contre ce parasitisme croissant […], je fus amené à mettre à l’étude la possibilité d’aborder la culture du Pyrethrum cinerariæfolium en Provence ». Pour l’auteur de ces lignes, le prix de la poudre de pyrèthre constitue l’obstacle principal d’un véritable usage. Mais, le coût de la culture, en particulier du ramassage des capitules, représente un autre inconvénient d’importance pour les agriculteurs. Les cultures des Bouches-du-Rhône et du Var « furent sinon abandonnée, du moins négligées, et, en tous cas on ne leur donna aucune extension ». A la veille de la Première guerre mondiale, « tel est l’état de la question et, pendant ce temps, les agriculteurs et horticulteurs français, toujours à la recherche d’une poudre de pyrèthre bon marché et non falsifiée, sont obligés, à cause du prix élevé de cette marchandise, qu’ils paient dix francs le kilo en poudre, à recourir à des insecticides minéraux toxiques qui présentent de graves inconvénients » 327.

De fait, bien que préconisé pour le traitement de déprédateurs variés, tels que les altises nuisibles aux plantes potagères328,« le pyrèthrage ne peut être employé avec avantage que dans les serres, sur les treilles ou les vignobles de grands crus donnant une récolte d’une assez grande valeur »329.

Notes
318.

Ernest MENAULT, Les insectes nuisibles à l’agriculture et à la vigne, deuxième édition, Paris, Jouvet et Cie, 1886, 287 p. [ La destruction des altises de la vigne se trouve pp. 82-85]

319.

A. DERESSE, E. DUPONT, « La Cochylis », dans Revue de la station viticole de Villefranche, 1889, pp. 23-155

320.

GENEBRIAS de BOISSE, « Le chrysanthème de Dalmatie (Pyrethrum cineriæfolium) », dans Revue des sciences naturelles appliquées, tome 2, 1894, pp. 506-508

321.

GENEBRIAS de BOISSE, « Chrysanthème de Dalmatie », dans Revue des sciences naturelles appliquées, volume 1, tome 45, 1894, pp. 506-508

322.

L. DEGRULLY, « Destruction des altises par la poudre de pyrèthre », dans Le progrès agricole et viticole, n° 13, 28 mars 1897, pp. 375-377

323.

A. TEISSENREC, « Destruction des larves de l’altise par la poudre de pyrèthre », dans Le progrès agricole et viticole, n°25, 21 juin 1896, pp. 647-648

324.

Prosper GERVAIS, « Lutte contre les altises», », dans Le progrès agricole et viticole, n°15, 11 avril 1897, pp. 443-446

325.

COSTE-FLORET, « Destruction des altises », dans Le progrès agricole et viticole, n° 20, 17 mai 1896, pp. 538-543 [Communication faite au Comice agricole de Béziers le 10 mai 1896]

326.

L. DEGRULLY, « Destruction des altises par la poudre de pyrèthre », dans Le progrès agricole et viticole, n° 13, 28 mars 1897, pp. 375-377

327.

Édouard HECKEL, « De la poudre insecticide », dans Revue horticole des Bouches-du-Rhône, n°705, 1913, pp. 43-52

328.

Georges GUENAUX, Entomologie et parasitologie agricoles, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1904, 588 p. [Altises des plantes potagères : pp. 223- 227]

329.

Paul MARCHAL, Rapport sur les travaux accomplis par la mission d’étude de la cochylis et de l’Eudémis pendant l’année 1911, Paris & Liège, Librairie polytechnique, Ch. Beranger éditeur, 1912, 326 p.