Popularisé dans les milieux agricoles, dans les premières années de la décennie 1890-1900 par Jean Dufour, Directeur de la station viticole de Lausanne, l’emploi d’une solution savonneuse de pyrèthre, répandue non plus sous forme de poudre mais en pulvérisation, paraît plus efficace et plus pratique. Alors destinée à la destruction des larves de première génération des cochylis, cette mixture est essayée, par divers propriétaire et expérimentateurs, en de multiples points du territoire national français, en particulier dans la Drôme (Romans), le Rhône (Villefranche-sur-Saône), la Loire (Roanne, Volan-sur-Malleval) et le Gers (Riscle)330. Nous pouvons également noter, qu’en 1892, l’entreprise Vermorel (Villefranche-sur-saône), non seulement se livre à des essais mais commercialise également des poudres de pyrèthre. Pour Vermorel, seul l’insecticide préconisé par Dufour permet d’envisager une lutte efficace contre les vers de la grappe331. Ainsi, la préparation savonneuse de Dufour connaît, au moins en viticulture des applications temporaires. Considérant l’utilisation de ce produit dans la région de Montpellier, Juillet affirme, en 1924, que « des viticulteurs ne l’ont pas oubliée, mais ne l’emploient plus depuis longtemps ». Il en explique également les raisons : « cette méthode présentait en effet l’inconvénient d’exiger de la part des agriculteurs des manipulations assez longues et peu en rapport avec les habitudes et les difficultés de main-d’œuvre »332.
Le développement relatif de l’utilisation agricole du pyrèthre survient grâce aux travaux, publiés essentiellement pendant la Première guerre mondiale, du docteur Henry Faes, alors Directeur de la station viticole de Lausanne. Cependant, dès 1912, le Progrès agricole et viticole, se référant, sous la plume de Degrully, à un article de Faes, considère le pyrèthre, au même titre que la nicotine, comme une matière susceptible de remplacer les produits minéraux. D’après l’auteur, « dans certaines régions, les ouvriers agricoles terrorisés par des publications tendancieuses, se refusent à répandre les produits arsenicaux ». Ainsi, pour des raisons relevant plus du maintien de la paix sociale que de l’application des lois ou de l’évolution scientifique, le pyrèthre apparaît comme l’une des substances capables de sauver les vignes des altises333. Le courrier des lecteurs du Progrès agricole et viticole cite un exploitant de Perpignan qui se livre, après lecture de l’article de Degrully, à un essai concluant.
D’après Faes, qui s’applique à découvrir les meilleures formulations de pyrèthre, « il est nécessaire, pour le bien de notre vignoble, d’intensifier autant que possible la culture du pyrèthre du pays, car ce produit est le seul pour le moment qui nous ait donné des résultats complets contre le ver »334. Cependant, de 1914 à 1917, la station de Lausanne organise seulement 97 plantations, y compris les cultures dépendantes des organismes officiels, représentant 24 890 plantes. Sur l’ensemble des plants distribués, 11 245 sont attribués en 1917 à 62 propriétaires d’exploitations viticoles. Les graines ne s’arrêtent pas à la frontière Suisse et la France constitue le vivier principal de correspondants étrangers qui reçoivent les précieuses semences335. Parmi les destinataires, nous pouvons citer Paul Marchal. Ce dernier reçoit en 1918 puis en 1920 des graines, envoyées de Lausanne par Faes et se livre à des essais de cultures, concluants, dans la région parisienne, à Anthony336.
Ainsi, les comptes rendus des essais comme les végétaux eux-mêmes parviennent en France. Dès lors, l’influence des travaux suisses apparaît dans diverses publications et touche l’ensemble des activités liées au pyrèthre, de la culture à l’extraction des matières actives. Désormais, même les plus sceptiques reconnaissent au chrysanthème insecticide une certaine valeur. Ainsi, en 1919, le docteur Feytaud, Directeur de la station entomologique de Bordeaux, publie un article de mise au point concernant les moyens de lutte contre l’eudémis et la cochylis. Le pyrèthre est cité grâce aux travaux antérieurs de Faes : « C’est donc à titre d’exemple et non pour le conseiller que je parle ici du traitement curatif au pyrèthre, remis à l’ordre du jour par les articles de M. Faes »337.
D’autres, souvent pharmaciens et médecins, soucieux d’éradiquer rapidement l’influence des arsenicaux, soutiennent immédiatement la politique de développement du pyrèthre. En 1924, Juillet, Professeur à la faculté de pharmacie de Montpellier, rédige un mémoire de 236 pages, édité par l’Office national des matières premières végétales, intitulé Le pyrèthre insecticide de Dalmatie, qui résume de nombreuses expériences concernant la lutte contre les ennemis des cultures. Le produit, utilisé sous la dénomination de “savon-pyrèthre”, porte la marque des travaux antérieurs de Faes. Un article, commentant cet ouvrage et dont Juillet est cosignataire, affirme : « S’inspirant de quelques travaux de la station fédérale d’essais viticoles à Lausanne, il avait étudié, en particulier, l’action des extraits oléo-résineux du pyrèthre de Dalmatie, sous la forme de suspensions savonneuses, sur différentes espèces d’insectes parasites des cultures »338. Les travaux suisses tirent leur succès de la relative diffusion agricole des procédés de luttes mis au point à Lausanne. En 1923, Paul Marchal résume l’action des chercheurs helvètes : « Les cultures de pyrèthres dans le canton de Vaud et dans le Valais prirent alors, d’année en année une extension telle que le pyrèthrage des vignes contre la cochylis est passé en Suisse dans la pratique et que, pour le faciliter, deux fabriques de produits chimiques, l’une à Bex, l’autre à Zofingue […] se sont organisées pour acheter aux viticulteurs qui cultivent le pyrèthre, les fleurs sèches de leur récolte et pour leur fournir en retour, à un prix très abordable, la quantité correspondante d’un “savon-pyrèthre” établi suivant la formule de M.Faes »339.
Jean DUFOUR, « Destruction du ver de la vigne (cochylis). Recherches sur l’emploi des insecticides. Résultats obtenus en 1892 dans la lutte contre ce parasite », dans Chronique agricole du canton de Vaud, supplément au numéro 3, 31 mars 1893, pp. 95-140
Joseph PERRAUD, « Nouvelles observations relatives à la biologie et au traitement de la cochylis », dans Revue de la station viticole de Villefranche, 1892, pp. 121-128
A. JUILLET, Le pyrèthre, insecticide de Dalmatie, Etude botanique, chimique et agricole, Montpellier, Comité des plantes médicinales et à essence de la région de Montpellier & Office agricole du département de l’Hérault, 1924, 236 p.
L. DEGRULLY, « Destruction des altises », dans Le progrès agricole et viticole, tome 57 (1er semestre), n° 17, 28 avril 1912, p. 515 [vérifier titre]
Henry FAES, Traitements effectués dans le vignoble vaudois en 1916 contre le ver de la vigne (cochylis), Lausanne, Imprimerie vaudoise, 1917, 23 p. [Citation p. 21]
Henry FAES, Le pyrèthre et sa culture, Lausanne, Imprimerie vaudoise, 1918, 7 p. [Tiré à part]
Paul MARCHAL, « Le pyrèthre de Dalmatie et sa culture en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture, 1923, pp. 85-95
Jean FEYTAUD, « Moyens de lutte contre l’Eudémis et la Cochylis (suite) », dans Bulletin de la Société d’étude et de vulgarisation de la zoologie agricole », mai 1919, n°5, pp. 33-42
A. JUILLET, H. DIACONO, « Essai de destruction du pou du corps ou des vêtements, Pédiculus corporis De Geer, par les émulsions savonneuses d’oléo-résine de pyrèthre de Dalmatie (chrysanthème insecticide) », dans Bulletin de la Société pharmacologique, tome 32, n°7, juillet1925, pp. 413-428.
Paul MARCHAL, « Le pyrèthre de Dalmatie et sa culture en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture, 1923, pp. 85-95