C. Culture et commerce du pyrèthre français (1918-1940)

La culture du pyrèthre français se développe particulièrement au cours de la décennie 1925-1935. Bien que la Société nationale d’acclimatation persiste à distribuer des graines aux membres adhérents340, le rôle de diffusion appartient désormais à l’Office des matières premières végétales. En 1925, cette plante occupe 120 hectares, répartis dans les Pyrénées-Orientales, l’Hérault, le Tarn-et-Garonne, la Drôme, le Gard, le Vaucluse, les Alpes-Maritimes et en quelques localités plus au Nord (Champagne, Poitou)341. Or, à partir de 1923, l’usage des insecticides d’appartement se superpose aux produits nécessaires à l’agriculture et en une dizaine d’années, les extraits de pyrèthre, destinés à une utilisation domestique, correspondent à 70 % de la production totale342. Jusqu’en 1929, les surfaces cultivées en pyrèthre augmentent pour atteindre 1 800 hectares343. La production annuelle française de capitules, généralement estimée à 600 tonnes, semble promise à une forte augmentation. Émile Perrot, dont l’optimisme traduit peut-être son opposition aux arsenicaux, envisage l’avenir sereinement : « les besoins du marché dépassent déjà plusieurs centaines de milliers de kilogrammes. Il n’est pas exagéré de dire que, dans un délai de quelques années, l’industrie consommera plus d’un millier de tonnes, ce qui nécessitera plusieurs milliers d’hectares de cultures »344.

Malgré des surfaces restreintes occupées par la culture du chrysanthème insecticide, des auteurs optimistes notent les modifications du paysage, observables par les moins avertis. En 1927, H.A. Lemée, licencié es sciences, donne une description des sites cultivés. « Le touriste peut déjà voir avec étonnement et admiration d’immenses champs de Provence, jusqu’ici moins favorisés, garrigues ou collines arides et calcaires au-dessus de la zone des canaux d’irrigation, se couvrir en mai-juin d’un manteau continu de blanches marguerites : ce sont des cultures de chrysanthème insecticide »345. Toujours sensibles aux problèmes agricoles et à un possible débouché, « les compagnies de chemin de fer, Etat, Midi, P.-L.-M., se préoccupent d’encourager la culture et d’utiliser les remblais envahis par les mauvaises herbes »346.

Cette vision est balayée par la crise de 1929. Cette dernière, se traduisant par une baisse de l’usage des insecticides non agricoles, engendre une diminution des surfaces cultivées. En 1934, celles-ci ne représentent plus que 1 200 hectares. Le pyrèthre disparaît alors de quelques départements producteurs, comme, par exemple, le Lot-et-Garonne. Cependant, dans certains départements, la relative extension des cultures de pyrèthre apparaît essentiellement au début des années 1930. En effet, si l’on considère la Drôme, dont le pyrèthre possède de bonnes qualités insecticides, à peine plus d’un hectare est consacré à cette plante en 1929347. En raison des prix intéressants pratiqués au tout début des années 1930, la culture du chrysanthème insecticide s’étend rapidement. En 1932, la superficie drômoise ensemencée en pyrèthre atteint 43 hectares. Mais, outre les conséquences mondiales du krach de Wall Street, s’ajoute la politique de dumping et d’extension des superficies menée au Japon. Ce pays accroît alors ses récoltes qui atteignent 6 400 tonnes en 1933 contre 5 230 en 1928 et 211 en 1911348. De nombreux exploitants français abandonnent quant à eux la culture du pyrèthre et la baisse permanente des prix de vente permet seulement le maintien de quelques exploitations en place.

Le tableau ci-dessous (n° 9) indique les prix pratiqués, exprimés en Francs courants, pour l’achat des fleurs de pyrèthre dans le département de la Drôme entre 1929 et 1934.

Tableau n° 9. Baisse du prix de vente des fleurs de pyrèthre entre 1929 et 1934
Années Prix de vente au kilogramme (en Francs courants)
1929 De 3 à 3,25
1930 De 2,75 à 3
1931 De 2,50 à 2,75
1932 De 2 à 2,25
1933 De 1,25 à 1,50
1934 Environ 1,25

En 1934, le prix de vente devient inférieur au prix de revient. Or, le pyrèthre n’est pas une culture annuelle. Il apparaît donc logique que certains agriculteurs persistent à produire des capitules de chrysanthèmes insecticides malgré la baisse des cours. En effet, si la production de seconde année correspond à une récolte d’environ 600 kg à l’hectare, ce chiffre double en dix ans de culture. De plus, le pyrèthre se développe particulièrement dans des terrains secs et pauvres alors qu’il ne peut survivre longtemps dans les plaines alluviales. Ainsi, les départements du sud de la France conservent quelques plantations situées en des lieux ne se prêtant pas toujours à d’autres cultures.

Le tableau ci-après permet de cerner les départements producteurs du sud de la France ainsi que les surfaces cultivées et les rendements (en tige-fleurs) à l’hectare en 1935349.

Tableau n° 10. Surfaces et rendements des cultures françaises de pyrèthre
Départements Surfaces cultivées (Ha) Rendements (Kg)
Basses-Alpes 75 1 500-2 000
Alpes-maritimes 7 2 400-2 600
Aude 4 2 500
Bouches-du-Rhône 40 1 000-1 200
Drôme 36 1 000-1 500
Gard 51 1 500
Hérault 1 5 000
Var 10 1 500-1 800
Vaucluse 171 1 000-2 400

La taille des parcelles consacrées à cette plante semble excessivement variable. Si, pour la Drôme, une exploitation située à Suze-la-Rousse atteint le maximum départemental de 20 hectares, un cultivateur du Vaucluse possède à lui seul une centaine d’hectares. La superficie moyenne des entreprises agricoles correspond cependant à des aires de moindre importance. La surface cultivée n’est pas obligatoirement en rapport avec le rendement. Comme nous l’avons déjà mentionné, le pyrèthre prospère surtout dans les endroits secs et calcaires, lieux ordinairement peu propices aux productions végétales et synonymes d’entreprises peu rentables. La viabilité des exploitations dépend donc en grande partie de la pauvreté des sols et du soin apporté par les agriculteurs. Ainsi, un médecin reproduit en 1930, les résultats d’un cultivateur officiant près de Saint-Rémy-de-Provence. Ce dernier possède trois hectares cultivés en pyrèthre et son rendement en tiges-fleurs s’élève, la seconde année, à 9 000 kilogrammes par hectare350. Nous devons également remarquer que, parmi les causes des variations de rendements figurent parfois des ravageurs. En effet, si, exceptionnellement des insectes détruisent les capitules stockés351, quelques espèces dévorent parfois les végétaux sur pieds. En 1933, deux scientifiques notent : « Nous avons pu remarquer, l’an dernier, les ravages exercés par la larve mélolonthoïde et par l’adulte d’un coléoptère chrysomélidé […] : Arima marginata F. »352. L’insecte cité, très commun en Provence s’attaque principalement aux Lavandes. En raison du petit nombre d’espèces et du peu d’extension des cultures, il ne semble pas que des traitements soient proposés aux agriculteurs. Il nous est impossible de savoir si les cultivateurs protègent d’eux-mêmes leurs cultures contre les ravageurs. En revanche, le désherbage constitue une activité régulière, se traduisant par un ou deux binages annuels, de protection des plants de pyrèthre. Quant aux cryptogames, ils ne constituent pas d’obstacles à la culture. A. Juillet note, en 1922, à propos des plantations espagnoles : « On n’a pas observé jusqu’ici de maladies cryptogamiques »353.

La transformation des capitules en insecticides requiert, contrairement à la culture elle-même, une technicité particulière. Il semble que des cultivateurs fabriquent eux-mêmes les extraits de pyrèthre. La publicité de l’agriculteur drômois, entretenant en 1935 une surface proche de 2 hectares, reproduite en annexe354, prouve que certains n’hésitent pas à commercialiser eux-mêmes leur production. Cependant, des industriels, comme la maison Caubet et fils à Marseille, restituent, aux exploitants souhaitant protéger leurs propres productions végétales, la quantité de savon-pyrèthre correspondant à l’expédition de fleurs. Ainsi, 100 kilogrammes de capitules assurent l’obtention de 650 kilogrammes de savon-pyrèthre soit 6 500 litres de produits pulvérisables355. « Les produits insecticides agricoles à base de pyrèthre sont d’ordinaire constitués par des solutions concentrées d’extrait de pyrèthre ou pyrèthrines telles qu’elles puissent se diluer facilement dans l’eau et se maintenir en émulsion plus ou moins stable pour passer dans les pulvérisateurs »356. À l’origine, suivant l’exemple suisse, les pyréthrines se trouvent mélangées à un savon, savon noir ou savon de Marseille par exemple. Par la suite, des produits plus actifs de meilleure conservation supplantent cette substance. Ainsi, bien que le terme commercial “savon-pyrèthre” soit souvent usité, des adjuvants sans rapport avec le savon correspondent à cette dénomination. Ainsi, le Lyon-horticolenote que, « dès fin 1920, il se vendait sous le nom « savon-pyrèthre, un produit suisse très visqueux et très actif, contenant bien l’oléo-résine mais ne contenant pas de savon »357.

Notes
340.

Fernand WILLAUME, « Culture et utilisation sur place du pyrèthre insecticide », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation, tome 72, 1925, pp. 20-22

341.

G. GAUDOT, « Le pyrèthre insecticide », dans Journal d’agriculture pratique, Second semestre, 1925, p. 300

342.

Jean RIPERT, Le pyrèthre français, Paris, Dehon et Cie, 1935, 56 p.

343.

Jean RIPERT, Le pyrèthre français, Paris, Dehon et Cie, 1935, 56 p. Ce chiffre est reproduit dans certains articles plus récents comme, par exemple, V. LABONNE, M. BERNARD, « Des pyréthrines naturelles aux pyrèthroïdes de synthèse », dans La défense des végétaux, n° 192, juillet 1978, pp. 153-156.

344.

Émile PERROT, « La situation actuelle pour la France de la culture du chrysanthème insecticide », dans Compte rendu des séances de l’Académie d’agriculture de France, 30 octobre 1929, tome 15, pp. 885-890 & Bulletin des sciences pharmacologiques, n°1, janvier 1930, pp. 53-56

345.

H.A. LEMEE, « Faut-il s’intéresser au pyrèthre ? », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, n°5, mai 1927, pp. 100-105

346.

Émile PERROT, « La situation actuelle pour la France de la culture du chrysanthème insecticide », dans Compte-rendu des séances de l’Académie d’agriculture de France, 30 octobre 1929, tome 15, pp. 885-890 & Bulletin des sciences pharmacologiques, n°1, janvier 1930, pp. 53-56

347.

A.D.-Drôme, 49 W 100, Note de la DSA destinée à l’office des renseignements agricoles.

348.

P.T.[d’après un article de S.V. PUNTAMBEKAR publié dans la revue Indian forest en 1934], « Le pyrèthre et ses applications », dans Revue de botanique appliquée et d’agriculture tropicale, n°156-157, août-septembre 1934, pp. 677-681

349.

A.N.-P., F 10 1997/3, Rapport sur la culture du pyrèthre français, non signé, non daté, (1935).

350.

J. CHEVALIER, « Le pyrèthre insecticide : Culture, rendement, avenir économique », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, tome 37, n° 4, avril 1930, pp. 235-239

351.

P. LEPESME, Les coléoptères des denrées alimentaires et des produits industriels entreposées, Encyclopédie entomologique, tome XXII, Lechevalier, 1944, 335 p.

352.

Hervé HARANT, Jean SUSPLUGAS, « Arima marginata, Coléoptère parasite accidentel du chrysanthème insecticide », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, tome 40, n° 7, juillet 1933, pp. 400-401

353.

A. JUILLET, « Essais de culture et cultures industrielles du pyrèthre de Dalmatie. Applications agricoles », dans Bulletin de la société des sciences pharmacologiques, tome 29, n°8-9, août-septembre 1922, pp. 431-438

354.

A.D.-Drôme, 49 W 140

355.

A. JUILLET, P. ROUCHER, « La culture du pyrèthre de Dalmatie », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, tome 30, n° 5, mai 1923, pp. 289-297 [Notice publiée par le comité des plantes médicinales et à essences de la région de Montpellier et par l’Office départemental agricole des Pyrénées-orientales].

356.

J. CHEVALIER, « Le pyrèthre. Ses préparations industrielles et pharmaceutiques. Évaluation de leur activité. », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, tome 37, n°7, juillet 1930, pp. 422-431

357.

Ph. BRETIN, Cl. ABRIAL, « Pyrèthre insecticide » [partie 2], dans Lyon-horticole et horticulture nouvelle réunis, n°3, mars 1922, pp. 34-38