2. Évolution des insectes ravageurs

2.1.Des ennemis multiples aux méligèthes

En 1864, un article publié dans le Journal d’agriculture pratique note la multitude des insectes déprédateurs de la principale culture oléagineuse en utilisant l’expression de « longue kyrielle des ennemis du colza »408. De nombreuses méthodes de lutte contre les ennemis du colza, peu efficaces mais non coûteuses, se maintiennent de la fin du dix-neuvième siècle à la Seconde guerre mondiale. Ainsi, les altises adultes sont récoltées à l’aide de bâches ou de panneaux englués de goudron que les agriculteurs promènent rapidement entre les pieds de colza. Ce procédé, décrit comme une nouveauté en 1864, et probablement destiné dans un premier temps à la destruction des méligèthes409, est toujours à l’honneur au début du vingtième siècle410, puis dans les années 1930411. Le ramassage, érigé en moyen de lutte, concerne, outre les altises, d’autres insectes du colza, comme les méligèthes ou les charançons des siliques412. Cependant, de tels moyens de destruction ne sont susceptibles de connaître d’application que dans les petites exploitations ou, au contraire, dans les entreprises agricoles capables d’accueillir une main-d’œuvre quantitativement importante. En revanche, les cultivateurs peuvent combattre certains insectes, comme les altises, avec des procédés chimiques simples (nicotine, produits arséniés…)413. Il est cependant difficile de savoir si les méthodes préconisées par les vulgarisateurs, parfois prestigieux, connaissent un quelconque impact dans une culture particulière et contre un parasite précis.

À la Libération, la récolte manuelle de divers déprédateurs des crucifères devient incompatible avec la politique de redressement national et le productivisme. Cependant, l’idée d’opérer une cueillette des ravageurs du colza perdure. Un cultivateur de l’Oise imagine une méthode de ramassage mécanique des insectes du colza. Malgré quelques essais réalisés en 1954, et probablement en 1955, ce procédé ne connaît aucun développement414. Les causes de l’échec tiennent au comportement de certains insectes qui se laissent tomber au sol à la moindre alerte et aux possibilités permanentes de nouvelles infestations. De plus, « le passage répété d’un appareil lourd dans un champs entraînerait de grosses pertes de rendement »415.

Par ailleurs, l’accroissement des surfaces ensemencées en colza entraîne inévitablement une augmentation rapide des populations des ravageurs inféodés aux crucifères. Une telle expansion rend les moyens archaïques réellement désuets. Ainsi, l’un des ouvrages de référence en langue française indique en 1943 que le méligèthe « est devenu depuis le début de la guerre, un ravageur assez important à la suite de l’extension des cultures de colza et des portes-graines de crucifères potagères »416. Jusqu’en 1950, les méligèthes demeurent le problème phytosanitaire principal des cultures de colza.

Notes
408.

E. MARIE, « Séances de la Société centrale d’agriculture », dans Journal d’agriculture pratique, volume 1, 1864, pp. 162-163

409.

E. MARIE, « Séances de la Société centrale d’agriculture », dans Journal d’agriculture pratique, volume 1, 1864, pp. 162-163. Il est à noter que le Journal d’agriculture pratique ne nomme pas l’espèce d’insecte récoltable de la sorte et indique uniquement, que l’animal « attaque la fleur et détruit le pollen ». Or, bien qu’occasionnellement les altises détruisent les fleurs de colza, les méligèthes se nourrissent de pollen et n’hésitent pas à découper les boutons floraux pour parvenir à leur but.

410.

Georges GUENAUX, Entomologie et parasitologie agricole, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1904, 588 p. [information p. 226]. [Des articles de journaux “grand public“ mentionnent également ce procédé. Citons par exemple un texte, particulièrement précis bien qu’anonyme, intitulé « Détruisez les altises dans vos cultures », dans Jardins et Basses-cours, n°29, 5 mai 1909, p. 177].

411.

Georges GUENAUX, Entomologie et parasitologie agricole, cinquième édition, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1933, 591 p. [ information p. 201-202]

412.

Georges GUENAUX, Entomologie et parasitologie agricole, cinquième édition, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1933, 591 p. [Le ramassage manuel des charançons des siliques est le seul mode de destruction cité (p. 171)]

413.

Georges CHAPPAZ, Paul MARSAIS, F.-L. BRANCHER, M. FREDOU, C. DEGUY (sous la direction de), Guide pratique pour la défense sanitaire des végétaux, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, 1937, 291 p. [Les traitements contre les altises sont répertoriés pp. 184, 213-216, 217-220, 235-236]

414.

J. HERMITE, « La machine à ramasser les insectes », dans Phytoma, décembre 1954. [Article reproduit dans L’abeille de France, n°355, avril 1955, p. 117]

415.

P. JUVIN, « Les traitements avec certains produits insecticides non toxiques pour les abeilles sont efficaces sur les parasites du Colza », dans Insecticides et protection des abeilles, INRA, station de recherches apicoles de Bures-sur-Yvette, 1955, 41 p. [Article pp. 35-41, quelques lignes (pp. 35-36) concernent l’impossibilité d’utiliser l’appareil conçu dans l’Oise].

416.

H. FAES, M. STAEHELIN, P. BOVEY, La défense des plantes cultivées, Payot, Lausanne, Genève, Neuchâtel, Vevey, Montreux, Berne, Bâle, 1943, 510 p. [citation p. 410]