1. Ambiguïté des avertissements

Dès 1946, les avertissements agricoles indiquent aux cultivateurs les périodes durant lesquelles les épandages apparaissent comme les plus efficaces519. Les pulvérisations ou poudrages effectués à contretemps (sans tenir compte de la biologie des doryphores), de manière inutile (lors de l’apparition de ravageurs dont l’intensité ne présente que peu de danger) ou quantitativement insuffisants (en cas de périodes critiques) sont ainsi écartés. Il est impossible de considérer un nombre d’épandage fixe pour l’ensemble des surfaces cultivées. Le nombre de traitements dépend des variétés de pommes de terre. Ainsi, les pommes de terre de primeurs sont, en principe traitées une fois car la récolte intervient au cours de la première génération de doryphore. Les autres variétés sont soumises à des épandages plus fréquents. La majorité des variétés connaissent deux à trois épandages alors que les pommes de terres tardives sont traitées trois à quatre fois.

Le raisonnement des traitements, réalisés à bon escient, joue un rôle ambigu. D’une part, les épandages sont limités et ne peuvent, par leur nombre, engendrer une sélection rapide d’individus résistants, d’autre part le ciblage des périodes d’applications entraîne inévitablement une sélection rapide des individus résistants par une pression de masse. Encore faut-il que les conseils dispensés par les avertissements agricoles soient respectés par les praticiens et que les applications se reproduisent chaque année.

En effet, malgré l’intérêt financier pour les agriculteurs que présente la limitation du nombre de traitements phytosanitaires au strict minimum, les prescriptions des avertissements sont très souvent amputées d’une opération. En effet, si la destruction des doryphores apparaît comme un réflexe acquis au printemps, traiter l’été semble bien souvent considéré comme superflu par la majorité des producteurs. Or, anéantir la génération estivale des ravageurs, en cas de populations importantes, même si la récolte annuelle est déjà hors de danger, permet de prévenir les dégâts de la campagne suivante. Ainsi, les arrêtés de 1948520 et 1951521, précisant les modalités d’obligation de destruction des doryphores, ne sont pas entièrement respectés. Un agent technique du S.P.V. de la Haute-Saône note en 1952, que, lors de la période estivale, « la surveillance doit se montrer la plus active et la plus sévère » car « la négligence et l’inertie des cultivateurs créent les plus grandes difficultés pour leur faire exécuter un traitement qui est de la plus grande importance pour l’année à venir »522. Cependant, le dernier épandage n’est pas toujours nécessaire. En effet, alors que la protection estivale des cultures de 1952 semble indispensable en Haute-Saône, d’autres départements, en particulier dans l’ouest de la France, ne procèdent à aucun traitement. Dans le Loiret, par exemple, le caractère sporadique des larves et adultes rencontrés induit l’inutilité d’une opération d’épandage durant l’été 1952523. Ainsi, la faible densité des populations correspond à des opérations de destructions peu fréquentes. Lorsque les éléments climatiques entravent le développement massif des déprédateurs durant plusieurs générations, la résistance de l’espèce incriminée apparaît comme plus aléatoire. À ce propos, l’Inspecteur du S.P.V. de la circonscription Lorraine-Alsace explique, en 1967, que « le développement réduit pris par cet insecte depuis un certain temps n’a pas entraîné de multiplications exagérées d’applications insecticides et, de ce fait, n’a pas particulièrement favorisé la sélection d’individus résistants »524.

Certaines années, les conditions climatiques ne permettent pas, nationalement, le développement massif des doryphores. Ainsi, en 1955, les cultures françaises de pomme de terre sont, en moyenne traitées une seule fois et les variétés tardives deux fois lorsqu’elle subissent les attaques de seconde génération525. Mais, si les aléas du développement des populations, intimement liés aux conditions climatiques, peuvent temporairement limiter les phénomènes de résistance, l’utilisation généralisée d’une famille chimique de produits de traitement accélère le processus. En effet, les avertissements agricoles ne se bornent pas à préciser les époques d’applications les plus favorables, mais indiquent également les matières actives les plus efficaces. Or, jusqu’en 1960, le nombre de substances destinées à la destruction des doryphores n’est pas très important. Ainsi, en 1957, les stations d’avertissements agricoles conseillent, outre les arséniates (de chaux et d’alumine) et la roténone, uniquement des produits chlorés (DDT, dieldrine, lindane, chlordane…)526.

Notes
519.

A.N.-F., 5 SPV 36, Note de Vezin pour Trouvelot, destinée à son exposé au Comité international pour la lutte contre le doryphore (mai 1946).

520.

« Lutte contre le doryphore », arrêté du 29 avril 1948, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 8 mai 1948, pp. 4411-4412

521.

« Lutte contre les parasites animaux et végétaux des cultures », arrêté du 1er juillet 1951, dans Journal officiel de la République française, 25 juillet 1951, p. 8073

522.

G. LACOMBE [Agent technique rattaché à la circonscription SPV de Beaune], La situation antidoryphorique en Haute-Saône au 25 juillet 1952, Rapport destiné au Secrétaire général de l’O.E.P.P.

523.

A.N.F., 92 0144 SPV 36, Situation doryphorique au 15 août 1952 dans la circonscription d’Angers, note du S.P.V. destinée au secrétaire général de l’O.E.P.P.

524.

A.N.-F., 5 SPV 37, Courrier de J. Harranger au chef du S.P.V., 29 novembre 1967

525.

A.N.-F., 5 SPV 188, Enquête O.E.P.P. pour l’année 1955

526.

A.N.-F., 5 SPV 92, Liste de produits conseillés en 1957 par les stations d’avertissements agricoles, (exemplaire publié par la station d’avertissements agricoles d’Orléans), février 1957, 4 p.