2. Des appareils de traitements de plus en plus performants (1946-1952)

Les phénomènes de résistance dépendent étroitement de la généralisation des traitements. Il convient donc d’envisager l’évolution quantitative des appareils utilisés dans la destruction des doryphores à partir de l’apparition des premiers organochlorés en France. En 1946, une note émanant des autorités ministérielles affirme : « Le Ministère de l’Agriculture tient à faire connaître que les méthodes de lutte contre le doryphore se sont, malgré la guerre, considérablement développées et perfectionnées »527. En effet, une partie non négligeable du matériel disponible à la Libération est fournie par l’Allemagne durant l’Occupation. Ainsi, dès 1941, tout en s’alarmant de l’attentisme de Vichy en ce qui concerne l’organisation de la lutte contre les doryphores en France, le Militärbefehlasber pourvoit directement aux manques en appareils et produits de la zone interdite528. Les besoins de cette zone sont évalués à 15 600 unités. En fait, le Reich souhaite se protéger lui-même, dans l’ensemble de la zone occupée, d’éventuelles pénuries alimentaires : « L’invasion extraordinaire a amené, non seulement des attaques du doryphore croissantes dans l’Allemagne de l’ouest, mais aussi, sans aucun doute, influencé considérablement le rendement de pommes de terre en France ». Ainsi, « il est, pour cette raison, urgent et nécessaire de mener dans de grandes parties de la zone française la lutte contre le doryphore d’après l’exemple allemand, et sous le contrôle du commandement militaire »529. Parmi les titres de la presse allemande imprimée en France, Signal n’hésite pas à considérer, en 1941, que « l’Allemagne n’a jamais connu jusqu’ici de menace aussi grave » et opère une propagande destinée à copier dans toute l’Europe occupée l’organisation d’Outre-Rhin530.

Au total, 140 000 pulvérisateurs à dos sont distribués en 1941, essentiellement dans les départements du nord-est, nouvellement envahis par le ravageur531. Par la suite, les pénuries de métaux (cuivre puis aluminium) et de caoutchouc entravent quelque peu l’effort d’équipement en matériel. Les appareils à dos ne sont pas les seuls à intéresser les services allemands. Suivant les injonctions allemandes, un arrêté, en date du 18 février 1941532, oblige le regroupement des petites surfaces communales en une même localité afin de permettre, grâce à l’action des syndicats de défense contre les ennemis des cultures, l’utilisation d’un matériel à grand travail533. Dans une période de restriction de main-d’œuvre (prisonniers de guerre puis disparition des classes S.T.O., réfractaires compris), les traitements à grande échelle constituent un élément permettant de compenser les absences humaines. Cependant, l’effort de rationalisation, eu égard aux pénuries diverses porte essentiellement sur le matériel individuel et, dans une moindre efficacité sur le ramassage manuel.

Ainsi, en 1946, les appareils de traitement utilisables dans la lutte contre le doryphore se répartissent, par catégorie, de la manière suivante534 :

Tableau n° 14. Appareils disponibles en France pour la lutte contre les doryphores en 1946.
Tableau n° 14. Appareils disponibles en France pour la lutte contre les doryphores en 1946.

Une évolution rapide des appareils de traitements s’opère dès la Libération. En 1952, le type de matériel correspond essentiellement à des pulvérisateurs, les poudreuses n’étant en usage que pour la protection d’un dixième de la surface ensemencée (soit 100 000 hectares)535. Ces dernières apparaissent essentiellement dans les lieux connaissant des difficultés d’approvisionnement en eau. Le caractère restreint de l’utilisation des poudreuses est dû, en partie, à la complexité des textes réglementaires imposés par le législateur. Comme nous l’aborderons lorsque nous envisagerons l’évolution de la défense des cultures de pommes de terre sous l’angle des matières actives utilisées, les arsenicaux jouissent d’une certaine popularité après la guerre. Or, les textes régissant leur usage sont parfois antagonistes et se répercutent sur l’utilisation du matériel spécifique à certaines formulations. En effet, la promulgation d’un arrêté en date du 29 avril 1948536 autorise, de manière dérogatoire, la lutte contre les doryphores à l’aide d’arsenicaux en poudre. Un nouvel arrêté, publié le 25 février 1949, n’autorise que les pulvérisations arsenicales et les badigeonnages537. Or, il se trouve des préfets, comme celui de Seine-et-Oise, qui envisagent d’appliquer le texte de 1949. L’arrêté préfectoral, promulgué par le Préfet de Seine-et-oise en février 1949, est considéré comme non valide par Poutiers, Chef du S.P.V. Ce dernier n’hésite pas à considérer un texte de 1938538 préconisant la possibilité d’opérer des soufrages à l’arséniate de chaux lorsque ceux-ci sont réalisés par les groupements de défense539. Ces détails juridiques n’encouragent pas les investissements dans un matériel dont l’usage n’est pas aisé du fait des textes légaux. Nous devons cependant ajouter que des poudrages réalisés à l’aide de produits fluorés sont pratiqués dans les régions les plus chaudes. Les produits à base de fluor (Fluosilicate de baryum, de sodium…) représentent des quantités relativement faibles (1 500 à 2 000 tonnes épandues annuellement). Ainsi, les inventaires d’appareils réalisés au début de la décennie 1950-1960 ne tiennent compte que des pulvérisateurs. Le tableau n° 15 indique le nombre d’unités opérationnelles en 1952 par catégorie de pulvérisateurs.

Tableau n° 15. Appareils utilisés dans la lutte contre le doryphore en 1952
Tableau n° 15. Appareils utilisés dans la lutte contre le doryphore en 1952

Malgré les réserves habituelles que nous pouvons émettre concernant la véracité des chiffres présentés, le changement quantitatif de chaque catégorie d’appareils indique très clairement une rationalisation rapide de la lutte contre le doryphore. Les pulvérisateurs à dos, utilisés dans les exploitations de 1952, semblent concentrés dans les petites unités de productions, en particulier dans les régions viticoles du sud de la France. Cependant, il est impossible, avec les documents que nous avons utilisés, de connaître avec exactitude le nombre d’appareils à grand travail utilisés collectivement. Bien qu’il paraisse logique de déduire que l’équipement le plus perfectionné correspond à des exploitations performantes quant au rendement obtenu, nous nous devons d’éviter toute généralisation. En effet, conformément à l’arrêté du 29 avril 1948, le maire de chaque commune, assisté du groupement de défense contre les ennemis des cultures, organise la destruction des doryphores. La présence des groupements, s’ils sont dynamiques, favorise l’achat et l’utilisation d’un matériel efficace. Le rôle des appareils, dans la mesure où ils permettent d’obtenir, par la finesse de la répartition des matières actives et une couverture maximale des surfaces à protéger, une mortalité la plus importante possible, n’est pas négligeable dans l’apparition des phénomènes de résistance. Dès le début des années 1950, le parc de matériel de traitement permet d’envisager, en France, quelques cas de résistance.

Notes
527.

A.N.-F., 5 SPV 37, Note de l’inspecteur générale de l’Agriculture destinée à Monsieur Deschars, membre du Comité international pour l’étude du Doryphore, 15 mars 1946.

528.

A.N.-F., 5 SPV 36, Lettre du Dr. Reinhardt (Hotel Majestic) destinée au Ministère de l’Agriculture (Rue de varennes) en date du 20 mars 1941.

529.

A.N.-F., 5 SPV 36, Directives au sujet de la lutte contre le doryphore dans la zone occupée pendant l’année 1941, Lettre du Dr. Scheibe en date du 13 janvier 1941

530.

ANONYME, « Ennemi public n° 1, une lutte acharnée a permis de contenir aux frontières allemandes le Leptinotarsa decemlineata », dans Signal, n°21, novembre 1941, pp. 33-35

531.

M. RAUCOURT, B. TROUVELOT, Ch. VEZIN, « La lutte contre le doryphore en 1942 », dans Compte-rendu des séances de l’Académie d’agriculture de France, séance du 3 juin 1942, 1942, pp. 440-441

532.

A.N.-F., 5 SPV 36, Arrêté du 18 février 1941 portant la mention “non publié au J.O.”

533.

A.N.-F., 5 SPV 36, Note du Ministre secrétaire d’Etat à l’agriculture destinée aux Directeurs des Services agricoles, 25 août 1941 [Commentaire de l’arrêté du 18 février 1941]

534.

A.N.-F., 5 SPV 36, Note de Vezin pour Trouvelot, destinée à son exposé au Comité international pour la lutte contre le doryphore (mai 1946).

535.

A.N.-F., 5 SPV 186, Note non signée, La lutte contre le doryphore en France en 1952, février 1953, 5 p.

536.

« Lutte contre le Doryphore », arrêté du 29 avril 1948, dans Journal Officiel de la République française, 7 & 8 mai 1948, pp. 4411-4412

537.

« Conditions de commerce et d’emploi en agriculture des composés arsenicaux », arrêté du 16 février 1949, dans Journal Officiel de la République française, 25 février 1949, pp. 2055-2056

538.

« Emploi des poudrages à l’arséniate de chaux pour le traitement des pommes de terre », arrêté du 1er août 1938, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 3 août 1938, pp. 9177-9178

539.

A.N.-F., 5 SPV 37, Lettre de Monsieur Poutiers, datée du 1er avril 1950, destinée à l’inspecteur du S.P.V. de la circonscription de Paris mais également au Président de la Chambre syndicale de l’industrie des spécialités pour la protection et l’amélioration des cultures. Or, c’est ce dernier organisme qui prévient le S.P.V. de l’interdiction prise par le Préfet de Seine-et-Oise l’année précédente (arrêté préfectoral du 9 février 1949 avec rectificatif du 5 mars 1949).