B. Les traitements des graminées

Bien que généralement moins citées au début du vingtième siècle, les poacées nuisibles causent régulièrement de sérieux problèmes aux exploitants agricoles. En 1917, Georges Fron commente les déboires d’un agriculteur du Béarn. Ce dernier « passe pour tenir ses terres dans l’état le plus parfait de propreté et pour produire le plus de blé à l’arpent dans la région qu’il habite (commune de Guinarthe)». Les rendements de ce cultivateur sont d’environ 11 à 12 hectolitres à l’arpent (38 ares) lorsque la folle-avoine612, une graminée pouvant atteindre plus d’un mètre, n’est pas ou peu présente sur les terres emblavées. Les années où la folle-avoine est fortement implantée, le rendement diminue de 3 à 4 hectolitres par arpent613. Mais, en dehors des graminées annuelles, comme la folle-avoine, il existe des poacées vivaces dont la dispersion et la propagation dans un champ est la conséquence directe des façons culturales. « C’est surtout par les rhizomes qui se trouvent dans le sol, rhizomes qui sont fragmentés en tronçons durant les opérations culturales, que la multiplication de ces plantes s’effectue »614. La propagation est d’autant plus rapide avec les labours issus de la généralisation de la motorisation. Ce phénomène se conjugue alors avec l’usage important des anti-dicotylédones entre 1950 et 1970. En effet, « l’utilisation intensive des herbicides actifs contre les dicotylédones –hormones et colorants nitrés- est pour une bonne part responsable de la recrudescence de l’infestation des cultures par les graminées adventices, plantes résistantes à ces produits »615. Suivant les régions considérées, et les plantes cultivées, les espèces de graminées les plus nuisibles ne sont pas identiques. Dans les orges, blés et avoines dominent les vulpins et l’agrostis, dans les rizières, les panics rendent obligatoire un repiquage coûteux…Mais, la prédominance des graminées adventices procède également de la suppression d’un assolement régulier et de la spécialisation culturale de certaines régions céréalières. L’adéquation entre le cycle des mauvaises herbes et celui du végétal cultivé permet, aidée par la destruction des dicotylédones, la prédominance des plantes comme le vulpin (Alopecurus myosuroides). Dans certains cas, seule semble posséder une responsabilité dans l’inversion de flore, l’application de produits nommés antidicotylédones616. C’est ainsi que le chrysanthème des moissons (Chrysanthemum segetum) disparaît au profit de l’avoine à chapelets (Arrhenatherum elatius bulbosum) et de la folle avoine (Avena fatua) dans les céréales bretonnes617. En 1969, citant un rapport de la D.G.R.ST. (Direction général de la recherche scientifique et technique), Pierre Grison, à dessein de démontrer les substitutions d’espèces occupant les mêmes niches écologiques, explique, résumant alors la situation, que « la généralisation de l’emploi des herbicides en culture céréalière a pratiquement fait disparaître les coquelicots, les bluets et les moutardes (sanves) des terres ensemencées, mais a favorisé depuis une quinzaine d’année, l’envahissement croissant des emblavures par des graminées adventices (vulpin, folle avoine, agrostis, etc.) contre lesquelles nous sommes démunis »618.

Les façons culturales, alliées aux traitements phytosanitaires, dans les cas que nous venons de décrire, n’entraînent pas une augmentation théorique du nombre d’espèces nuisibles. Les cultivateurs doivent faire face aux mêmes plantes nuisibles. Cependant, la destruction d’une certaine catégorie de mauvaises herbes rend nécessaire une lutte plus rationnelle contre d’autres végétaux, auparavant considérés comme secondaires, ou sporadiquement nuisibles. Les traitements réalisés par les agriculteurs doivent donc tenir compte de l’évolution de la flore adventice. De plus, les traitements anti-graminées ne dispensent pas de mettre en place une stratégie de lutte contre les dicotylédones. Ces dernières, en l’absence d’une réduction d’effectifs produite artificiellement, redeviennent envahissantes.

Notes
612.

Le terme français “folle avoine” correspond en réalité à diverses espèces très semblables dont Avena fatua, Avena sterilis, Avena barbata et Avena ludoviciana.

613.

Georges FRON, Plantes nuisibles à l’agriculture, Paris, J.B. Baillère et fils, 1917, 346 p. [Citation p. 287]. Guinarthe est situé dans les Pyrénées-atlantiques.

614.

Georges FRON, Plantes nuisibles à l’agriculture, Paris, J.B. Baillère et fils, 1917, 346 p. [Citation pp. 306-307]

615.

R. LONGCHAMP, « Le désherbage chimique, situation actuelle et perspective d’avenir », dans Bulletin technique d’information, n° 167, 1962, pp. 227-244

616.

Nous devons aussi considérer que certaines dicotylédones ne sont pas touchées par l’application de produits et deviennent ainsi plus présentes dans les champs (cas du liseron après l’application de Simazine dans les cultures de maïs).

617.

G. BARRALIS, « Aspect écologique des mauvaises herbes dans les cultures annuelles », dans Compte rendu des journées d’études sur les herbicides, Troisième conférence du COLUMA, tome 1, Paris, 2&3 décembre 1965, pp. 5-20

618.

Pierre GRISON, « Pesticides ou lutte biologique », dans Atomes, n°269, octobre 1969, pp. 567-575