B. Oiseaux

1.Quelques données sur la protection des oiseaux au XIXe

Dès le dix-neuvième, des oppositions radicales apparaissent entre défenseurs des oiseaux, parfois soutenus par les sociétés locales d’agriculture d’une part, et de nombreux cultivateurs d’autre part. Ainsi, en 1850, le conseil général du Doubs s’oppose à une centaine de cultivateurs qui souhaitent chasser au filet pendant les périodes d’ouverture. Les demandeurs affirment alors que les oiseaux ne sont d’aucune utilité en agriculture, et que ceux qui prétendent qu’ils détruisent les chenilles ne sont que de grands ignorants en science naturelle. Or, précédemment, de nombreuses préfectures, sollicitées par les comices ou les sociétés d’agriculture, interdisent la chasse aux oiseaux lorsque les pullulations d’insectes ravagent les cultures689.

Cependant, le clivage entre l’élite agricole et la majorité des praticiens ne correspond pas à une simple sauvegarde d’un droit de chasse. En 1868, le Journal d’agriculture pratique publie l’article d’un propriétaire qui dénie aux oiseaux le moindre rôle utile et affirme se considérer comme seul à défendre publiquement la nocuité des oiseaux : « ce n’est pas sans une secrète satisfaction que je me vois, en ce débat, à peu près seul de mon avis ; seul bien entendu parmi ceux qui écrivent et qui parlent, car parmi ceux qui ne soufflent mot, c’est-à-dire parmi les paysans, oh ! là je suis bien loin d’être l’unique, tous pensent à cet égard à peu près de la même façon que moi ; mais comme l’opinion du paysan ne compte guère, c’est encore, ou peu s’en faut, comme si j’étais le seul de mon avis »690.

Mais, toute généralisation de comportement est abusive et divers textes attestent de l’utilisation, au sein d’exploitations d’importance, de l’intérêt des oiseaux, sauvages ou domestiques. C’est ainsi, que de nombreuses mentions prouvent l’usage des poulaillers roulants lors des labours afin d’éliminer en particulier les larves de hannetons. Nous nous attarderons cependant quelque peu sur les exemples de mise à contribution de la faune aviaire autochtone. En effet, certains utilisent rationnellement les oiseaux sauvages indigènes. Ainsi, le Journal d’agriculture pratique atteste en 1838 qu’un propriétaire de serres, lâche dans celles-ci des mésanges bleues pour détruire pucerons et cochenilles691. Dans la Meuse (arrondissement de Verdun), l’administration forestière interdit l’entrée des bois au printemps 1862 afin d’éviter de déranger les oiseaux lors des périodes de reproduction et ce dans l’unique but de favoriser l’élimination des insectes692. Le respect de cette interdiction est encouragé par les instituteurs et les ecclésiastiques. D’autres expériences locales semblent plus concluantes. C’est ainsi qu’en 1868 « un garde de forêt communale à exposé au concours régional de Colmar des nichoirs pour mésanges de son invention. Ce sont de vieux sabots percés d’un trou. Les insectes faisaient de tels ravages dans une propriété dépendante de la surveillance du garde en question que tous les fruits étaient dévorés. Depuis que les nids artificiels, qui ont été placé en grand nombre, sont habités par les mésanges, il paraît que les choses ont grandement changé et qu’il y a eu d’abondantes récoltes »693. Au cours du dernier tiers du dix-neuvième, un véritable rapprochement s’opère entre les protecteurs des oiseaux utiles et les instituteurs. La Société d’horticulture de Marseille, par exemple, met en place, dès 1872, une politique de prix attribués dans un premier temps essentiellement aux représentants des forces de l’ordre qui s’illustrent dans le respect des lois liées à la protection des oiseaux. Par la suite, « la Société fit appel au dévouement des instituteurs pour qu’ils fissent pénétrer dans les masses, par leurs élèves et leurs parents, la nécessité de la conservation des oiseaux utiles, la destruction des rapaces et celle des animaux malfaisants pour l’agriculture »694. En 1887, les écoles influencées par la Société d’horticulture de Marseille protègent 1 352 nids, 4 601 oiseaux et détruisent 1 088 882 animaux nuisibles (dont certains, d’après la définition donnée, seraient plutôt utiles !).

Notes
689.

N., « De l’utilité des oiseaux en agriculture », dans Journal d’agriculture pratique, 5 décembre 1850, pp. 711-713

690.

Honoré SCLAFER, « Le rôle des oiseaux en agriculture » dans Journal d’agriculture pratique, volume 1, 1870, pp. 627-629

691.

POITEAU, « Nouveau moyen de détruire les pucerons et kèrmès qui fatiguent et salissent les plantes de serre », dans Journal d’agriculture pratique, février 1838, p. 334

692.

ANONYME, « Conservation des oiseaux », dans Journal d’agriculture de la Côte d’or, n° 6, juin 1862, p. 192 [extrait d’un article du Journal d’agriculture progressive].

693.

A. FERLET, « Propagation des oiseaux utiles à l’agriculture », dans Journal d’agriculture pratique, tome 4, 1868, pp. 122-124 [la citation reprend un article publié par Émile Burnat dans le Bulletin de la société industrielle de Mulhouse].

694.

Adrien SICARD, « Rapport sur le concours pour la protection des nids et la destruction des animaux nuisibles », dans Revue horticole des Bouches-du-Rhône, n° 414, 1889, pp. 26-31