C. Autres vertébrés

1. Mammifères

Parmi les animaux considérés comme utiles, les mammifères ne représentent pas le groupe le plus fréquemment cité. Certes, en 1902, la Société d’Histoire naturelle d’Autun atteste que les maraîchers introduisent des hérissons dans leurs jardins, afin d’assurer la destruction des limaces et insectes nuisibles à l’agriculture, et se dresse contre les nomades qui se nourrissent de cet auxiliaire723. Les autres espèces classiquement citées comme utiles par les naturalistes appartiennent à l’Ordre des Chiroptères. Parfois, au début du vingtième siècle, certains souhaitent, appuyant leur argumentaire sur les réalisations texanes de nichoirs artificiels, une protection des différentes espèces de Chauves-souris françaises, voraces insectivores, produisant, qui plus est, un guano riche en azote724.

Néanmoins, au cours du dix-neuvième et du vingtième siècle, les taupes demeurent les mammifères les plus cités dans les revues agricoles. Ces animaux, dont le régime alimentaire permet de les classer comme extrêmement utiles, notamment dans la chasse aux insectes souterrains, apparaissent également comme nuisibles (sectionnement des racines, monticules de terres entravant le fauchage des prairies…). Cette ambiguïté donne à ce mammifère une place à part dans le classement anthropocentrique des organismes vivants.

Au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, occasionnellement, certains praticiens, au fait des études naturalistes, abandonnent leur terrain aux taupes afin qu’elles éradiquent les larves de hannetons. Tous ne semblent pas unanimes sur le rôle d’auxiliaire de ce mammifère. Un producteur de fraises des environs de Fontainebleau (Seine-et-Marne), déclare en 1864 : « Longtemps j’ai eu le tort de suivre le conseil de certains théoriciens, et de laisser la taupe (autre ennemi redoutable des jardins) circuler librement, jusqu’à ce que j’aie acquis la certitude que les taupes, loin de faire la chasse aux vers blancs, ajoutent encore aux tribulations des jardiniers »725. Comme le précise cet extrait, un certain antagonisme existe entre les praticiens et ceux qui tentent de vulgariser les conclusions des études naturalistes. C’est ainsi, qu’un rapport sur le hannetonnage, publié en 1869 par la Société d’agriculture de Seine-et-Oise, cite un Docteur allemand qui affirme simplement que, « de toutes les fautes qu’un agriculteur ou un jardinier peut commettre, la plus grande est la chasse aux taupes »726. Quant au Journal d’agriculture pratique, référence nationale au cours du dix-neuvième siècle, il considère, dans une vision généralement partagée et débouchant sur la destruction de l’animal, que, « partout où les taupes se multiplient beaucoup, les bons agriculteurs s’empressent de faire un abonnement avec un taupier, chargé de la destruction de ces animaux qu’ils considèrent comme très nuisibles »727. Cependant, l’utilisation rationnelle des taupes comme un moyen de lutte biologique est toujours attestée occasionnellement dans l’Entre-deux-guerres. Un article, publié en 1930 par la Société dauphinoise d’études biologiques, cite le cas d’un jardinier, exploitant l’ambiguïté du rôle de la taupe, qui « l’introduisait volontairement vers la fin de l’automne pour lui faire nettoyer son jardin et la piégeait au printemps »728.

Notes
723.

H. MARLOT, « Sur la destruction des hérissons », dans Compte-rendu des séances de la Société d’histoire naturelle d’Autun, séance du 7 décembre 1902, tome 15, 1902, pp. 274-275

724.

ANONYME, « Sur la protection des Chauves-souris », dans Bulletin de la Société d’étude et de vulgarisation de la zoologie agricole appliquée, Mars-avril 1919, n° 3-4, pp. 28-29

725.

Ferdinand GLOEDE, « Essai pour la destruction des vers blancs ou larves du hanneton commun », dans Journal de la Société impériale et centrale d’horticulture, tome 10, 1864, pp. 673-675

726.

THIBERIERGE (Rapporteur), « Rapport sur le hannetonnage », dans Bulletin de la Société impériale d’agriculture et des arts de Seine-et-Oise, Série 2, n°2, avril 1869, pp. 138-165

727.

J.-A. BARRAL, [Réponse à une question d’un abonné] « Les taupes et les vers blancs », in “ Chronique agricole (première quinzaine de février 1870)”, dans Journal d’agriculture pratique, tome 1, 1870, p. 446

728.

L.-J. PERRIN, « La taupe et la faune hypogée », dans Procès-verbaux de la Société dauphinoise d’études biologiques (Bio-club), n°158, 25 juin 1930, pp. 73-78