1. L’apparition d’un nouveau déprédateur : Des U.S.A. à la France

La présence d’une nouvelle espèce de cochenille, alors inconnue des naturalistes, nuisible à divers végétaux cultivés est constatée en Californie en juillet 1872. Insecte de forte taille, les adultes mesurent couramment jusqu’à un centimètre. Cette cochenille, dont la reproduction parthénogénétique assure une ponte d’environ 600 à 800 œufs par femelle en une génération747, possède un aspect très particulier. L’Horticulture nouvelle présente une description très évocatrice : « Ce parasite est très facile à reconnaître. Il est tellement dense sur les rameaux envahis qu’il donne de loin l’apparence d’une épaisse couche de givre. En effet, les branches et les rameaux sont couverts de coussinets blancs, cannelés, formés de filaments cireux agglutinés et secrétés par le parasite »748. Après enquête des services entomologiques américains, ce nouvel insecte aurait été introduit en 1868 lors d’importations d’acacias, destinées à un raffineur de cannes à sucre, en provenance d’Australie. Les cochenilles, « abandonnaient bientôt après, du reste, les acacias, pour entreprendre le cours de leurs ravages sur les jeunes pousses des céréales, des pins, des cyprès, des genêts, des orangers, des citronniers, des rosiers, qui leur fournissaient une alimentation plus succulente et surtout fort variée »749. Les entomologistes américains Maskell et Riley nomment alors cette cochenille Iceria purchasii. Aucun produit n’étant efficace pour lutter contre ce déprédateur, le “white scale” (ou “fluted scale”) des américains devient, à partir de 1886750, la cochenille la plus nuisible des orangers. L’ensemble des plantations d’agrumes risque alors de disparaître de la côte ouest. Ainsi, entre 1886 et 1890, les dégâts conduisent les principaux propriétaires des champs d’orangers de la région de Los Angeles à renoncer à cette culture751.

À la suite d’échanges et de transports de végétaux, la cochenille nuisible pénètre dans de nombreuses régions des USA. Elle atteint la Floride en 1894. Les circuits commerciaux étant difficiles à établir, il n’est pas aisé de connaître les nations pouvant servir de relais à l’Iceria purchasii. De plus, dans de nombreux cas, les entomologistes de la fin du dix-neuvième siècle ne connaissent pas l’origine des infestations pour toutes les localités. Plusieurs foyers apparaissent successivement en différents points du globe. La progression de l’invasion ne procède pas uniquement d’une marche par étape mais également d’expéditions végétales diverses à partir de l’Australie. Ainsi, Le Cap est contaminé en 1873, par l’intermédiaire de son jardin botanique) alors que la Nouvelle-Zélande est épargnée jusqu’en 1876. En Europe, l’animal se retrouve au Portugal, sur les rives du Tage, en 1896752. Fin 1900, un nouveau foyer apparaît (sur des orangers 753) en Italie, à Portici, dans la région napolitaine.

Désormais, l’invasion de la France semble inéluctable. Un groupe de végétaux contaminés, acheté à Naples pendant l’été 1910, est planté dans une propriété de Saint-Jean-sur-Mer, presqu’île du Cap-Ferrat (Alpes-maritimes). Le foyer primitif s’étend à partir du parc d’une villa nommée “Ile-de-France”. En mars 1912, un certain Curtis, propriétaire de la villa “Sylvia”, située sur le territoire de la commune de Saint-Jean-sur-Mer et limitophe du premier parc d’agrément contaminé, signale l’apparition d’un nouveau ravageur et expédie à la station entomologique de Paris quelques échantillons de cet insecte. Paul Marchal, Directeur de la station, commente la surprise causée aux habitants de la presqu’île : « Ils [les insectes] nous étaient adressés par le propriétaire de l’une des villas envahies qui nous faisait part de l’émotion causée dans son entourage par l’apparition de ce dévastateur complètement inconnu jusqu’alors dans ce pays et qui couvrait les arbres de grandes plaques de neige »754. Le fléau se déclare entre la zone méridionale de la presqu’île, couverte de pins d’Alep et un secteur septentrional, boisé par des plantations d’oliviers. Entre ces deux territoires, prospèrent de nombreux jardins d’agréments et quelques établissements horticoles de faible importance755. Or, malgré une localisation de l’invasion restreinte à trois propriétés isolées au sein d’une presqu’île, et distantes de quelques centaines de mètres, les méthodes d’éradication totale ne peuvent déjà plus opérer. Les mesures traditionnelles d’extinction, comme la taille sévère des arbres atteints, l’incinération des déchets ou les traitements aux polysulfures apparaissent nécessaires aux entomologistes dans le seul dessein de freiner l’extension du foyer.

Notes
747.

A.S. BALACHOWSKY, L. MESNIL, Les insectes nuisibles aux plantes cultivées, tome 1, Paris, 1936, 1137 p. [indications biologiques p. 522-524]

748.

J. CHIFFLOT, « La cochenille australienne (Icerya purchasii) et son parasite naturel, le Novius cardinalis », dans l’Horticulture nouvelle, n°2, 1918, pp. 38-40

749.

KEW BULLETIN, cité dans Revue des sciences naturelles appliquées sous le titre « L’Iceria purchasii », tome 36, 1889, pp. 1045-1047

750.

C.L. MARLATT, « The scale insect and mite enemies of citrus trees », dans Yearbook of the United States, département of agriculture, 1900, pp. 247-290 [ « The fluted scale », pp. 278-282]

751.

J.P., « Les parasites des insectes nuisibles », dans Revue des sciences naturelles appliquées, tome 38, 1891, p. 155

752.

Paul MARCHAL, « L’Icerya purchasi en France et l’acclimatation de son ennemi d’origine australienne, le Novius cardinalis », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties sur les travaux et missions de 1912, tome 1, 1913, pp. 13-18

753.

Théophile PAGLIANO, « Le Novius cardinalis et l’Icerya purchasi », dans Bulletin de la direction générale de l’agriculture, du commerce et de la colonisation de la régence de Tunis, n°129, second trimestre 1927, pp. 189-198

754.

Paul MARCHAL, « L’acclimatation du Novius cardinalis en France », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation, tome 60, 1913, pp. 558-562

755.

G. POIRAULT, A. VUILLET, « L’acclimatation du Novius cardinalis dans les jardins de la presqu’île du Cap Ferrat envahis par l’Icerya purchasi », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties sur les travaux et missions de 1912, tome 1, 1913, pp. 27-33