2.L’exemple américain de lutte biologique

L’arrivée d’une cochenille parasite, discrète en Australie mais extrêmement nuisible dans ses nouveaux lieux d’implantation, suscite rapidement un certain nombre d’interrogations pour les entomologistes. L’entomologiste agricole américain C.V. Riley suppose que des parasites freinent le développement des cochenilles en Australie même. Riley, dont les théories n’emportent pas l’adhésion de l’ensemble des entomologistes, dresse tout d’abord un inventaire des prédateurs, présents dans les pays envahis, susceptibles d’entraver la progression des cochenilles. Mais, eu égard aux dégâts d’Icerya purchasi, Riley considère que le destructeur principal des colonies de coccidés se trouve toujours en Australie756. Il obtient, non sans peine, qu’un entomologiste de son service, Albert Koebele, se rende en Australie. Ce dernier expédie ou ramène d’Océanie plusieurs milliers de spécimens, appartenant à des espèces variées.

Dans un premier temps, d’après les publications américaines, les espoirs de luttes biologiques portent essentiellement sur les endoparasites. La découverte de l’hyperparasitisme remet parfois en question les espèces présentant une certaine efficacité757. Parmi les prédateurs, les chrysopes apparaissent aux yeux de Koebele comme des animaux également intéressants758. Malgré des essais antérieurs concernant l’utilisation de coccinelles destructrices de pucerons aux Etats-Unis759, les premières coccinelles importées semblent seulement étudiées par les entomologistes américains à partir de la fin novembre 1888. Des essais de lâchers, rapidement réalisés, donnent entière satisfaction760. Or, si une centaine d’exemplaires de Novius cardinalis parviennent aux Etats-Unis, la prolifération de cette coccinelle permet aux services agricoles de distribuer, du mois de janvier à juin 1889, 10 000 individus aux horticulteurs californiens761. Grâce à une prodigieuse fécondité, la coccinelle introduite extermine pratiquement son hôte naturel. Dès 1890, l’entreprise est un succès. L’agriculture californienne est sauvée et la lutte biologique considérée comme efficace par l’opinion bien que la destruction des parasites ne soit pas complète762. « Au dire des témoins, cette délivrance prit pour les habitants du pays un caractère presque miraculeux »763.

Des Etats-Unis, la coccinelle est exportée en Afrique du Sud, en Egypte et au Portugal au cours de la décennie suivant son introduction en Amérique. Le nombre d’individus de Novius cardinalis expédié aux nations contaminées ne représente qu’un effectif faible. Ainsi, le Portugal ne reçoit vivants que onze individus. Le soin particulier accordé à la multiplication de la coccinelle permet, en peu de temps, de distribuer de nombreux spécimens aux propriétaires dont les plantations sont atteintes. Le résultat est rapide. « D’après un témoin oculaire, les dépouilles des cochenilles couvraient le sol sous les orangers à l’instar d’une couche de sel »764.

Cependant, la méconnaissance des mœurs de Novius cardinalis entraîne une nouvelle invasion sur la côte est des U.S.A. C’est ainsi qu’un pépiniériste de Floride, ignorant que les Novius cardinalis sont strictement inféodées à Icerya purchasi, se procure les précieuses coccinelles pour limiter les déprédations d’autres cochenilles. Les Novius ne voyageant qu’avec de la nourriture vivante, le résultat de l’opération se solde par l’acclimatation d’une nouvelle espèce de cochenille, le parasite n’ayant pas survécu, dans l’État de Floride en 1884… Ce fait, mineur et sans grande incidence économique, démontre que la lutte biologique ne peut être organisée sans connaissance éthologique précise765.

Rétrospectivement, la victoire américaine permet à Paul Marchal d’expliciter les motivations de l’implantation française de Novius cardinalis : « De notre pays, le littoral méditerranéen qui, en raison de la douceur de son climat et de la multiplicité des plantes diverses que l’horticulture y a concentrées de toutes les parties du monde, ne se prête que trop à l’invasion des insectes nuisibles exotiques, semblait particulièrement désigné pour y mettre en pratique les méthodes américaines »766.

Notes
756.

C.V. RILEY (texte lu devant la société philosophique de Washington en mars 1888), « The Icerya or fluted scale », in “Some récent entomological matters of international concern”, dans Insect life, volume 1, n°5, novembre 1888, pp. 126-131

757.

Albert KOEBELE (commentaire d’un courrier de), « A secondary Icerya parasite », in “Special notes”, dans Insect life, volume 1, n°8, février 1889, pp. 232-233 [Note écrite à propos d’un parasite du genre Lestophonus].

758.

Albert KOEBELE (lettre reproduite), « Introduction of living parasites : success of the mission to Australia », in “Spécial notes”, dans Insect life, volume 1, n°6, décembre 1888, pp. 164-165

759.

P.R. HOY, « Insectes nuisibles à l’agriculture : Aphides », traduit d’après un article des Transactions of Wisconsin (Académie des sciences, arts et lettres), dans Bulletin mensuel de la Société Linnéenne du Nord de la France, n°20, février 1874, pp. 20-36. [Les exemples cités correspondent à des réalisations locales sur les arbres et vignes du commentateur de l’article américain].

760.

W. COQUILLET, « The imported australian lady-bird », dans Insect life, volume 2, n°3, septembre 1889, pp. 70-74

761.

Paul MARCHAL, « L’Icerya purchasi en France et l’acclimatation de son ennemi d’origine australienne, le Novius cardinalis », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties sur les travaux et missions de 1912, tome 1, 1913, pp. 13-18

762.

J.M. RUSK, « Division of entomology », dans Report of the secretary of agriculture, Washington, governement printing office, 1890, 612 p. [pp. 27-30]

763.

Paul MARCHAL, « L’Icerya purchasi en France et l’acclimatation de son ennemi d’origine australienne, le Novius cardinalis », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties sur les travaux et missions de 1912, tome 1, 1913, pp. 13-18

764.

J. DAVEAU, « Destruction des insectes par leurs ennemis », dans Annales de la Société d’horticulture et d’histoire naturelle de l’Hérault, n°31, 1899, pp. 125-127

765.

C.L. MARLATT, « The scale insect and mite enemies of citrus trees », dans Yearbook of the United States, département of agriculture, 1900, pp. 247-290 [ «The fluted scale », pp. 278-282]

766.

Paul MARCHAL, « Utilisation des coccinelles contre les insectes nuisibles aux cultures dans le midi de la France », dans Compte-rendu des séances de l’Académie des sciences, séance du 10 janvier 1921, pp. 105-107