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5. Novius cardinalis : une référence historique française

La réussite de l’introduction de Novius cardinalis constitue la cause de la création de l’insectarium de Menton en 1917. Mais, en dehors des aspects concernant le fonctionnement des centres de recherches officiels, cette acclimatation permet d’envisager, rationnellement, de nombreuses autres tentatives. L’une des premières tentatives réalisée après la Grande guerre traduit parfaitement les difficultés soulevées par le rôle des auxiliaires, en théorie efficace. Paul Marchal entreprend dès 1918 de lutter contre les pucerons lanigères (Eriosoma lanigerum), espèce d’origine américaine introduite en France au début du dix-neuvième siècle. Cet insecte, essentiellement nuisible aux pommiers, possède la particularité de former des colonies de couleur blanchâtre sur les rameaux. La coloration visible résulte de sécrétions cireuses produites par l’animal. Par ailleurs cet arthropode se rencontre éventuellement sur les racines. Or, la protection cireuse constitue une entrave à la pénétration de produits, et ce, jusqu’à la mise au point, à la fin des années 1950, de substances systémiques comme le Vamidothion. Après la Première guerre mondiale, la lutte biologique semble particulièrement séduisante puisque les arboriculteurs ne possèdent pas de moyens efficaces aisément utilisables. En juin 1920, lors d’un voyage en France, Howard rapporte des U.S.A. des colonies de pucerons parasités par un microhyménoptère nommé Aphelinus mali. Le matériel offert par Howard représente une centaine d’auxiliaires. Marchal commente avec une certaine fierté la réussite des premiers élevages réalisés à Paris, puis à Antony (Seine), Montargis (Loiret) et Rouen : « À la fin de septembre, cinq générations, fournissant des milliers d’individus, s’étaient succédées dans nos élevages et nous permettaient d’augmenter le nombre des foyers en vue de la dispersion de l’espèce ». Cependant, Marchal ajoute, dès 1921, à propos de cette acclimatation: « Il serait fort exagéré d’espérer qu’elle fera rétrocéder le puceron lanigère au point d’en faire une espèce avec laquelle nous n’aurons plus à compter pour la culture du pommier »791. Mais, si l’apport de l’Aphelinus mali demeure loin d’être un échec, il ne constitue cependant pas une réussite nationale. Tandis que à Alençon, le Président de la Société d’horticulture de l’Orne conclut à l’éradication des pucerons lanigères792, le Directeur de la station entomologique de Rouen, par ailleurs fervent défenseur des moyens biologiques, demeure dubitatif quant à la capacité d’enrayer les dégâts de l’homoptère793. Par la suite, exprimant son désarroi, Robert Régnier, explique que, pour des raisons essentiellement climatiques, « l’Aphelinus ne peut-être ici au point de vue agricole qu’une acquisition médiocre, dont le maintien est, du reste, problématique, en Haute-Normandie tout au moins »794. La relative sensibilité au froid et les effectifs limités des populations de pucerons durant l’hiver apparaissent comme des causes limitatives de l’expansion de l’hyménoptère. Cependant, l’Aphelinus mali réapparaît parfois après de nombreuses années pendant lesquelles il n’est pas observé. Le cas se présente à Lyon où Marchal expédie des auxiliaires dès l’automne 1920 à la station de Saint-Genis-Laval. Après les lâchers de 1922, Aphelinus mali disparaît jusqu’en 1931, date à laquelle les scientifiques le repère à nouveau795. Connaître le nombre exact de lâchers semble relativement peu aisé puisqu’en 1950, le Directeur de l’Insectarium d’Antibes note avec prudence que « seuls dix-huit départements français ne paraissent pas avoir reçu d’Aphelinus mali à ce jour »796. Cependant, malgré certains aléas, le précieux hyménoptère demeure présent en France, éventuellement réintroduit, à la fin du vingtième siècle. En 1985, Roger Géoffrion, officiant au S.P.V. d’Angers, résume le rôle de ce microhyménoptère, capable de maîtriser le puceron lanigère dans le cadre d’une lutte raisonnée, en une phrase : « Il convient de le protéger par tous les moyens »797.

Considérant la présence de l’Aphelinus mali et bien évidemment de Novius cardinalis, exemple historique,sur le sol françaiscomme des réussites, Paul Vayssière, Professeur à l’institut national d’agronomie coloniale, considère, en 1934, lors du Congrès de la défense sanitaire des végétaux, que l’acclimatation, étant donné que les déprédateurs les plus nuisibles proviennent de l’étranger, demeure la solution vers laquelle les laboratoires doivent orienter leurs recherches. Mais, surtout, il annonce, avant d’insister sur le manque de moyens des structures de recherches, que « des essais sont en cours en ce qui concerne les parasites du Doryphore »798. Or, en raison de la célébrité de ce dernier insecte, nous devons brièvement rappeler les tentatives, qui n’aboutissent pas à une concrétisation de la lutte, effectuées pour limiter les populations de doryphores.

Dès 1876, Charles Riley, considérant l’invasion européenne comme inéluctable, s’intéresse au rôle que présentent les ennemis des doryphores. Lors de l’apparition du ravageur sur le sol français, deux chercheurs rejoignent les U.S.A pour collecter les arthropodes américains capables de diminuer les populations de doryphores. Bernard Trouvelot en 1928, insiste sur le rôle bénéfique de quatre espèces principales qu’il expédie à la station de Bordeaux. Dès le début de l’année 1931, la Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures émet le vœu que les recherches soient poursuivies et amplifiées. Il est vrai que la Ligue compte parmi ses responsables Paul Marchal ou Bernard Trouvelot799. À cette époque, la lutte biologique correspond à un palliatif destiné à compenser les traitements qui, lorsque l’État ne les financerait plus, perdraient, malgré les obligations légales, un caractère généralisé. Pour compléter les renseignements et assurer un nouveau ramassage, Feytaud envoie, à nouveau, un émissaire aux Etats-Unis, Jean Bruneteau800. Les essais préliminaires, résultants des deux expéditions américaines, débouchent sur des fortunes diverses. Les tachinaires reçues en 1928 et 1933 ne se multiplient pas en élevages, en particulier à cause d’envois réalisés en fin de saison…En revanche un carabe (Lebia grandis) se reproduit et permet des lâchers extérieurs considérés comme encourageants par les chercheurs. Dès 1933, des élevages en extérieur sont réalisés pour l’un dans une propriété de Hiesse (Charente) et l’autre près de Thiviers (Dordogne).Enfin deux espèces de punaises prédatrices sont reçues et les animaux sont répartis dans divers champs de pommes de terre du Sud-Ouest (Gironde, Dordogne et Corrèze) à partir de 1934801. L’Occupation suspend les travaux d’élevages et de lâchers jusqu’en 1957. À cette date, la C.I.L.B., consciente des problèmes posés par les pesticides, décide de reprendre les prospections d’auxiliaires dans la zone d’origine des montagnes rocheuses ainsi que les tentatives d’acclimatation qui résulteraient des nouvelles recherches802. Mais, l’utilisation, après 1945, de nombreuses substances de synthèse, considérées comme efficaces malgré l’apparition d’effets secondaires, ainsi que les difficultés de produire des auxiliaires, constituent deux éléments qui entravent les réalisations de lutte biologique. Cependant, nous aborderons, dans le chapitre consacré à la lutte intégrée, de nouveaux cas d’acclimatations entrepris dans le dessein de limiter, pour un autre ravageur, les opérations d’épandages de produits chimiques.

Notes
791.

Paul MARCHAL, Introduction en France de l’Aphelinus mali Haldeman, parasite du puceron lanigère », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, n°7, juillet 1921, pp. 65-70 [Article également publié dans les Comptes-rendus des séances de l’Académie d’Agriculture de France, séance du 20 juillet 1921].

792.

A.-L. LETACQ, « Résultats d’expériences faites à Alençon sur l’Aphelinus mali, parasite du puceron lanigère », dans Bulletin des amis de la Société des sciences naturelles de Rouen, 6e série, Années 1922 et 1923, pp. 45-46

793.

Robert RÉGNIER, « Observations sur l’acclimatation de l’Aphelinus mali en Normandie », dans Bulletin des amis de la Société des sciences naturelles de Rouen, 6e série, Années 1922 et 1923, pp. 46-50

794.

Robert RÉGNIER, « Note relative à l’acclimatation de l’Aphelinus mali (chalcidien), en Normandie », dans ans Bulletin des amis de la Société des sciences naturelles de Rouen, 6e et 7e série, Années 1924 et 1925, pp. 199-203

795.

Daniel SCHVESTER, « Observations sur l’acclimatation d’Aphelinus mali à Saint-Genis-Laval », dans Bulletin mensuel de la Société Linnéenne de Lyon, janvier 1933, p. 12

796.

R. PUSSARD, « L’utilisation des insectes auxiliaires en France », dans Bulletin technique d’information, n°49, 1950, pp. 223-227

797.

Roger GEOFFRION, « Le puceron lanigère du pommier », dans Phytoma, juin 1985, pp. 25-26

798.

Paul VAYSSIÈRE, « Les insectes auxiliaires en agriculture », dans Compte-rendu des travaux du Congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, Tome 2, pp. 119-120

799.

Se reporter au chapitre 6.

800.

Jean BRUNETEAU, « Recherches sur les ennemis naturels du Doryphore en Amérique », dans Annales des épiphyties et de phytogénétique, Nouvelle série, tome 3, fascicule 1, 1937, pp. 113-135

801.

Jean FEYTAUD, « Recherches sur le doryphore. IV. L’acclimatation d’insectes entomophages américains ennemis du Leptinotarsa decemlineata Say », dans Annales des épiphyties et de phytogénétique, Nouvelle série, tome 4, fascicule 1, 1938, pp. 27-65

802.

A.N.-F., 5 S.P.V. 203, J. FRANZ (Président du groupe de travail), Rapport sur la première réunion du groupe de travail “Lutte biologique contre le Doryphore” de la C.I.L.B. du 22 février 1957 à Gembloux, 6 p.