Les tentatives d’éradication des lapins par des méthodes biologiques remontent à l’Antiquité. Strabon cite la Turdétanie (sud-ouest de l’Andalousie actuelle), soumise parfois à des invasions dont les effets destructeurs sont comparés à la peste, comme territoire importateur de chats élevés en Libye et destinés à pénétrer dans les terriers807. L’utilisation des chats réapparaît comme une possibilité de limiter les lapins en Australie à la fin du dix-neuvième siècle. Il semble cependant que les animaux véritablement exportés d’Europe à ce dessein soient essentiellement des mustélidés808. La chasse ou les pièges semblent cependant constituer les moyens les moins inutiles pour limiter les populations. En 1884, 19 182 539 lapins australiens sont abattus809.
Mais, l’acclimatation de petits carnivores pose des problèmes d’efficacité. Non seulement les animaux auxiliaires ne possèdent pas un taux de reproduction suffisant, mais, surtout, ils ne sont nullement inféodés aux rongeurs. Par conséquent, les proies les plus faciles correspondent aux animaux des fermes (poules par exemple). Or, des auxiliaires aléatoires, pouvant devenir des nuisibles, ne peuvent servir les intérêts de l’agriculture pour laquelle « le lapin est un fléau, et elle le range sans hésitation parmi les animaux nuisibles dont il faut poursuivre l’extermination jusqu’à complète extinction »810.
Dès la fin du dix-neuvième siècle, l’usage de micro-organismes pathogènes apparaît à certains scientifiques comme possédant plus d’avantages que les vertébrés carnivores. Le 19 novembre et le 2 décembre 1887811, Le Temps publie un avis émanant du gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud. Ce dernier offre une récompense substantielle à la personne susceptible de proposer un remède efficace permettant d’enrayer les pullulations de lapins. En effet, ces animaux, introduits en Australie et Nouvelle-Zélande grâce à l’action de sociétés d’acclimatation et de chasse, ne connaissent aucun ennemi812. À cette époque, le seul carnivore susceptible d’enrayer les nouveaux nuisibles, le Dingo, étant pratiquement exterminé par les colons, les lapins prolifèrent sans aucun frein. En Nouvelles-Galles du Sud, « 500 000 hectares sont déjà entièrement ruinés, sans culture possible »813. Le 27 novembre 1887, Louis Pasteur, critiquant les remèdes classiques (poisons, pièges, actions de chasse), répond au directeur du Temps : « Je voudrais donc que l’on cherchât à porter la mort dans les terriers de Nouvelles-Galles du Sud et de la Nouvelle-Zélande, en essayant de communiquer aux lapins une maladie pouvant devenir épidémique ». Pasteur propose alors de transmettre au lapin le choléra des poules. L’expérimentation in situ, réalisée à Reims, dans un enclos de huit hectares, donne entière satisfaction. En moins de huit jours, plus de mille lapins sont détruits814. Loin d’être oubliés, les travaux de Pasteur ressurgissent parfois afin de justifier des moyens de destruction controversés. Ainsi, lors de l’apparition de la myxomatose en France, Paul Marsais, alors Président de la Fédération nationale des groupements de défense des cultures, rappelle aux lecteurs de La défense des végétaux, 68 ans après les travaux de Pasteur sur les maladies inoculables aux indésirables léporidés, les travaux antérieurs du savant français. Cet auteur qualifie alors l’utilisation des micro-organismes pathogènes, développée par Louis Pasteur, « de méthode de lutte originale et féconde », « nouvelle trouvaille géniale de notre premier Biologiste »815.
Mais, en 1888, les idées de Pasteur n’apparaissent pas reconnues de manière unanime. La Société nationale d’acclimatation propose de découvrir et d’exporter une autre maladie, propre aux lapins et ce afin de sauvegarder l’aviculture car, avec le choléra des poules, « dans tous les cas, un résultat qui serait certain serait celui de dépeupler toutes les exploitations rurales de la Nouvelle-Hollande des volailles qu’elles renferment »816. Les envoyés de Pasteur en Australie ne peuvent, à cause des incidences possibles sur les animaux domestiques, mettre en application, suite au refus des autorités locales, les idées du maître.
François LASSERRE (traducteur), STRABON, Géographie, Tome II (Livres III et IV), Paris, Les belles lettres, Collection des universités de France, 1966 [Informations pp. 37-38].
Am. BERTHOULE, « Une plaie en Australie », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation de France, Série 4, tome 5 (tome 35 du total des 4 séries), 1888, pp. 145-154. Parmi les mustélidés exportés : martre, fouine, putois, belette. [La possibilité d’user des félins domestiques est citée d’après un article de Lockard publié dans la revue Black wood enjanvier 1888].
F. LÖHR VOM WACHENDORF, L’Homme et les fléaux, Paris, La table ronde,1955, 318 p. [indication p. 235].
Eug. GAYOT, « Les lapins sauvages », dans Journal d’agriculture pratique, 1862, volume 1, pp. 379-382
La date du premier avis, indiquée par Pasteur, et reprise par la suite par certains auteurs, correspond au 9 novembre. Il s’agit cependant d’une erreur publiée en janvier1888 dans les Annales de l’Institut Pasteur.
C. de VARIGNY, « l’Océanie moderne : III. Îles Pomotou, îles Marquises, Nouvelle-Calédonie, Australie, Nouvelle-Zélande », dans La Revue des Deux Mondes, tome 82, 15 août 1887, pp. 906-933 [Informations pp. 922-923]
Am. BERTHOULE, « Une plaie en Australie », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation de France, Série 4, tome 5 (tome 35), 1888, pp. 145-154
Louis PASTEUR, « Sur la destruction des lapins en Australie et dans la Nouvelle-Zélande », dans Annales de l’Institut Pasteur, n°1, tome 2, janvier 1888, pp. 1-8
Paul MARSAIS, « À propos de la myxomatose », dans La défense des végétaux, n°56, mars-avril 1956, pp.1-2
MEGNIN, « Note relative à l’inoculation de la phtisie coccidienne aux lapins d’Australie », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation de France, Série 4, tome 5 (tome 35 de la collection), 1888, pp. 155-156.