2. La campagne de l’hiver 1911-1912

Jean Danysz poursuit ses études en isolant une bactérie pathogène pour les surmulots (Rattus norvegicus ou rat d’égout) et les rats gris (Rattus rattus)889. Des tentatives réussissent (Lille, Tunis, Copenhague ou Hambourg), d’autres avortent. L’échec d’Odessa, en octobre 1902, « fut retentissant et lui porta un coup très dur »890. Cependant, malgré ces déconvenues dans la lutte contre les rongeurs domestiques, l’usage de ce qu’il est convenu de nommer “Virus Danysz” ou “Virus Pasteur”, bien qu’il s’agisse d’une bactérie (identifiée comme Salmonella 891), progresse dans la lutte contre les rongeurs nuisibles à l’agriculture. Dans les premières années du vingtième siècle, le Ministère de l’Agriculture procède à une expérience en Charente. Le traitement de 12 000 hectares apparaît comme un succès une dizaine de jours après l’épandage bactérien. Cette réussite permet d’opérer un épandage sur 18 980 hectares autour d’Aigre et Oradour (Charente)892. Lors de la campagne 1910-1911, Paul Noël, directeur de la station de zoologie de Rouen, en use également avec succès.

Mais, la première production massive de bactéries date de 1912. À partir de 1904 et jusqu’en 1910, les pullulations se manifestent essentiellement dans la région parisienne, l’Est de la France, les Alpes et en Charente. Or, en 1912, plus de 1 000 communes, réparties dans 25 départements, représentant environ une surface d’un million d’hectares, souffrent des déprédations causées par les campagnols. La dose de traitement préconisée se situe à hauteur d’un litre de culture virale par hectare. Mais, il convient ensuite de mélanger cette solution dans trois volumes d’eau salée (à 5 grammes par litres). Les quatre unités ainsi obtenues permettent d’effectuer un trempage de huit kilogrammes d’avoine concassée, servant d’appât, qu’il convient d’épandre après deux à trois heures de bain. Par ailleurs, pour être véritablement actifs les traitements doivent s’opérer dans une période comprise entre le 15 novembre et le 15 mars, lorsque les campagnols ne trouvent que peu de nourriture, et en dehors des périodes ensoleillées ou pluvieuses. Jean Danysz souligne l’impossibilité technique de l’Institut Pasteur à fabriquer une telle quantité de matière active : « Il a été décidé sur la demande d’Eugène Roux, Directeur des services scientifiques du Ministère de l’Agriculture, d’organiser à la hâte une fabrication de virus dans les départements les plus éprouvés, en empruntant aux hôpitaux ou au Service de santé militaire les appareils de stérilisation que l’on pouvait trouver sur place » 893. Une méthode rapide de production se met en place. Ainsi, l’Institut Pasteur expédie des ampoules scellées de vingt centimètres cube correspondant à l’ensemencement d’un bidon de 20 litres. Diverses opérations et ingrédients demeurent cependant nécessaires et expliquent l’intervention de personnes quelque peu spécialisées894. Onze départements usent de ce système : Ain, Aube, Côte d’Or, Doubs, Jura, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Saône-et-Loire, Haute-Saône, Vosges. En deux mois de traitements, les laboratoires provisoires fabriquent et distribuent 270 000 litres de virus. Un vétérinaire départemental (Jura), cité par Danysz en exemple, prépare à lui seul 4 000 bidons de vingt litres. Une telle quantité permet de détruire les campagnols sur une superficie de 40 000 hectares. Au total ce vétérinaire opère sur 131 communes et estime la mortalité des rongeurs à 76 %. Danysz impute les échecs constatés aux difficultés techniques rencontrées par le vétérinaire dans la production microbienne mais également aux comportements négligents de certains agriculteurs. Deux motifs d’insuccès, se manifestant par la suite en permanence, apparaissent aux yeux de Danysz. D’une part, les praticiens n’effectuent pas un traitement généralisé, favorisant la réinfestation à partir des zones abandonnées aux campagnols, et, d’autre part, la réalisation de l’épandage intervient parfois après les délais impartis, rendant la préparation inopérante.

Notes
889.

Jean DANYSZ, « Un microbe pathogène pour les rats », dans Annales de l’Institut Pasteur, avril 1900, pp. 193-201

890.

Robert RÉGNIER, Roger PUSSARD, « La destruction des rongeurs par les virus », dans Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, n°50, 31 octobre 1925, pp. 746-754 [Article résumant l’historique des découvertes et applications réalisées par Danysz].

891.

La dénomination spécifique n’apparaît pas toujours semblable concernant la bactérie isolée par Danysz. Considérée au départ comme identique à l’agent découvert par Loeffler (E. MACÉ, Traité pratique de bactériologie, 3e édition, Paris, Baillière, 1897, 1147 p.), elle est parfois nommée différemment. Il convient d’ajouter que la définition d’espèce, suivant le système linnéen, ne correspond pas à une notion infaillible pour les bactéries qui sont, notamment après 1945, souvent définies par sérotype. [L. LE MINOR, « La notion d’espèce dans le groupe Salmonella », dans Annales de l’Institut Pasteur, tome 94, 1958, pp. 207-212].

892.

Jean DANYSZ, Les campagnols, Paris, Institut Pasteur, Service de parasitologie agricole, 1913, 94 p.

893.

Jean DANYSZ, Les campagnols, Paris, Institut Pasteur, Service de parasitologie agricole, 1913, 94 p.

894.

Dans chaque bidon, le préparateur doit enfermer : 17 l. d’eau, 2 Kg de haricots blancs, 750 cm3 De peptone liquide, 100 g. de sel de cuisine, 200 g. de carbonate de baryum, 7 cm3 de lessive de soude à 30° Baumé. Ensuite, il convient de faire chauffer l’ensemble à 115-120° pendant 30 minutes et d’ensemencer lorsque la température retombe à 40-45°. Ensuite, il faut laisser reposer à 25° durant 24 heures afin de multiplier les bactéries. Chaque bidon, avant usage doit ensuite être dilué de son volume d’eau. Chaque préparation est donc égale à 40 l.