Dans un courrier adressé à l’Inspecteur général Vezin, le 7 décembre 1945, Robert Régnier explique, après avoir indiqué le peu de fiabilité du procédé de Le Moult, que la station de zoologie agricole du Nord-ouest prépare pour le printemps 1946 des essais de destruction à l’aide d’insecticide de synthèse. Dans une lettre destinée à Tanguy-Prigent, daté du 15 avril 1946, l’une des filles de Léopold Le Moult critique cette nouvelle voie : « Hier, il est venu à Nevers, un contrôleur de la défense des végétaux ; il a indiqué plusieurs produits à employer dans la lutte contre les insectes nuisibles, notamment des produits chimiques nouveaux, dont on est encore à la période d’essais, et a passé sous silence l’emploi des parasites végétaux »1009. La difficulté de retrouver, après la Seconde guerre mondiale, des tentatives de réelle utilisation de l’Isaria densa laisse entendre que l’usage agricole de ce cryptogame ne survit pas à l’apparition des produits de synthèse.
En réalité, l’I.N.R.A., dès 1958, abandonnant des essais de destruction du hanneton commun à l’aide d’un bacille, oriente ses recherches sur les relations écologiques entre les cryptogames parasites et les larves de l’insecte. De multiples expériences sont alors tentées, notamment grâce aux travaux conduits par Pierre Ferron1010, afin de préciser les conditions possibles d’applications. Dès 1967, l’idée d’utiliser le cryptogame pour une opération de grande envergure apparaît chez les chercheurs spécialisés de l’I.N.R.A. Réellement mis en place à partir de 1970 grâce à l’aide de la D.G.R.S.T. dans le Doubs, ces essais se poursuivent durant plusieurs années et Pierre Grison note à ce propos que « des relations humaines étroites se sont établies avec les agriculteurs dont l’accueil a toujours été agréable et coopératif »1011.
Mais le Beauveria tenella n’est pas expérimenté uniquement pour limiter les populations de hannetons. Afin de permettre aux producteurs de fraises de Plougastel-Daoulas (Finistère) de diminuer le nombre de traitements chimiques, préconisés depuis le milieu des années 1950, le S.P.V. et l’I.N.R.A. (station de recherches de lutte biologique et de biocœnotique), avec le concours d’une S.I.C.A., mettent en place des essais au cours des années 1973 et 1974. Il s’agit alors de trouver un moyen biologique capable de freiner le développement d’un charançon (Otiorrhynchus sulcatus). Cette expérience ne permet pas de prouver une efficacité certaine du champignon1012.
Enfin, toujours en France, mais dans l’hémisphère sud, au début des années 1980, l’explosion démographique d’un autre scarabéidé (Hoplochelus marginalis) met en péril les plantations de cannes à sucre de la Réunion. Le C.I.R.AD. de la Réunion favorise alors la lutte grâce à un champignon entomathogène : Le Beauveria brongniartii . Ce dernier n’est qu’un synonyme de l’ancien Isaria densa 1013. De plus, si les produits manufacturés portent la dénomination “Beauveria brongniartii ”, l’Index phytosanitaire indique l’appellation plus classique de “Beauveria tenella ”. La firme productrice, Betel-Réunion, commercialise des spores de champignon fixées sur un substrat argileux. La substance, nommée simplement “Betel”, permet de traiter 200 mètres carrés par kilogramme de produit commercial. L’effet à long terme des spores de Beauveria tenella, incorporées au sol à la plantation, implique une application tous les sept ans. À l’aube du XXIe siècle, 2 000 à 3 500 hectares sont traités chaque année1014.
En dehors même de la simple reconnaissance de l’utilité des organismes auxiliaires, la lutte biologique est, à la fin du dix-neuvième siècle, un moyen considéré par les savants au même titre que l’usage des produits chimiques. Les acclimatations constituent le fondement de la limitation des ravageurs qui proviennent eux-mêmes de l’étranger. Les premières réussites de ce type de lutte vont engendrer de nombreux essais postérieurs qui se traduiront par des résultats plus ou moins heureux. De plus, la lutte biologique, comme les moyens chimiques, est parfois soumise à de violentes critiques lorsque les résultats dépassent les espoirs de départ. Comme pour d’autres méthodes, l’Etat est alors obligé d’intervenir pour mettre en place une réglementation destinée à éviter le renouvellement de problèmes identiques.
Cependant, l’usage rationnel de moyens biologiques sous forme de traitements répétitifs est très peu développé au cours de la période que nous étudions car la méconnaissance des véritables causes de succès et d’échecs entrave des réalisations plus nombreuses. Ce type de d’utilisations apparaît avec des résultats plus probants à la fin des années 1970. Il conviendrait ultérieurement de considérer d’une part la lutte biologique sous serre et d’autre part, les lâchers périodiques de certains entomoparasites comme les trichogrammes en culture de maïs.
A.N.-F., 5 SPV 54, Lettre de G. Le Moult, en date du 15 avril 1946, portant un tampon de réception du ministère indiquant le 15 mai 1946.
De nombreux articles, concernant les résultats scientifiques des travaux sur l’usage de Beauveria tenella, sont publiés en langue française dans plusieurs revues dont Entomophaga, Phytiatrie-Phytopharmacie, les Annales de zoologie et d’écologie animale ou la Revue de pathologie végétale et d’entomologie agricole de France.
Pierre GRISON, Chronique historique de la zoologie agricole française, livre premier, Paris, I.N.R.A., 1992, 366 p. [Informations p. 171-173]
G. CHERBLANC, « Essai de lutte contre les larves d’otiorrhynches, à l’aide de champignons entomopathogènes, dans les cultures de fraisiers », pp. 83-87, dans Lutte intégrée, observations et travaux réalisés en 1975, n°6, S.P.V., station Aquitaine, 87 p.
K.H. DOMSCH, W. GAMS, TRAUTE-HEIDI ANDERSON, Compendium of soil fungi, Academic Press, London, New York, Toronto, Sydney, San Francisco, 1980, 859 p. [Beauveria brongniartii, pp. 139-140] ; Cet ouvrage donne au moins 6 synonymes certains de l’Isaria densa]
M. ZUIN [responsable de fabrication du produit Betel], Communication téléphonique du 25 mars 2000 & communication écrite du 7 avril 2000.