A. Apparition du Pou de San José en France

1. Une acclimatation attendue de 1898 à 1935

La crainte d’une acclimatation accidentelle du Pou de San José (Quadraspidiotus perniciosus) en France remonte à la fin du dix-neuvième siècle. Afin d’éviter l’installation de cet insecte, repéré en Europe sur des poires importées des Etats-Unis dans le port de Hambourg, un décret de 1898 prohibe l’entrée et le transit des végétaux (et de leurs débris), ainsi que des contenants provenant des U.S.A. Quant aux envois de fruits, ils sont théoriquement soumis à une inspection dès l’entrée en France1033. En cette même année, l’entomologiste Paul Marchal, publie les meilleures méthodes de lutte employées en Amérique. Son exposé est introduit par une phrase d’avertissement qui indique sans ambiguïté l’urgence d’une réaction : « L’alarme doit être donnée dans tous les pays d’Europe, qui sont exposés à être contaminés par l’importation des fruits ou des jeunes arbres ayant une origine américaine, et le signalement du nouvel ennemi qui menace nos vergers doit être partout répandu »1034. Cependant, malgré les craintes politiques reposant sur des avis scientifiques autorisés, l’indésirable cochenille n’élit domicile en France qu’au milieu des années 1930.

La première découverte française, sans incidence agricole, relatée par Balachowsky, alors Directeur de laboratoire à la station entomologique de Paris, du Pou de San José date de janvier 1932. L’entomologiste insiste sur la supériorité quantitative mais aussi qualitative de la production américaine et affirme : « Il nous arrive actuellement des Etats-Unis un nombre considérable de pommes de table qui se font remarquer sur tous les marchés de Paris et de la banlieue par leur belle couleur »1035. La maîtrise des traitements phytosanitaires destinés aux ennemis intérieurs des fruits sont, dans l’entre deux guerres, la clef de la réussite commerciale fondée sur une sorte de marketing végétal. Mais, si Balachowsky considère l’aspect sanitaire satisfaisant des fruits, il découvre néanmoins par deux fois des cochenilles. Le 22 janvier 1932, en achetant des pommes pour sa consommation personnelle, il identifie avec certitude Quadraspidiotus perniciosus sur des fruits du marché de Fontenay-aux-Roses (Seine). Il n’hésite pas à avertir les scientifiques du danger potentiel des importations américaines : « Il suffirait d’une simple épluchure de pomme, jetée au hasard d’un talus, pour nous doter de cet hôte indésirable dont l’Europe a été miraculeusement protégée jusqu’ici »1036. Destinée à mettre l’accent sur un danger particulier, cette vision est sans doute un peu exagérée. En effet, « il est peu probable que les épluchures de fruits contaminés importés interviennent dans la contamination des vergers, car sauf de rares exceptions, c’est au stade larvaire que se trouvent les cochenilles sur ces fruits et elles disparaissent sans avoir pu atteindre le stade adulte »1037. Après enquête, réalisée dès février 1932, sur les ordres du ministère de l’Agriculture, Balachowsky découvre que certains lots de pommes américaines, en vente aux halles de Paris, sont contaminés jusqu’à 100 %1038. L’inquiétude de Balachowsky ne repose pas tant sur l’arrivée en France d’un nouvel hôte indésirable que sur la faible capacité des exploitants à enrayer la cochenille : « Si la France était envahie, les dégâts seraient d’autant plus considérables que l’état social du verger français permet difficilement l’emploi de méthodes curatives généralisées ». La phrase que nous venons de citer correspond à un extrait d’une conférence radiodiffusée réalisée au mois de juin 1932. La suite du discours mérite également une retranscription. En effet, la situation décrite explique les difficultés rencontrées par les services officiels après 1945 pour limiter l’extension du ravageur. En contrepartie, la mise en place de la lutte biologique paraît plus aisée à justifier. Tourné vers l’Amérique, Balachowsky annonce : « Le régime de la petite propriété, la polyculture, le pré-verger, le jardin mixte d’agrément et de rapport souvent très divisé, sont autant d’obstacles à la lutte sur une vaste échelle, comme ce fut le cas aux Etats-Unis et dans d’autres pays neufs où les plantations s’étendent sans discontinuité d’une façon homogène sur une vaste surface, permettant le groupement en coopérative, l’achat d’appareils coûteux et puissants dont l’emploi permet seul d’arriver à lutter efficacement contre le fléau »1039.

Notes
1033.

Décret du 30 novembre 1898 [interdisant l’entrée en France et le transit des arbres, arbustes…provenant des Etats-Unis], dans Journal officiel de la République française, 1er décembre 1898, p. 7256.

1034.

Paul MARCHAL, « L’Aspidiotus perniciosus ou le San José Scale des Etats-Unis et les cochenilles d’Europe voisines vivant sur les arbres fruitiers », dans Bulletin de la Société nationale d’acclimatation, 45e année,1898, pp. 277-287

1035.

A. S. BALACHOWSKY, « Sur la présence du Pou de S. José (Aonidiella perniciosa Const.) sur des pommes de provenance américaine vendues sur le marché de Paris », dans Bulletin de la Société entomologique de France, séance du 27 janvier 1932, 1932, pp. 34-35.

1036.

A.S. BALACHOWSKY, « Sur la présence du Pou de S. José (Aonidiella perniciosa Const.) sur des pommes de provenance américaine vendues sur le marché de Paris », dans Bulletin de la Société entomologique de France, séance du 27 janvier 1932, 1932, pp. 34-35 .

1037.

Raymond POUTIERS, « Notes sur le Pou de San-José (Aonidiella perniciosa Comst.) », dans L’entomologiste, n°2, mars-avril 1946, pp. 41-45.

1038.

A. S. BALACHOWSKY, « Le Pou de San José, menace permanente pour les cultures fruitières européennes », dans Revue de pathologie végétale et d’entomologie agricole, tome 19, fascicule 4, avril-mai 1932, pp. 131-166

1039.

A.S. BALACHOWSKY, « Le pou de San-José et l’importation des fruits frais », dans Bulletin mensuel de l’Association française pour l’avancement des sciences, n° 106, novembre 1932, pp. 671-678 [Conférence faite à la station radiotéléphonique de l’École supérieure des postes et des télégraphes et à la tour Eiffel, le mercedi 22 juin 1932].