2. Alpes-maritimes et Rhône, premiers départements touchés

Mais, la véritable installation de la cochenille sur le sol français date du milieu des années 1930 et résulte, non des fruits parasités mais de la plantation d’arbres infestés. En 1935 apparaît dans les Alpes-maritimes le premier foyer du Pou de San José. Pour limiter l’extension du déprédateur, essentiellement présent dans la basse vallée de la Siagne (située entre Cannes et l’Estérel) les services de l’Etat opèrent la destruction de 175 000 scions de pépinières en 1939. La consommation d’huiles de pétrole, insecticides puissants, s’élève en 1940 à 25 tonnes pour atteindre l’année suivante 40 tonnes. Sur le seul foyer des Alpes-maritimes, dès 1940, « fonctionnent 15 motopulvérisateurs à grand travail (avec chacun 2 lances) sans compter les appareils plus maniables opérant sur les pentes et petits jardins ; l’équipe de pulvérisation comprit 80 personnes »1040. En 1942, l’invasion de la cochenille dans la vallée de la Siagne favorise la création de l’organisation locale de défense permanente contre les ennemis des cultures de Mandelieu1041. Avec les traitements sanitaires entrepris à partir de 1939, la première zone infestée semble circonscrite en deux ans.

Par la suite, des cochenilles sont également découvertes dans deux vergers commerciaux du Vaucluse où 5 000 arbres sont contaminés. Enfin, à l’automne 1941, le Pou de San José est identifié dans la région lyonnaise. Dans la première quinzaine de septembre, G.Benas, contrôleur du S.P.V. à Avignon, rend visite à sa famille installée à Lyon. Il rapporte à Avignon des pommes lui paraissant suspectes. La détermination du Pou de San José est effectuée avec certitude par le S.P.V. d’Avignon. Les pommiers incriminés, vieux et très négligés, poussent sur un terrain, appartenant à un propriétaire résidant à Villefranche-sur-Saône, situé à Tassin-la-Demi-Lune. L’Inspecteur d’Avignon met à la disposition de son collègue de Clermont-Ferrand, siège de la circonscription comprenant alors la région lyonnaise, l’auteur de la découverte afin qu’il puisse entamer les premières prospections1042. Celles-ci débutent le 29 septembre 1941. Les échantillons végétaux sont alors expédiés à Lenfant, inspecteur du S.P.V. et chef du poste de Cannes, pour confirmer les déterminations effectuées sur place. Entre le 29 septembre et le 5 octobre 1941, G. Benas examine 750 arbres (dont 75 % se révèlent contaminés) répartis dans sept propriétés de Tassin. L’un des exploitants possède des pommiers, particulièrement infestés et dont la majorité a déjà péri, plantés en 1936 et originaires de Francheville1043.

L’année 1936 correspond à l’époque retenue par l’ensemble des chercheurs pour dater approximativement les premières apparitions de cochenilles dans la région lyonnaise. De nombreux propriétaires de Tassin se procurent, avant la Seconde guerre mondiale, des plants provenant soit de leur commune, soit de Francheville. Les découvertes de foyers de cochenilles se succèdent lors des premières prospections. C’est ainsi que le 11 octobre 1941, des poiriers parasités, provenant de Tassin, sont découverts à une vingtaine de kilomètres de leur lieu d’origine, dans la commune de Quincieux1044. Dès lors, les enquêteurs diligentés, dont le nombre ne semble jamais dépasser quatre personnes, par le S.P.V. dressent des listes de clients des pépiniéristes et tentent de cerner l’étendue exacte de l’implantation lyonnaise du ravageur. Les transports résultant de relations commerciales s’opèrent sur des distances réduites et limitent la zone d’infestation à quelques communes situées au nord et à l’ouest de Lyon1045. Cependant, le commerce local, destiné aux petits propriétaires amateurs dissémine ces animaux très rapidement. « La livraison de plants contaminés a vite créé une multitude de très petits foyers secondaires, ne comprenant chacun que quelques arbres envahis »1046.

Analysant l’implantation nationale du ravageur, Bernard Trouvelot et Charles Vézin considèrent, en 1942, que « les trois tâches actuelles ne procèdent pas l’une de l’autre. Elles proviennent d’importations de l’étranger, réalisées séparément, mais certainement en fraude»1047. Dès lors, le Pou de San José est considéré comme un ennemi permanent, parfaitement adapté au sol français, mais dont il convient de circonscrire l’aire de répartition. Pourtant, commentant les déclarations de Vezin et Trouvelot, l’un des principaux quotidiens lyonnais, Le progrès, estime que l’espoir d’éradication du Pou de San José existe1048… Les journaux spécialisés, comme le Lyon-horticole, demandent, quant à eux, la collaboration des arboriculteurs avec les services officiels pour identifier tous les points de contamination1049.

De nombreux scientifiques se penchent, dès son apparition en France, sur l’étude de la cochenille afin d’envisager des procédés efficaces de destruction et de permettre une limitation de son extension. Tout d’abord situé dans les environs de Cannes, le « centre de gravité des travaux a été transporté dans le lyonnais où se situait le foyer le plus vaste et le plus important au point de vue économique et où le problème avait un caractère particulièrement aigu en raison de l’ampleur du commerce fruitier dans la région et l’existence de très nombreuses pépinières »1050.

Ainsi, nous envisagerons essentiellement les tentatives d’élimination du Pou de San José au travers des actions menées dans la circonscription du S.P.V. de Lyon. De plus, bien que la destruction de cette cochenille constitue l’un des premiers cas de lutte intégrée, nous ne pouvons dissocier l’usage d’un procédé ayant un fondement biologique de l’ensemble des moyens de destructions mis en œuvre. Outre les traitements opérés par les praticiens dans les vergers, nous devons également énoncer les pratiques en usage permettant de limiter l’extension de Quadraspidiotus perniciosus. De cette manière, nous pouvons cerner globalement le dispositif de limitation, ainsi que les tentatives d’éradication, des populations de la cochenille. Cette démarche permet d’apprécier également l’intérêt pratique de la lutte intégrée, organisée en substitution à des types de destruction alors conventionnels.

Notes
1040.

Bernard TROUVELOT, Charles VEZIN, « Le Pou de San José sur les cultures fruitières en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture de France, Séance du 7 janvier 1942, 1942, pp. 44-55

1041.

A.N.-F, Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures des Alpes-Maritimes

1042.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Lettre de Joessel, inspecteur du S.P.V. d’Avignon à Monsieur Olombel, inspecteur du S.P.V. de Clermont-Ferrand, 18 septembre 1941.

1043.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Lettre de G. Benas, contrôleur auxiliaire, à Joessel, inspecteur du S.P.V. d’Avignon, 6 octobre 1941.

1044.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Lettre de G. Grisard, Délégué du S.P.V. à Lyon (rattaché à la chambre d’agriculture) aux inspecteurs Olombel (Clermont-Ferrand) et Lenfant (Cannes), 13 octobre 1941.

1045.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Lettre de G. Benas à Olombel, inspecteur du S.P.V. à Clermont-Ferrand, 15 octobre 1941.

1046.

Bernard TROUVELOT, Charles VEZIN, « Le Pou de San José sur les cultures fruitières en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture de France, Séance du 7 janvier 1942, 1942, pp. 44-55

1047.

Bernard TROUVELOT, Charles VEZIN, « Le Pou de San José sur les cultures fruitières en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture de France, Séance du 7 janvier 1942, 1942, pp. 44-55

1048.

ANONYME, « Le Pou de San José ne menace les pépinières que sur quelques points de notre territoire », dans Le progrès, 9 janvier 1942

1049.

ANONYME, « Arboriculteurs, attention au Pou de San José », dans Lyon horticole et Horticulture nouvelle réunis, n° 3, mai-juin 1942, pp. 138-139

1050.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, texte anonyme et non daté, intitulé « Le laboratoire du Pou de San José à Saint- Genis-Laval », 3p. [Début des années 1950]