2. Fumigation des pépinières

La lutte par fumigation contre les cochenilles utilise principalement l’acide cyanhydrique. L’opération s’effectue soit en plein champ, sous bâche, soit, pour les végétaux de pépinière déplaçables dans des locaux dénommés fumigatorium. L’efficacité des gazages est un procédé découvert en 1886 par un entomologiste américain œuvrant pour éliminer diverses cochenilles dont Icerya purchasi 1080. Dès le début du vingtième siècle, la fumigation est considérée, par l’élite agricole française, comme seule susceptible d’enrayer les dégâts commis par les cochenilles qu’il s’agisse d’arboriculture ou d’horticulture florale. Cependant, outre-atlantique, l’usage de ce procédé, contre des insectes particulièrement nuisibles et encore absents en France, se généralise rapidement. Ainsi, les chambres de fumigations portuaires canadiennes, destinées à importer et à exporter des plants, permettent de désinsectiser plus de deux millions d’arbres par an à l’aube du vingtième siècle1081. Au milieu des années 1930, l’utilisation de l’acide cyanhydrique en plein champ a lieu essentiellement dans les grandes plantations d’Aurantiacées du bassin méditerranéen (Italie, Egypte ou Algérie)1082. Par la suite, l’usage de l’acide cyanhydrique sous bâches se trouve limité à quelques secteurs où l’infestation prend un caractère restreint et isolé. Durant la campagne 1940-1941, 400 arbres sont ainsi traités avec succès à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes)1083.

Bien que d’autres gaz puissent être employés, les désinfections s’opèrent la plupart du temps avec l’acide cyanhydrique. La première station fixe de fumigation, mis en place dans le Rhône, à Ecully, chez un pépiniériste, fonctionne du printemps 1943 à 1951. L’équipement de cette station permet l’emploi de trois produits : oxyde d’éthylène, bromure de méthyle et acide cyanhydrique. La station de désinsectisation d’Ecully permet de réaliser, au cours de l’hiver 1943-1944, 51 opérations. Celles-ci, destinées à des plants fruitiers, forestiers et ornementaux à feuilles persistantes (buis, lauriers, fusains…), s’effectuent à l’aide d’une spécialité commerciale de gaz. Cette dernière, constituée par une poudre inerte absorbant l’acide cyanhydrique, connue sous le nom commercial de Zyklon B1084, permet de traiter les végétaux exposés en une heure environ.

Peu après la Libération, les chambres de fumigations de la circonscription de Lyon se heurtent, semble-t-il pour des raisons liées à un changement d’importateur, à quelques difficultés d’approvisionnement en Zyklon B. L’emploi de l’acide cyanhydrique résulte alors d’une préparation artisanale. Dès la campagne 1947-1948, le gaz est, dans la majorité des cas, obtenu par réaction de l’acide sulfurique sur le cyanure de sodium, et ce, dans des locaux maintenus à pression atmosphérique. Or, la législation réglementant l’usage de cette méthode oblige la mise en place de chambre de fumigation fonctionnant sous vide partiel1085. Ce principe permet d’une part une plus grande efficacité du produit et d’autre part une impossibilité pour le gaz de s’échapper d’une cellule dont l’étanchéité totale ferait défaut au cours du traitement. Seule une autorisation ministérielle provisoire autorise l’usage de locaux à pression atmosphérique à titre expérimental en novembre 1948. Par la suite, l’autorisation n’étant ni confirmée ni infirmée, le statut des cellules semble alors relativement flou. En 1962, un responsable du S.P.V. de la circonscription de Lyon résume la situation. Ainsi, « en marge de la législation, ces chambres de fumigations ne pouvaient être considérées ni comme officielles, ni comme privées ; en fait elles appartiennent à des pépiniéristes chez qui nous avions accepté d’effectuer, à titre d’essais, des fumigations depuis 1948 »1086. Dès l’année 1963, avec le réapprovisionnement en Zyklon1087, les agents du S.P.V. n’opèrent plus qu’un simple contrôle des opérations de désinsectisation par les gaz. Les pièces destinées à la fumigation sont réaménagées pour user des spécialités commerciales en toute sécurité. En 1968, l’administration autorise le fonctionnement de 14 cellules chez des pépiniéristes. Le tableau ci-après permet de localiser les locaux destinés à désinsectiser les végétaux tout en indiquant pour chaque pépinière concernée la capacité des cellules et l’année de première utilisation. Le nombre de gazages effectués varie annuellement et par ailleurs ne correspond pas à une valeur proportionnelle à la capacité de la chambre.. En 1967, la cellule de 78 m3, sise à Villefranche, permet de réaliser 35 opérations, alors que celle de 60 m3, située à Saint-Didier, ne sert que deux fois.

Tableau n° 19. Localisation et caractéristiques des cellules de fumigations (H.C.N.), destinées à la lutte contre le Pou de San José, opérationnelles en 1968.
Département      
Isère Seyssuel 100 1967
  Seyssuel 25 1955
  Vienne 100 1955
Rhône Anse 43 1949
  Belleville /Saône 39 1952
  Champagne-au-Mont-d'Or 75 1966
  Saint-Didier-au-Mont-d'Or 60 1955
  Saint-Didier-au-Mont-d'Or 60 1952
  Messimy 31 1948
  Neuville/Saône 43 1947
  Saint-Genis-Laval 70 1947
  Villefranche/Saône 35 1948
  Villefranche/Saône 78 1947
  Vourles 53 1948

Au début des années 1970, le S.P.V. se porte acquéreur d’une cellule mobile à pression atmosphérique de 10 m3 localisée au lycée agricole d’Ecully. La gestion de l’appareil est confiée à la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures. Le prix de chaque opération est fixé en 1976 à 30 FF lorsque les pépiniéristes désinfectent des plants à Ecully et à 50 FF si la cellule se rend au domicile des exploitants. Le tarif de déplacement est unique pour tous les pépiniéristes de la zone contaminée par la cochenille1089.

Mais, quelle que soit la complexité de l’organisation des traitements, le nombre de végétaux soumis à une désinfection par les gaz, dans des locaux spécialement aménagés, dans la circonscription de Lyon, afin de limiter l’extension du Pou de San José, est considérable. Le tableau ci-après offre un récapitulatif du nombre d’opérations réalisées, à l’aide de différents produits dégageant de l’acide cyanhydrique, et de la quantité de végétaux traités entre 1949 et 1969.

Tableau n° 20 . Désinsectisations cyanhydriques des plantes de pépinières situées en zone contaminée par le Pou de San José dans la circonscription de Lyon entre 1949 et 1969.
Année ou campagne Nombre d'opérations Nombre de plants désinsectisés
    Arbres fruitiers Plantes d'ornements Divers pépinières forestières Portes greffes
1949 184 272 404 25 707      
1950 176 176 447 9 997     54 625
1951 217 188 693 13 426   6 196 101 342
1952 199 219 943 21 718 4 564 13 733 61 540
1953 225 256 562 33 504     163 000
1954-1955 285 400 312 17 653 6 557   257 165
1955-1956 263 386 666 10 324 20 035   345 710
1956-1957 243 388 271 16 451 14 301   136 550
1957-1958 231 383 955 12 667 14 425   131 000
1958-1959 250 377 157 13 827 29 985   294 283
1959-1960 213 299 382 7 067 19 559   292 539
1960-1961 177 305 501 13 052 16 218   271 080
1961-1962 217 327 573 7 443 15 842   509 750
1962-1963 193 346 922 16 133 19 684   406 580
1963-1964 167 204 306 7 905 8 399   259 220
1964-1965 192 264 596 9 665 9 546   242 710
1965-1966 174 264 935 15 969 10 419   263 125
1966-1967 185 241 154 24 819 10 260   132 750
1967-1968 185 175 294 10 824 5 670   207 300
1968-1969 140 107 780 64 086 4 003   284 850

La fumigation, aussi efficace soit-elle, des plantes en zone contaminée freine l’expansion de la cochenille, mais en aucun cas n’entrave véritablement sa propagation. Outre la possible infestation naturelle de secteur indemne, le déplacement des arbres peuvent s’effectuer sans contrôle (plantes non commerciales ou fraudes). Par ailleurs, les vergers contaminés sont soumis à d’autres types de traitements qu’il convient de décrire avec quelques précisions.

Notes
1080.

Voir en annexe le type de matériel en usage aux Etats-Unis. D’après C.V. RILEY, « Report of the entomologist », dans Report of the Secretary of agriculture, Washington, Governement printing office, 1890, pp. 237-264

1081.

Cité par J. AYMARD (fils), « L’acide cyanhydrique gazeux et l’horticulture florale » (première partie), dans Annales de la Société d’horticulture et d’histoire naturelle de l’Hérault, tome 36, 1904, pp. 88-93.

1082.

A.S. BALACHOWSKY, « Les pucerons et cochenilles », dans Compte-rendu des travaux du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome I, pp. 65-105

1083.

Bernard TROUVELOT, Charles VEZIN, « Le Pou de San José sur les cultures fruitières en France », dans Comptes-rendus des séances de l’Académie d’agriculture de France, Séance du 7 janvier 1942, 1942, pp. 44-55

1084.

Spécialité commerciale utilisée par les unités SS dans les camps d’extermination, le Zyklon B est, à cause de sa contribution à la politique nazie de génocide, probablement le produit que nous citons le plus tragiquement célèbre. D’un point de vue agricole, il ne s’agit pas du seul gaz à base d’acide cyanhydrique utilisé. Cependant, dans l’immense majorité des textes consultés, seul ce nom commercial apparaît.

1085.

« Utilisation en agriculture de l’acide cyanhydrique », arrêté du 20 juillet 1938, dans Journal officiel de la République française, 24 juillet 1938, pp 8 821-8 822 [Avec instructions annexées concernant les modalités d’utilisation et les soins en cas d’intoxications]

1086.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Rapport mensuel du mois d’octobre 1962 intitulé Historique des fumigations cyanhydriques de plants de pépinières après vingt années de campagne.

1087.

Toutes les circonscriptions ne connaissent pas les mêmes difficultés d’approvisionnement. Il semble que le problème principal résulte, pendant plusieurs années, de la méconnaissance d’un nouvel importateur.

1088.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Renseignements sur les différentes installations de fumigation faisant l’objet des demandes d’autorisation d’emploi de l’acide cyanhydrique, janvier 1968. Nous n’avons pas cité les noms des entreprises (13 pépiniéristes et un paysagiste). Cependant, chaque ligne correspond à une entreprise ce qui explique que certaines communes soient nommées deux fois.

1089.

A.N.-F., 16 DQ 54, Lettre de R. GIREAU, (chef du SPV de Lyon par intérim) destinée au chef du S.P.V. (Paris) en date du 24 mars 1976. Ce courrier est une réponse à questionnaire sur le mode de gestion des stations officielles de désinsectisation.

1090.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Tableau récapitulatif. Un dossier des Archives nationales (A.N.-F., 87 0391-49) précise que les campagnes correspondent à la période comprise entre novembre et mars et donne une synthèse présentée de manière identique pour les années 1976 à 1979.