2. Les premières expérimentations de lutte biologique (1958-1966)

2.1. Vergers expérimentaux et comportements phytosanitaires

N’ayant pas pour objet la description de l’enchaînement des démarches scientifiques, nous n’opérerons qu’un très bref résumé des essais réalisés entre 1959 et 1966 en insistant sur les résultats pouvant engendrer, à terme, une modification des comportements phytosanitaires des praticiens. Le tableau suivant propose une synthèse des essais réalisés chez des arboriculteurs entre 1958 et 1966.

Tableau n° 21. Implantation et durée des essais d’acclimatation de P. Perniciosi
Localité de lâchers (commune : com. ou canton : c.) Département Date du premier lâcher Essences fruitières concernées Observations poursuivies en 1966 (ou date d'arrêt)
Le Bouchage (com.) Isère Mai 1958 Pommier Non (1960)
Conjux (com.) Savoie Mai 1959 Pommier Non (1960)
Millery (com.) Rhône Mai/Juin 1959 Pommier Oui
Pertuis (com.) Vaucluse Mars 1960 Pommier/poirier/ prunier/ cerisier Non (1961)
Chezy (com.) Allier Avril/Mai 1961 Pommier/poirier/ prunier Oui
Marzy (com.) Nièvre Avril 1961 Pommier/ prunier Non (1963?)
Cannes (c.) [Vallée de la Siagne] Alpes-Maritimes Mai 1962 Pêcher Non (1964)
Brignais (com.) Rhône Juin 1964 Cerisier Oui

Le tableau précédent, s’il donne un aperçu des actions expérimentales menées in situ, conjointement par le S.P.V. et l’I.N.R.A., fait abstraction de plusieurs éléments nécessaires à son interprétation. Nous devons donc donner quelques précisions supplémentaires. La taille des parcelles choisies, rarement précisée dans les comptes-rendus, traduit des réalités très diverses. Seul le verger situé dans la vallée de la Siagne, entre Cannes et Mandelieu, est qualifié par les chercheurs de « plantation assez importante ». À l’opposé, la plus petite parcelle, sise en Savoie (au nord du lac du Bourget à proximité des marais de Chautagne), correspond à « deux rangées de pommiers hautes tiges entourés de végétation forestière et aquatique ». En partie liée à l’importance du verger, la conduite des traitements phytosanitaires constitue l’élément essentiel permettant de comprendre l’évolution des essais présentés dans le tableau précédent.

Dans tous les cas, les vergers expérimentaux correspondent à des terrains privés, exploités, ou au moins quelque peu entretenus, par des arboriculteurs. Un lâcher, réalisé sur un ou plusieurs arbres, représente, entre 100 et 500 000 auxiliaires adultes. « La première année, les traitements effectués dans les vergers ne sont pas appliqués aux arbres de lâchers. Par la suite, un programme de traitements tenant compte de l’évolution des différents ravageurs présents est élaboré pour chaque cas »1121. L’usage conjoint d’entomophages et d’insecticides chimiques constitue la principale difficulté rencontrée par la mise en place de la lutte intégrée. Souvent, l’échec des actions entreprises résulte d’épandages de substances polyvalentes. Ces dernières, détruisant le Pou de San josé, éliminent fatalement l’auxiliaire. Dans la majorité des cas, les rapports d’activités ne précisent pas les ennemis visés par les exploitants usant de substances chimiques mais, il apparaît, eu égard à l’action rapide de certains pesticides, logique que les exploitants réalisent des opérations ciblant le Pou de San José. En effet, après sa première acclimatation, l’entomophage réclame de prospérer quelques années afin d’assurer une réelle protection. Ainsi, le verger expérimental isérois se trouve soumis, par simple décision de l’exploitant, à un traitement aux huiles jaunes durant l’hiver 1959-1960. La parcelle située dans le Vaucluse change de propriétaire en 1961. Si l’ancien praticien n’emploie qu’occasionnellement des pesticides, le nouveau effectue des traitements réguliers. Le premier épandage à l’oléoparathion détruit en grande partie l’entomofaune auxiliaire. L’expérience se déroulant au sein de la plantation des environs de Mandelieu connaît le même destin. En 1962, un premier traitement d’hiver, pourtant limité, cause une diminution momentanée du nombre d’auxiliaires. Plus tard, « une infestation de Panonychus ulmi, trop forte au gré de l’exploitant, amena celui-ci à pratiquer en mars 1964 un traitement généralisé aux huiles jaunes, ce qui fit tourner court toute l’expérimentation engagée »1122.

Parfois, l’apparition d’autres parasites des cochenilles, indigènes, comme dans le verger savoyard, entrave le développement de Prospaltella par la suppression temporaire, mais indésirable au moment où elle se produit, des populations de l’hôte.

Les cas énumérés précédemment démontrent les difficultés rencontrées par les premiers expérimentateurs pour convaincre les praticiens de l’intérêt d’une méthode biologique insérée dans un programme de traitements chimiques. Cependant, toutes les tentatives n’échouent pas. Le verger de Chezy possède un propriétaire qui effectue, en 1962, des épandages contre d’autres ravageurs grâce à des matières actives reconnues comme compatibles avec l’utilisation de Prospaltella. Par ailleurs, l’application occasionnelle de produits hivernaux en 1964 diminue considérablement les effectifs de l’entomoparasite mais, par la suite, les populations se reconstituent et, en 1966, il devient difficile de rencontrer des cochenilles vivantes. L’exploitant de la parcelle expérimentale de Millery accepte dans un premier temps, de laisser le S.P.V. réaliser les épandages sur son terrain avant de suivre les conseils du service en assurant lui-même les traitements avec des produits conseillés. Enfin, à Brignais, la plantation observée reçoit tous les ans des aspersions localisées à une variété tardive, de diméthoate (afin de lutter contre la mouche de la cerise). Malgré cela, les auxiliaires se maintiennent dans l’ensemble du verger et, en 1966, le S.P.V. considère l’action de Prospaltella comme suffisante pour enrayer le Pou de San José sur l’ensemble des arbres.

Notes
1120.

D’après :

• ANONYME, Compte rendu des réunions du groupe de travail Pou de San José de la C.I.L.B., Lyon-Antibes, 14/16 octobre 1959, 5 p.

• Rapport de 11 pages fournit en janvier 1963 par H. BIANCHI (I.N.R.A. d’Antibes) à l’Inspecteur du SPV de Lyon et intitulé Lutte biologique contre le Pou de San José en France à l’aide d’un parasite spécifique importé : Prospaltella perniciosi Tow.(Hyménoptère Chalcidien).

• C. BENASSY, H. BIANCHI, H. MILAIRE, « Note sur l’efficacité en France de Prospaltella perniciosi Tow. », dans Entomophaga, tome 12, fascicule 3, 1967, pp. 241-255.

1121.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Rapport de 11 pages fournit en janvier 1963 par H. Bianchi (I.N.R.A. d’Antibes) à l’Inspecteur du SPV de Lyon et intitulé Lutte biologique contre le Pou de San José en France à l’aide d’un parasite spécifique importé : Prospaltella perniciosi Tow.(Hyménoptère Chalcidien).

1122.

C. BENASSY, H. BIANCHI, H. MILAIRE, « Note sur l’efficacité en France de Prospaltella perniciosi Tow. », dans Entomophaga, tome 12, fascicule 3, 1967, pp. 241-255.