4. De l’État aux organisations professionnelles

En juillet 1968, le comité de lutte biologique de la D.G.R.S.T. envisage, au cours d’une table ronde regroupant des représentants de divers services du ministère de l’Agriculture et d’organisations spécialisées, de confier à un organisme professionnel la production et la dissémination de l’auxiliaire1147. Si la décision de principe est entérinée par le comité scientifique dès le 18 octobre, les modalités d’un tel transfert technique n’étant pas abordé au cours de l’été, les acteurs des actions précédentes considèrent que l’I.N.R.A. et le S.P.V. doivent poursuivre l’opération entreprise depuis 19671148. Pour les organismes d’Etat, il s’agit d’éviter de remettre entre les mains des structures professionnelles un projet dont la réalisation serait chaotique. En effet, l’arrêt des élevages de Prospaltella entraverait la dissémination de l’auxiliaire pour une période indéterminée ce qui « serait mal compris de tous ceux qui soutiennent le recours aux méthodes biologiques de lutte» 1149. La D.G.R.S.T. approuve le 4 mars 1969 une rallonge budgétaire permettant aux services de l’Etat de poursuivre l’opération jusqu’au 31 mars 19701150. L’I.N.R.A. et le S.P.V. sont alors secondés par les fédérations de groupements de protection des cultures. La F.N.G.P.C., dès la fin de l’année 1968, se propose comme employeur d’un technicien spécialement recruté pour participer à la mise en place du programme de lutte biologique. Mais, en dehors d’une formation aux méthodes biologiques, le rôle du technicien consiste à travailler avec des conseillers agricoles œuvrant au sein de diverses structures et de sensibiliser les arboriculteurs à l’intérêt de cette voie alternative. Dès le mois de décembre 1968, « une commission régionale de 5 membres a été créée à cet effet pour orienter et suivre l’action du technicien. Elle est composée de l’Inspecteur de la protection des végétaux, d’un représentant de la Fédération régionale des producteurs de fruits, du Président de la Fédération régionale des groupements de protection des cultures Rhône-Alpes, et d’un représentant du C.E.R.A.F.E.R. et de la F.N.G.P.C. »1151.

Avant son recrutement, la Fédération régionale de protection des cultures de la circonscription Rhône-Alpes considère que le technicien « devra posséder son métier et faire preuve d’imagination ; il ne devra pas craindre d’exposer aux professionnels que les résultats d’une telle méthode seront longs (minimum 3 ans) ; de plus, il sera amené à répondre à des questions techniques de tous ordres »1152. Au cours des mois de mai et juin 1969, le technicien, associé au personnel du S.P.V., apporte son concours à l’organisation et à la réalisation des lâchers effectués dans les départements de la circonscription phytosanitaire Rhône-Alpes1153. Mais, en 1969, prélude à une action d’envergure, les lâchers de Prospaltella perniciosi s’effectuent dans un plus grand nombre de départements que précédemment : Ain, Pyrénées-Orientales, Bas-Rhin, Rhône, Haute-Savoie.

Dès le mois d’avril 1970, l’action de dissémination des parasites, toujours produits à l’insectarium d’Antibes, revient à l’A.C.T.A., laquelle intégre les ingénieurs et techniciens de la F.N.G.P.C. Cette action est à nouveau soutenue par la D.G.R.S.T., l’organisme contractant étant l’A.C.T.A., jusqu’en 1973. Le tableau suivant indique les communes dans lesquelles est organisée la dissémination de l’auxiliaire grâce au concours de l’A.C.T.A. et de la F.N.G.P.C.. L’évaluation quantitative des lâchers n’est pas aisée. Les chiffres fournis par les applicateurs correspondent au nombre de fruits déposés dans les vergers choisis. Chaque fruit contient, en moyenne, environ 2 200 Quadraspidiotus perniciosusparasités.

Tableau n°25 .Départements et communes ciblés par les opérations menées par l’A.C.T.A. et la F.N.G.P.C. entre 1970 et 1973
Tableau n°25 .Départements et communes ciblés par les opérations menées par l’A.C.T.A. et la F.N.G.P.C. entre 1970 et 1973 D’après P.PELISSIER, J.P. BASSINO, M. TISSEUR, S. CODOU, Lutte biologique contre le Pou de San José, Compte-rendu de fin de contrat d’une recherche financée par la D.G.R.S.T., A.C.T.A./Service Lutte antiparasitaire, août 1973, 21 p. .

Le choix des vergers pouvant être soumis à un procédé de lutte biologique, s’avère à nouveau particulièrement difficile. Dès 1968, la Fédération régionale de protection des cultures de la circonscription Rhône-alpes exprime son opinion sur les motifs permettant d’imaginer une réussite des acclimatations d’auxiliaires : « Sans considérer la lutte biologique comme une panacée et tout en laissant aux traitements chimiques la part indispensable qui leur revient, les arboriculteurs présents ont constaté que la lutte chimique collective qui donne par ailleurs souvent d’excellents résultats n’a pas pu être menée à bien dans le cas de la région Rhône-Alpes jusqu’à présent ». La multitude de vergers, peu entretenus et à vocation commerciale souvent limitée, constitue le fondement des échecs des épandages d’insecticides classiques. En effet, « lorsque les végétaux contaminés ne sont pas d’un rapport pour le propriétaire, l’application de la législation se heurte à des éléments dont l’analyse fait ressortir l’absence du sens de responsabilité vis-à-vis d’autrui »1155. Ainsi, « la formule de lutte avec l’aide de Prospaltella perniciosi mise au point par les services officiels, surtout dans les zones jamais traitées, apparaît comme une solution élégante méritant que soient poursuivis et augmentés les efforts faits dans ce sens depuis plusieurs années »1156. Lors de la mise en place des lâchers par les organisations professionnelles, la grande majorité des vergers, retenus comme foyers d’acclimatation, correspond à des surfaces peu ou pas traitées. Les plantations sont alors soit abandonnées, soit à destination familiale1157. En revanche, en 1972, le responsable de la Fédération régionale de protection des cultures Rhône-Alpes considère que les traitements chimiques peuvent connaître une diminution sensible dans les vergers commerciaux grâce à la lutte intégrée1158.

Cependant, bien qu’en 1978, aucun bilan définitif du programme Prospaltella ne soit réalisé1159, il semble que les résultats soient mitigés. Ainsi, le rapport d’activité du S.P.V. indique en 1976, que les lâchers de Prospaltella, correspondant à des millions d’individus introduits dans cinq des sept circonscriptions contaminées, cessant entre 1973 et 1975, ne permettent pas de neutraliser véritablement le Pou de San josé dans les circonscriptions méridionales et que les résultats demeurent difficiles à apprécier dans les autres régions1160.

Notes
1147.

A.N.-F., 5 SPV 197, H.G. MILAIRE, Comité scientifique de lutte biologique : propositions de contrats concernant le thème verger, 3 octobre 1968, 3 p. [courrier destiné au chef du S.P.V.].

1148.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, H.G. MILAIRE, Rapport scientifique, 3 p. 10 décembre 1968

1149.

A.N.-F., 5 SPV 197, H.G. MILAIRE, Comité scientifique de lutte biologique : propositions de contrats concernant le thème verger, 3 octobre 1968, 3 p. [courrier destiné au chef du S.P.V.].

1150.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Divers courriers échangés entre le S.P.V. de Lyon et le chef du S.P.V.

1151.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Rapport de Pelissier en date 17 décembre 1968, cosigné par la D.G.R.S.T. (comité scientifique “lutte biologique“) et la F.N.G.P.C., 3 p.

1152.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Compte-rendu de la réunion technique du 5 décembre 1968 de la Fédération régionale des groupements de protection des cultures “Rhône-Alpes“.

1153.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Note à la D.G.R.S.T. du S.P.V. de Lyon, 2 p., 15 septembre 1969. [Courrier expliquant la “non-demande de prolongation du contrat jusqu’au 31.12. 1970].

1154.

D’après P.PELISSIER, J.P. BASSINO, M. TISSEUR, S. CODOU, Lutte biologique contre le Pou de San José, Compte-rendu de fin de contrat d’une recherche financée par la D.G.R.S.T., A.C.T.A./Service Lutte antiparasitaire, août 1973, 21 p.

1155.

Jean DUTEIL, « Réflexions sur les possibilités de lutte biologique contre le pou de San José et la conservation des cucurbitacées destinées aux élevages du ravageur et de son parasite », dans La défense des végétaux, n° 154, mars 1972, pp. 85-96

1156.

Archives du S.R.P.V. Rhône-Alpes, Rapport de Pelissier en date 17 décembre 1968, cosigné par la D.G.R.S.T. (comité scientifique “lutte biologique“) et la F.N.G.P.C., 3 p.

1157.

P.PELISSIER, J.P. BASSINO, M. TISSEUR, S. CODOU, Lutte biologique contre le Pou de San José, Compte-rendu de fin de contrat d’une recherche financée par la D.G.R.S.T., A.C.T.A./Service Lutte antiparasitaire, août 1973, 21 p.

1158.

Jean DUTEIL, « Réflexions sur les possibilités de lutte biologique contre le pou de San José et la conservation des cucurbitacées destinées aux élevages du ravageur et de son parasite », dans La défense des végétaux, n° 154, mars 1972, pp. 85-96

1159.

Claude BENASSY, « La lutte biologique contre les cochenilles diaspines des arbres fruitiers », dans Bulletin technique d’information, n° 332-333, septembre-octobre 1978, pp. 421-425 [numéro intitulé : La lutte biologique en protection des cultures]

1160.

A.N.-F, 98 0474-12, Rapport d’activité du S.P.V., Direction de la qualité, [Information concernant les Prospaltella en p. 23].