3. Motivations psychologiques des arboriculteurs

Décrivant les aspects économiques des épandages classiques, une communication présentée par un économiste de l’I.N.R.A. en 1969 à Avignon, lors d’un symposium de l’O.I.L.B., conclut que « l’argument économique au niveau de l’exploitation agricole n’est […] certainement pas le meilleur pour plaider le développement de la lutte intégrée »1186. La difficulté de défendre la lutte intégrée, qui possède l’avantage de réduire les pollutions et de rétablir des équilibres naturels, vient pour cet auteur du fait que « l’intérêt général à long terme ne coïncide plus avec l’intérêt particulier des agriculteurs ». Commentant le même symposium de l’O.I.L.B., Choppin de Janvry, ingénieur agronome membre du Service de lutte antiparasitaire de l’A.C.T.A., considère égalemment que « le succès plus ou moins rapide de la “lutte intégrée” dépendra des données chiffrées que l’on pourra avancer, les facteurs économiques prenant de plus en plus le pas sur toutes les autres considérations »1187

Le rapport des techniciens du CERAFER pour l’année 1971 confirme l’affirmation de 1969. En effet, si la majorité des arboriculteurs engagés dans la voie de la lutte intégrée reconnaissent à cette nouvelle méthode de protection de nombreux avantages, y compris quant à une économie réalisée pour les épandages, les mêmes professionnels lui imputent « des charges importantes dues à la surveillance des vergers ». De plus, « le besoin de connaissances approfondies » constitue également un écueil à la mise en application de la lutte intégrée. Ainsi, « ce n’est qu’une minorité qui pense que le bilan lui est favorable »1188. Cependant, malgré un profit financier parfois discutable, les rapports du CERAFER note un intérêt croissant des arboriculteurs pour les nouvelles méthodes de lutte. Par ailleurs, afin de répondre à l’attente éventuelle des arboriculteurs du Nord-est, le S.P.V. réalise dès 1971 des expérimentations de lutte intégrée, permettant d’adapter les méthodes en place dans la vallée du Rhône, dans un verger de pommier de Thionville. Au terme de la première année d’essais, le S.P.V. évalue le gain financier du prix de revient des traitements à environ 50 % (10 épandages au total contre 15 en lutte conventionnelle)1189. Nous aborderons ultérieurement la manière dont un tel résultat doit être apprécié. D’autres cultures sont également concernées par des aménagements de la lutte chimique. En 1972 et 1973, le S.P.V., en collaboration avec le Bureau interprofessionnel du pruneau met également en place des essais de lutte dirigée destinés aux ravageurs des pruniers d’Ente dans la région d’Agen, et ce, afin de briser l’habitude d’une stricte application des calendriers de traitements1190.

Quant aux conclusions du bilan des actions menées dans la vallée du Rhône entre 1967 et 1973, elles indiquent un changement certain des mentalités, « assez inattendu » pour les promoteurs du projet, vis-à-vis de l’intérêt économique par rapport aux premières années de mise en place du programme : « Il est manifeste que les utilisateurs déjà motivés par l’application des principes de lutte intégrée, retirent un bénéfice personnel par l’élévation de leur niveau de technicité. Cette valorisation leur permet une approche mieux raisonnée lors de la prise de décision des applications phytosanitaires. De cet acquis, les agriculteurs sont très conscients. Le plus souvent, ils lui attribuent une valeur prioritaire par rapport au problème de rentabilité immédiate »1191. Cependant, le relatif engouement pour des méthodes de protections phytosanitaires recourant aux épandages chimiques qu’en cas d’absolue nécessité ne peut reposer que sur la viabilité économique du procédé. Celui-ci est d’ailleurs reconnu par les arboriculteurs proches des vergers soumis aux règles de lutte raisonnée ce qui entrave une confrontation des résultats économiques. En effet, « les comparaisons entre lutte dirigée et lutte préventive sont rendues difficiles par la tendance générale à réduire les traitements, constatée dans tous les vergers depuis que les essais de lutte intégrée en ont démontré la possibilité »1192. Ce phénomène s’accroît dans les vergers proches des secteurs soumis à une lutte raisonnée. En effet, « lorsque la lutte intégrée commençait à être appliquée dans une zone, un effet d’entraînement se manifestait sur les parcelles qui n’étaient pas soumises à cette méthode de lutte, et une accélération de la tendance à la réduction du coût de la protection des vergers se manifestait dans les parcelles voisines »1193. Nous devons cependant tenter de cerner quelques données économiques résultant des méthodes alternatives.

Notes
1186.

F. LAURET, « Introduction économique à la protection des vergers », dans Compte-rendu du 4 e symposium sur la lutte intégrée en vergers, Avignon 9/12 septembre 1969, O.I.L.B./U.N.E.S.C.O./U.I.S.B. [Cet article est publié par ailleurs : F. LAURET, « Introduction économique à la protection des vergers au niveau de l’exploitation agricole », dans Bulletin technique d’information, n° 249, mai 1970, pp. 247-252].

1187.

E. CHOPPIN DE JANVRY, « Les perspectives qui se dessinent à l’issue du IVe Symposium “Lutte intégrée en vergers” », dans Bulletin technique d’information, n° 249, mai 1970, pp. 319-322

1188.

Jean-Paul GENDRIER, Jean-Noël REBOULET, Lutte intégrée en verger, résultat de l’application de ce procédé de protection phytosanitaire, Société des agriculteurs de la Drôme/CERAFER, Valence, 1971, 51 p.

1189.

G. BOETSCH, J. KAIZER, « Application de la méthode de lutte intégrée en verger dans la circonscription Alsace et Lorraine », pp. 59-65, dans Lutte intégrée, Observations et travaux réalisés en 1971, n°2, S.P.V.-Station d’Aquitaine, 65 p.

1190.

J. TOUZEAU, D. CARLOT, « Études préliminaires à l’introduction de la lutte intégrée en vergers de pruniers d’Ente dans la région d’Agen », pp. 38-56, dans Lutte intégrée, Observations et travaux réalisés en 1973, n°4, S.P.V.- Staion d’Aquitaine, 56 p.

1191.

J.P.GENDRIER, H.G. MILAIRE, J.-H. REBOULET, J. THIAULT, Bilan de sept années de lutte intégrée en vergers dans le sud-est de la France, Ministère de l’Agriculture (Direction de la production des marchés et des échanges extérieurs)/Société des agriculteurs de la Drôme/ C.T.G.R.E.F. (Groupement d’Aix-en-Provence)/I.N.R.A. -Département de zoologie, (1973),112 p.

1192.

J.P.GENDRIER, H.G. MILAIRE, J.-H. REBOULET, J. THIAULT, Bilan de sept années de lutte intégrée en vergers dans le sud-est de la France, Ministère de l’Agriculture (Direction de la production des marchés et des échanges extérieurs)/Société des agriculteurs de la Drôme/ C.T.G.R.E.F. (Groupement d’Aix-en-Provence)/I.N.R.A. -Département de zoologie, (1973),112 p.

1193.

Jean THIAULT, Aspects économiques de la lutte intégrée en vergers, C.T.G.R.E.F. (Groupement d’Aix-en-Provence) 1974, 36 p. [Communication présentée au 5e symposium de la lutte intégrée organisé par l’O.I.L.B. à Bolzano (Italie), du 3 au 7 septembre 1974].