I. La création de la Ligue nationale

A. La Ligue et la Société nationale d’encouragement

En novembre 1926, la Société nationale d’encouragement à l’agriculture crée une Ligue nationale de défense contre les ennemis des cultures « afin de coordonner les efforts et d’engager très efficacement la lutte contre les divers fléaux qui déciment la production agricole »1220. Cette structure fonctionne alors comme une section de l’organisme créateur. Le Président de la Ligue est Pierre Viala, Professeur à l’I.N.A. et inspecteur général de la viticulture1221, le secrétaire général est Emile Blanchard, ingénieur agronome et Directeur des services agricoles de Seine-et-Oise. Le rôle exact de cette nouvelle organisation est parfois débattu publiquement. Ainsi, lecongrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures1222, organisé à Lyon par la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (P.L.M.)1223 n’échappe pas aux discussions portant sur cette nouvelle filiale de la Société nationale d’encouragement à l’agriculture1224. Le Président du bureau de ce congrès est Louis Mangin, Directeur du Muséum national d’histoire naturelle (M.N.H.N.), et parmi les trois Vice-présidents se trouve Paul Marchal, Professeur à l’institut national agronomique (I.N.A.) et Directeur de la station entomologique de Paris, Garcin, Président de l’Union du Sud-est des syndicats agricoles, et Pierre Viala. Au cours de ce congrès, Emile Blanchard souhaite l’adoption d’un vœu en trois points, dont l’un concerne directement la Ligue nationale. Ce dernier envisage « que la Ligue nationale contre les ennemis des cultures se préoccupe, dès cette année, de l’organisation de concours et expositions d’appareils et produits destinés à la destruction des parasites animaux ou végétaux qui ravagent les cultures et que les résultats obtenus dans les diverses régions soient centralisés à la Ligue Nationale chargée de les communiquer à toutes les organisations intéressées »1225.

Les responsables de la Ligue émettent, sur le rôle exact de cette structure, des opinions diverses. D’après Émile Blanchard, la Ligue constitue, dans l’esprit de la Société nationale d’encouragement à l’agriculture, un pôle de coordination des efforts chargé de regrouper « à la fois les organisations spéciales formées dans les départements et les particuliers que la question intéresse »1226. Une telle acception des fonctions de Ligue entraîne, quant à ses applications pratiques, quelques divergences. Au cœur du débat de 1926 apparaît nettement les tenants d’une centralisation et les opposants à ce principe. Le Directeur du Muséum critique vivement le parisianisme d’une nouvelle organisation ne pouvant siéger que dans la capitale. Louis Mangin perçoit un autre type de fonctionnement, plus soucieux des préoccupations locales et correspondant à une structure fédérative : « J’imagine que les groupements régionaux pourraient se former et ensuite s’agréger pour former un groupement national, parce qu’il y a une telle différence dans le mode d’action et dans les procédés suivant les régions, qu’on ne peut pas espérer qu’une Ligue Nationale puisse agir seule ». Ce raisonnement consiste à imaginer que les structures locales ou régionales soient susceptibles d’agir en dehors des avis nationaux. Pour beaucoup, la Ligue doit cependant prendre place dans la sphère parisienne afin d’entretenir des contacts avec les organismes décisionnels et les personnalités compétentes en protection des végétaux. Cependant, de l’aveu même des débatteurs, les différences de vues ne constituent que des points de détails. En effet, aucune des opinions rapportées en 1926 ne considère la Ligue comme une structure devant imposer une ligne de conduite. Au contraire, il s’agit seulement de mettre à la disposition du plus grand nombre les renseignements techniques récoltés dans les différents secteurs de la protection des végétaux. Cet aspect est cependant critiqué par certains, comme Jean Feytaud (responsable de la station entomologique de Bordeaux). Ce dernier craint que la Ligue ne devienne un organisme faisant double emploi avec les services de l’Etat. Jean Feytaud affirme simplement que la Ligue doit fonctionner comme un relais du Ministère de l’Agriculture. Il déclare : « Il me semble que la France doit avoir un service de défense des cultures qui sera le centre coordinateur, le centre de renseignements et d’exécution et, qui, s’appuyant sur des organisations régionales, unies par la Ligue Nationale, pourra arriver à établir la lutte contre les ennemis des plantes »1227.

Malgré un travail certain réalisé à l’attention des cultivateurs (brochures par exemple), l’activité la plus visible de cette nouvelle association consiste en une présence à de nombreux congrès de sciences appliquées. Le but des intervenants traduit alors la nécessité d’une prise de conscience de l’intérêt de lutter contre les ennemis des végétaux. La polyvalence des premiers membres de la Ligue permet à ces derniers d’assurer une présence en de nombreuses occasions sans toujours apparaître sous l’étiquette de la Ligue. Ainsi, en 1928, lors de la première conférence internationale du rat, essentiellement dirigée vers la lutte contre les rongeurs nuisibles en milieu urbain et industriel, bien que la couverture du compte-rendu présente une photographie d’un rongeur agreste1228, Pierre Viala est membre du comité d’organisation. Robert Régnier représente l’Institut des recherches agronomiques (I.R.A.)1229 de même qu’Albert Chappellier (également mandaté par la Société nationale d’acclimatation de France). Ces contacts professionnels permettent à la ligue d’envisager une collaboration renforcée avec médecins et vétérinaires. Ce travail commun se concrétise en 1931, lors de la seconde conférence internationale du rat et de la peste1230, par l’adoption par la Ligue des vœux, et après discussion avec Gabriel Petit1231, entrant dans son domaine d’activité. Plus proche de ses préoccupations quotidiennes, la ligue participe à l’organisation du congrès international sur les appareils utilisés dans la lutte contre les ennemis des cultures, mis en place par le P.L.M., qui se déroule à Lyon les 24 et 25 juillet 1929. Le Président du congrès est Louis Mangin. Parmi les intervenants, nous pouvons noter la présence d’Emile Blanchard.

L’étendue de l’Empire français oblige la Ligue à se tourner vers les déprédateurs exotiques. L’exposition coloniale de 1931 permet à l’association d’organiser l’un des congrès de cette manifestation. Les 19 et 20 juin, divers problèmes phytosanitaires coloniaux sont présentés à Paris. Robert Régnier, dont la courte carrière en Afrique du Nord lui a permis de connaître les déprédateurs des végétaux méditerranéens, présente les ennemis des cultures du Maroc. Albert Chappellier, bien que travaillant à Versailles, traite un sujet intitulé “les vertébrés nuisibles aux colonies”. Le Général Delcambre prend la parole à propos de l’organisation d’un service météorologique colonial adapté à la lutte contre les ennemis des cultures1232.

L’intense activité de la Ligue lui impose de revendiquer une certaine indépendance vis-à-vis de la Société d’encouragement. Ainsi, le 30 juin 1931 se tient à Paris l’Assemblée générale constitutive de la Ligue. Le compte-rendu de cette assemblée affirme : « il est apparu que pour donner à ce groupement qui prend de plus en plus d’importance, toute liberté d’action, il était nécessaire d’en faire un organisme indépendant »1233. Cependant, l’émancipation administrative ne signifie en aucun cas la rupture avec l’association mère. En effet, de rapides comptes-rendus des activités de la Ligue sont insérés dans la Feuille d’informations agricoles étroitement liée à la Société nationale d’encouragement1234 dont Pierre Viala demeure l’un des Vice-Présidents, jusqu’à sa mort en 1936. L’adhésion à la Ligue prend un caractère de gratuité pour les membres, individuels ou collectifs, de la Société nationale d’encouragement1235 et cette dernière attribue parfois des récompenses symboliques à certains animateurs de la Ligue1236. En 1932, les publications de la Ligue affirment toujours que cette association demeure une filiale de la Société nationale d’encouragement à l’agriculture dont le but est de « servir utilement le producteur agricole dans sa lutte contre les nombreux fléaux qui déciment le fruit de son travail »1237. L’indépendance de la Ligue ne paraît pas non plus reconnue par les pouvoirs publics. Ainsi, lors de l’exposition internationale, tenue à Paris en 1937, la Société d’encouragement présente les résultats de ses actions comme ceux de ses filiales. Or, parmi les organismes dépendants figure, au sein même du rapport officiel, la Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures1238.

Notes
1220.

Émile BLANCHARD, « La lutte contre les ennemis des cultures dans le département de Seine-et-Oise », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, 1927, pp. 347-348

1221.

Nous n’avons cité que les occupations professionnelles principales. Louis Mangin, Pierre Viala et Paul Marchal sont également membres de l’Institut et de l’Académie d’Agriculture.

1222.

Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, Salle du conservatoire, les 28, 29 et 30 juin 1926, Paris, Service agricole de la compagnie P.L.M., 1927, 362 p. [Compte-rendu in extenso des séances].

1223.

Les motivations des compagnies de chemins de fer sont avant tout économiques. Raybaud, inspecteur principal des chemins de fer P.L.M, conclue le congrès de 1926 de la manière suivante : « Il est certain qu’à l’heure actuelle personne ne doit se désintéresser de la terrible partie qui se joue sur le terrain économique et les Compagnies de chemins de fer moins que les autres. Du reste, elles y sont intéressées au premier chef, et, en appelant ici les compétences qui sont de nature à augmenter la production, nous appelons des gens qui, en collaborant à nos travaux, nous aident à augmenter notre trafic ».

1224.

« Plusieurs centaines de savants et d’arboriculteurs y assistaient », d’après J.P.-MARQUE, « Congrès national sur la lutte contre les ennemis des cultures », dans Lyon-horticole et Horticulture nouvelle réunis, juillet 1926, pp. 105-107

1225.

Émile BLANCHARD, Vœu situé à la suite de l’article intitulé « La lutte contre les ennemis des cultures dans le département de Seine-et-Oise », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, 1927, pp. 347-348

1226.

Émile BLANCHARD, « La lutte contre les ennemis des cultures dans le département de Seine-et-oise », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28/30 juin 1926, 1927, pp. 347-348

1227.

Jean FEYTAUD, intervention au cours de la discussion résultant des propos d’Emile Blanchard, dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28/30 juin 1926, 1927, p. 350

1228.

Il s’agit d’une photographie représentant le campagnol des champs (Microtus arvalis) provenant d’un article publié dans les Annales des épiphyties en 1926.

1229.

L’I.R.A. est créé en 1921. Voir à ce propos : A l’occasion du bicentenaire (1761-1961) : Les aspects et les étapes de la recherche agronomique en France, Académie d’agriculture de France, tome 47, 96 p. [à préciser).

1230.

Gabriel PETIT, Seconde conférence internationale et congrès colonial du rat et de la peste, Paris, 7-12 octobre 1931, Paris, Vigot Frères, 1932, 650 p.

1231.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte-rendu de l’A.G. du 21 janvier 1932. [Gabriel Petit est secrétaire général des conférences de 1928 et 1931. Il est Professeur à l’École vétérinaire d’Alfort, membre de l’Académie de médecine et de l’Académie vétérinaire].

1232.

Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer, Rapport général, tome 4, Vie de l’exposition, 657 p. [Indications concernant la Ligue : p. 172 & pp. 226-227]

1233.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte rendu de l’Assemblée générale (A.G.) constitutive du 30 juin 1931.

1234.

Le titre exact de ce périodique est : Feuille d’informations agricoles du comité national d’entente et d’action agricole. Le sous-titre précise qu’il s’agit de l’organe de la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricole ainsi que de la société nationale d’encouragement à l’agriculture et de leurs filiales.

1235.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte-rendu de l’A.G. constitutive du 30 juin 1931, [article 3 des statuts adoptés].

1236.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte-rendu de l’A.G. du 24 mai 1933. [La Société nationale d’encouragement offre des plaquettes artistiques à Mlle Gaudineau (1901-1987) et M. Chappelier « pour les récompenser de la collaboration bénévole qu’ils n’ont cessé, depuis plusieurs années, d’apporter à la Ligue »].

1237.

Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, La défense des végétaux, La lutte contre les ennemis des cultures et le contrôle des produits insecticides et anticryptogamiques, Paris, 1932, 12 p.

1238.

Edmond LABBÉ, Rapport général de l’exposition internationale des arts et techniques de la vie moderne, Paris 1937, Ministère du Commerce et de l’Industrie, Paris, 1939, tome 5, 566 p. [La Ligue est citée en p.126 sous le chapitre “Coopération“ (Classe 8 B., Groupe II “Questions sociales”). En fait la Ligue est présente en trois lieux lors de l’exposition internationale : Au centre rural (maison des agriculteurs), au Palais de la coopération (comme représentant des syndicats de défense) et au probablement au Palais de la découverte. En effet, Louis Blaringhem, auquel Jean Perrin confie l’organisation de la section de botanique, envisage, outre une exposition des travaux de Viala, de préciser « aux visiteurs du Palais de la découverte les références qu’ils seront susceptibles de trouver sur la Ligue aux lieux indiqués » (Archives de la F.N.G.P.C., A.G. du 15 avril 1937).