2. L’esprit des fondateurs

2.1. L’habitude du travail en commun

De nombreux responsables de la Ligue se connaissent antérieurement à sa constitution en organisme indépendant en 1931 (ou même en filiale de la Société nationale d’encouragement). Les relations d’ordre professionnel permettent aux différents chercheurs orientés vers la protection des végétaux d’apprécier les compétences de leurs collègues. Ce fait est d’autant marquant que la fin du dix-neuvième et le début du vingtième siècle ne comptent qu’un nombre restreint de scientifiques capables de se concerter sur des problèmes de sciences appliquées. De plus, souvent issues de secteurs rattachés aux sciences naturelles, ces scientifiques de terrain se heurtent, sinon au mépris, du moins à l’indifférence de nombreuses personnes faisant autorité dans les matières concernées. L’opposition entre science fondamentale et appliquée engendre de nombreuses incompréhensions, notamment en entomologie, domaine dans lequel la systématique règne en maître. Or, les insectes sont parmi les déprédateurs les plus nombreux. Mais, les liens conjoncturels pouvant réunir quelques personnes ne suffisent pas à expliquer l’engouement de celles-ci pour la Ligue. En effet, bien que cela ne soit pas toujours aisé à mettre en évidence, il convient d’entrevoir la capacité des futurs membres du premier C.A. de la Ligue à travailler en commun dans le souci récurrent de développer les productions végétales de l’agriculture nationale.

Les fondateurs de la Ligue les plus âgés, perpétuant les habitudes du dix-neuvième siècle ne cosignent que fort peu d’articles. Des exceptions sont cependant à noter. En 1902, Pierre Viala et Louis Mangin décrivent une nouvelle maladie de la Vigne engendrée par Coepophagus echinopus puis collaborent, en 1903, à des travaux sur la phtiriose de la vigne. Le père d’Etienne Foex, lui aussi phytopathologiste, Gustave Foex décrit, également avec Pierre Viala une maladie bactérienne sous le nom de “gélivure”1240. Quant à Etienne Foex, il participe avec Marchal à la publication de la principale revue scientifique agricole de la première moitié du vingtième siècle, dont le titre est conservé dans l’une des séries des Annales de l’I.N.R.A. (à partir de 1952), consacrée aux problèmes phytosanitaires : Les Annales des épiphyties. Cette revue, dont la périodicité correspond à un numéro par an à ses débuts, se définit comme un recueil « de tous les mémoires originaux produits par le personnel scientifique du service, ainsi que les rapports sur les missions d’étude du Ministère de l’Agriculture qui auront été soumis au contrôle du Comité des épiphyties1241 et dont l’intérêt aura paru justifier la publication »1242.

Enfin, au moment de la création de la Ligue, en 1926, de nombreux responsables de cette association dispensent des cours à l’Institut national agronomique (I.N.A.), soit comme Professeur (Pierre Viala, Georges Fron, Paul Marchal), soit comme chef de travaux (Paul Marsais)1243. Or, si la plupart des membres de la direction de l’organisation possèdent souvent une vision identique des travaux à accomplir pour améliorer les productions agricoles, les relations professionnelles n’expliquent pas, à elles seules, les orientations de la structure mise en place en 1926. La Ligue succède à d’autres tentatives de vulgarisation orchestrées à l’échelon national. En effet, rompre l’isolement respectif des praticiens et des scientifiques correspond à l’une des préoccupations permanentes des chercheurs s’adonnant à la défense des cultures. Certes Boisduval échoue en 1867, époque sans doute trop marquée par les préoccupations imposées par la systématique1244, mais, avant la Première guerre mondiale, les futurs responsables de la Ligue participent à deux créations de structures vulgarisatrices. Les cas présentés n’excluent pas la participation active de ses membres à une foule d’autres associations ou revues agricoles et scientifiques, mais possèdent la caractéristique de ne pas dépendre directement d’un service scientifique tout en envisageant comme seul but la lutte contre les ennemis des cultures. Le premier correspond à un périodique, publié pendant quelques mois sous le titre Revue de phytopathologie, et le second aux désirs exprimés lors de la création de la Société de pathologie végétale. Cependant, si la Société de pathologie survit au premier conflit mondial, elle prend rapidement une orientation scientifique.

Notes
1240.

Jean LHOSTE, Jacques PONCHET, Les phytopathologistes français, Paris, O.P.I.E., 1994, 343 p. [Informations extraites des pp. 111 (Gustave Foex), 119-120 (pierre Viala) et pp. 114-116 (Louis Mangin)].

1241.

Le comité consultatif des épiphyties, créé par le décret du 19 février 1912, est chargé de l’étude de l’étude des questions relatives aux insectes, cryptogames et autres parasites nuisibles à l’agriculture, qui lui sont soumises par le Ministre, en particulier en ce qui concerne les procédés à employer et les mesures à prendre pour prévenir ou combattre les ennemis des cultures. La revue Annales du service des épiphyties est créée sous les l’égide de ce comité. Ce dernier possède les moyens financiers permettant des attributions particulières aux laboratoires de recherches et aux missions spécifiques Le Service des épiphyties est, quant à lui, mis en place officiellement par le décret du 11 mai 1915 et comprend les stations de recherches, le service phytopathologique (cf. Chapitre 1, section II. B. 2) et le contrôle des semences. Il correspond aux désirs d’organisation exprimés lors de la conférence internationale de Rome en 1914.

1242.

Paul MARCHAL, « Introduction », dans Annales du Service des épiphyties, Mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties en 1912, tome 1, 1913, pp. V-VIII

1243.

COLLECTIF, « L’Institut agronomique et son enseignement, 1876-1926 », dans Annales de l’Institut national agronomique, Série 2, tome 1, 555 p. [Numéro spécial, constituant la troisième édition de l’historique des enseignements de l’I.N.A., publié en 1926].

1244.

Se reporter à Chapitre 4, « Moyens biologiques de lutte », section I.A. [Le fait de s’interroger sur la valeur linguistique du terme “insectologie”, que nous citons dans le chapitre 4, semble assez révélateur de l’incapacité des entomologistes traditionnels du XIXe à orienter leurs discours vers “les travailleurs de la terre”].