1.Saint-pierre d’Oléron : le ramassage traditionnel

Le premier exemple de ce type d’organisation, initiée et encadrée par un scientifique, concerne la destruction de l’Otiorhynque (Otiorhynchus sulcatus) dans l’île d’Oléron, et ce, à la veille de la première guerre mondiale. Type même de l’association destinée à corriger l’inertie des cultivateurs, cet exemple est considéré pendant plusieurs années comme une référence d’efficacité par les scientifiques. Nous devons décrire succinctement le cas du syndicat de défense de Saint-Pierre d’Oléron puisqu’il demeure toujours cité comme un élément historique lors du congrès lyonnais de 1926.

Jean Feytaud, Directeur de la station entomologique de Bordeaux, se rend à Saint-Pierre d’Oléron au cours de l’été 1913 sur l’injonction du Ministre de l’Agriculture. Or, bien que le Ministre soit prévenu par un député du risque encouru par les vignes, ce qui indique une inquiétude certaine des cultivateurs concernés, Jean Feytaud note, étant donné une apparition des charançons antérieure à 1910, que « les propriétaires n’avaient pas pris garde au danger de leur extension »1272et ce, y compris dans les vignes entretenues avec soin. Après avoir défini les conditions du milieu, intégrant à celles-ci l’état d’esprit des viticulteurs, Jean Feytaud décide de diriger une destruction par le ramassage des insectes parfaits tout en développant un contrôle biologique. Le travail propre des agriculteurs concerne essentiellement la mise en place d’un barrage chimique délimitant la zone infestée grâce à des traitements répétés. Outre le respect des vertébrés prédateurs (hérissons dont il propose l’achat et la répartition, musaraignes, batraciens et oiseaux), Jean Feytaud, après démonstrations et discussions de terrain, obtient des viticulteurs qu’ils protègent les insectes auxiliaires (carabes et staphylins essentiellement) : « Les propriétaires qui ont suivi mes démonstrations ont vite appris à reconnaître ces insectes. Ils les ont observés ; plusieurs d’entre eux, favorisés par le hasard, en ont trouvés sous les pierres et sous les mottes en train de dévorer des Otiorhynques, ainsi que je le leur avais fait prévoir »1273.

Pour permettre le ramassage des adultes, Jean Feytaud initie la mise en place d’un syndicat de lutte qu’il affirme être « analogue à ceux de Gorron et Céaucé » créés par Le Moult 30 ans auparavant1274. Fondée le 3 mai 1914, suite à une conférence réalisée le 5 avril en présence de nombreux agriculteurs1275, la structure syndicale fonctionne par l’apport d’une cotisation des propriétaires en prise avec l’ennemi, par des subventions (État, département, communes concernées) et grâce à des adhésions de membres honoraires. Le Syndicat rémunère ensuite des ramasseurs volontaires à l’aide de primes. En 1914, 98 kilogrammes de charançons sont détruits sur une surface de trente hectares ce qui représente environ 1 400 000 adultes. Malgré la guerre, les opérations se poursuivent jusqu’en 1917 de manière continue. À cette date, Feytaud note que le ramassage donne des résultats quantitatifs extrêmement faibles. Mais, l’ensemble des opérations menées pendant plusieurs années constitue un exemple de réactions pour les viticulteurs de toute la région, « qui ont beaucoup entendu parler de l’invasion de Saint-Pierre ».

Ce type d’organisation, efficace pour combattre certains déprédateurs, ne correspond cependant pas à la majorité des réalisations effectuées postérieurement à la Première guerre mondiale. Le manque de main d’œuvre agricole, consécutif au conflit, entrave la mise en place d’équipes de ramassage à grande échelle. En fait, dès le début des années 1920, l’arsenal législatif entend favoriser la création des syndicats de défense par les services de l’Etat. Le décret du 24 novembre 1923, pris en application de la loi du 21 juin 18981276 et des différents textes relatifs au fonctionnement de l’inspection phytopathologique, étend la compétence des services de l’Etat à la mise en place des syndicats de lutte. Dès lors, les inspecteurs du service phytopathologique ont pour mission d’instaurer, avec l’aide des D.S.A. et des Offices agricoles, la création des syndicats de lutte contre les ennemis des cultures1277. Ces derniers jouissent des prérogatives prévues par la loi de 1920 sur l’extension de la capacité civile des syndicats professionnels1278. Les dispositions de ce texte permettent une liberté d’action conséquente en de multiples domaines puisqu’elles autorisent aussi bien l’adhésion des retraités, le commerce (sous certaines conditions), toutes les manifestations de vulgarisations auxquelles peuvent prétendre les syndicats de défense…

Notes
1272.

Jean FEYTAUD, « Sur l’invasion d’Otiorhynques de Saint-Pierre d’Oléron », dans Bulletin de la société d’Etude et de vulgarisation de la zoologie agricole, n° 9-10, Septembre-Octobre 1916, pp. 102-105

1273.

Jean FEYTAUD, « Étude sur l’otiorhynque silloné (Otiorhynchus sulcatus) », dans Annales du service des épiphyties, Mémoires et rapport présentés au comité des épiphyties en 1916-1917, tome 5, 1918, pp. 145-192

1274.

Se reporter au Chapitre 4, « Moyens biologiques de lutte », section III, B.2.

1275.

Jean FEYTAUD, « Rapport de la station entomologique de Bordeaux », dans Annales du service des épiphyties, mémoires et rapports présentés au comité des épiphyties en 1914, tome 3, 1916, pp. 387-388

1276.

« Loi sur le code rural », 21 juin 1898, dans Journal officiel de la République française, pp. 3861-3866

1277.

Décret du 24 novembre 1923 sur l’Inspection phytopathologique, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 25 novembre 1923, pp. 11 018-11 020 [Article 3, titre II].

1278.

« Loi sur l’extension de la capacité civile des syndicats professionnels », [12 mars 1920], dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 14 mars 1920, p. 4179