3. L’organisation départementale des Bouches-du-Rhône

Contrairement à Émile Blanchard, Paul Vayssière, quant à lui, se place directement au niveau départemental. En effet, ce dernier considère que les « syndicats communaux marcheront peut-être bien pendant un ou deux ans, s’ils sont à côté d’un syndicat agricole actif »1283. Par ailleurs, l’entité administrative constituée par le département favorise l’indépendance vis-à-vis de « toutes contingences locales » qu’il s’agisse de problèmes de personnes ou de rapports entre municipalités. De plus, le paiement d’indemnités destinées aux cultivateurs sinistrés apparaît comme un motif supplémentaire excusant l’inaction des élus locaux. Son raisonnement s’appuie sur les opérations de destruction des criquets de la Crau (Bouches-du-Rhône) effectuées entre 1919 et 1921. Dans ce cas, un peu particulier, l’aire de répartition des ennemis à combattre, mouvante, dépasse largement le cadre communal et par conséquent, seule une organisation départementale permet une action efficace. La multiplication des criquets dans la Crau, problématique dès 1917, engendre la mise en place d’une lutte collective, sous la direction de Paul Vayssière, à partir de 19191284. L’année 1920 permet de créer une organisation permanente. Cette dernière est dirigée par un grand propriétaire terrien secondé par le Directeur des services agricoles. Au cours de l’année 1920, les effectifs du syndicat départemental augmentent considérablement. Si seulement 80 exploitants sont groupés en avril 1920, le syndicat départemental compte 200 adhérents en décembre. L’année 1921, représente l’apogée de cette campagne. Paul Vayssière résume alors la situation de la manière suivante : « Le nombre des moyens de lutte mis en œuvre cette année, fut très restreint et le succès fut acquis grâce à une bonne organisation qui, tout en évitant le gaspillage, sut donner à volonté les matières premières ». Le financement, multiple dans ses origines, provient du conseil général (100 000 Francs), du Ministère de l’Agriculture (30 000 Francs accordés à l’Office agricole départemental) et de l’Office agricole régional. De plus, les cotisations du syndicat de défense sont augmentées. Enfin, la compagnie P.L.M. apporte son concours en effectuant gratuitement, par son réseau, l’ensemble des transports nécessaires. La répartition des produits, entreposés dans une usine dépendant de la poudrerie de Saint-Chamas, est effectuée par huit sous-centres. Au sein de ces derniers, outre le personnel chargé de la préparation des insecticides, se trouvent des équipes de deux à trois hommes chargés de répandre les appâts empoisonnés dans les secteurs inhabités et peu cultivés. Les produits livrés aux agriculteurs sont attribués gratuitement lorsque ces derniers appartiennent au syndicat. Dans le cas de la lutte contre les criquets, seul un organisme d’une certaine importance numérique, disposant de moyens financiers et d’un appui technique exceptionnel permet d’assurer la protection des récoltes.

Les moyens de lutte dépendent étroitement des stades biologiques des criquets. Jusqu’au deux ou troisième stade larvaire, période de déplacement limité de ces arthropodes, les techniques de lutte sont relativement aisées à mettre en œuvre. Les substances dont l’usage paraît difficile à maîtriser sont vite délaissées. Dans cette catégorie entre la chloropicrine, abandonnée dès le début de la campagne 1919. Le crésyl et les matières actives à base d’arsenic apparaissent alors comme les plus répandus. L’habitude des praticiens d’épandre ces substances semble rapidement prise. Dès 1921, quelques intéressés demandent d’eux-mêmes la préparation de solution à 13 % de crésyl afin de détruire les larves au moment de l’éclosion. Par la suite, jusqu’au troisième stade larvaire, le crésyl permet la destruction des jeunes dont les déplacements sont relativement limités. À partir du troisième stade larvaire, les solutions de crésyl possèdent des concentrations plus fortes (jusqu’à 30 %), les criquets étant moins sensibles au produit. Ce procédé possède l’avantage de permettre à tous les cultivateurs d’effectuer eux-mêmes les traitements à l’aide de pulvérisateurs à dos traditionnels. Au total, 17 000 litres de Crésyl, représentant 130 000 litres d’insecticides sont épandus sur 25 hectares en 1921. Le prix de revient (900 Francs par hectare) ainsi que la multiplicité des passages excluent ce type de traitements en dehors d’une lutte subventionnée et collective. Le principal insecticide correspond à des appâts empoisonnés à l’acide arsénieux (son ou parfois pellicules d’arachides, moins onéreuses). En théorie, la quantité de son nécessaire à l’élimination des criquets correspond à 10 kg à l’hectare. Cependant, les cultivateurs estiment cette quantité très insuffisante et épandent jusqu’à 150 kg à l’hectare. Au total 200 tonnes d’appâts sont utilisées en 1921 par les cultivateurs.

Enfin, la destruction au lance-flamme s’opère grâce à l’appui de deux techniciens militaires. Les criquets, rabattus par les ouvriers agricoles devant les lance-flammes, permettent de nettoyer environ 30 hectares. Le rôle de l’armée ne s’arrête pas là. Le Directeur de l’Ecole d’Aviation d’Istres oblige ses pilotes à repérer l’emplacement des bandes acridiennes par avion et mobilise ses hommes pour détruire les criquets sur les zones militaires1285. Les dépenses engagées représentent environ 300 000 Francs, « sacrifice qui permit de sauver d’une dévastation certaine des milliers d’hectares de prairies et de cultures dont le revenu annuel représentait une quinzaine de millions »1286.

Il est certain que la présence d’une structure syndicale départementale permanente, ayant la capacité d’agir dès le début des pullulations de criquets, entraînerait des coûts moindres et permettrait aux cultivateurs de détruire plus facilement les ravageurs. Paul Vayssière, s’appuyant sur le cas des acridiens des Bouches-du-Rhône, défend le concept d’une France couverte par un réseau de syndicats départementaux. Ces derniers comprenant un bureau permanent de deux ou trois personnes chargées d’effectuer une surveillance de l’ensemble des secteurs de l’entité territoriale considérée et de provoquer la mobilisation des cultivateurs lorsque survient un problème phytosanitaire quelconque.

Notes
1283.

Intervention de Paul VAYSSIÈRE au cours de la discussion intervenant après son exposé intitulé « Les syndicats de défense contre les ennemis des cultures », dans Congrès national pour la lutte contre les ennemis des cultures, Lyon, 28 au 30 juin 1926, Service agricole du P.-L.-M, Paris, 1927, pp. 351-356

1284.

Paul VAYSSIÈRE, « Sans titre », in “communications”, dans Bulletin de la Société de pathologie végétale de France, tome 7, n°2, avril-juin 1920, pp. 71-72.

1285.

Paul VAYSSIÈRE, « La lutte antiacridienne en Crau en 1921 », dans Compte-rendu de la 45 e session de l’Association française pour l’avancement des sciences, Rouen, 1921, pp. 1368-1374

1286.

ANONYME, « Rapport phytopathologique pour l’année 1921 », dans Annales des épiphyties, tome 8, 1922, pp. XXII-XXIII