1.Décret de 1916 et textes subséquents

Dès 1927, la Ligue considère la législation de 1916 comme inadaptée et entend œuvrer pour une extension des périodes d’application des arsenicaux, essentiellement en cultures fruitières1345. Sur l’avis de Paul Marchal, la Société de pathologie végétale et d’entomologie agricole, à son tour, demande une révision de la législation le premier mars 19291346. La demande de modification, limitée, concerne la possibilité de traiter à l’aide d’arsenicaux insolubles les abricotiers après la floraison, dans les délais légaux de cinq semaines prévus pour la plupart des autres essences (pommiers, pruniers, poirier…)1347. Ce vœu reste lettre morte auprès des administrations concernées.

Cependant, au début de l’année 1933, la Ligue envisage la révision, non pas de simples arrêtés, mais du décret du 14 septembre 1916. Le compte-rendu de l’assemblée générale de février 1933 en explique la teneur : « une nouvelle consultation du monde agricole et du monde des fabricants de produits insecticides nous permit l’élaboration d’une requête ayant pour but de demander la révision des dispositions du décret du 14 septembre 1916 pour faciliter en particulier le commerce et l’emploi de certaines substances insecticides comme le phosphure de zinc et les composés arsenicaux »1348. La Ligue transmet cette demande au Ministère de l’Agriculture, au Ministre de la Santé publique mais également au Conseil supérieur d’hygiène publique et à l’Académie de médecine.

Nous devons noter que les discussions concernant l’assouplissement législatif des textes de 1916 ne demeurent pas au strict niveau des organisations agricoles. Le 24 mai 1933, le sénateur Victor Boret demande au Ministre de l’agriculture si une révision des textes relatifs au commerce des substances toxiques est envisageable afin que producteurs et éleveurs puissent être à égalité avec la concurrence étrangère1349. Le Ministre précise qu’une réforme du décret du 14 septembre 1916, et par conséquent des textes d’applications, est à l’étude.

Les pressions de la Ligue sur les autorités administratives ne se relâchent pas en attendant l’élaboration d’un nouveau texte. Fin décembre 1933, Pierre Viala donne lecture d’un rapport envoyé par le Syndicat national des fabricants de produits destinés aux soins des animaux et végétaux. Ce texte, développant les difficultés engendrées par l’application de législation de 1916, introduit un projet de décret. Bien que les exigences d’hygiène publique soient respectées (emballages protégés et repérables, formulations différentes des spécialités commerciales, dénaturations des produits inscrits au tableau A, tenue d’un registre des acheteurs et intermédiaires…), ce projet vise à une simplification des modalités de ventes. « L’assemblée approuve l’action du syndicat national de produits destinés aux soins des animaux et des végétaux qui vient renforcer celle que ne cesse de développer la Ligue en la matière »1350.

Cette prise de position permet d’appréhender des différences de vue au sein même de la Ligue. L’un des principaux opposant à la révision des textes de 1916 se nomme Emile Perrot1351. Pharmacien universitaire, il considère en avril 1933 le terme “phytopharmacie”, utilisé récemment par les agronomes, comme une usurpation de titre1352. Ne contenant aucune référence au rôle du pharmacien, supprimant ainsi l’article 12 du décret du 14 septembre 1916, le projet approuvé par la Ligue constitue, aux yeux d’Émile Perrot, un danger pour l’avenir de la profession. Émile Perrot ne s’oppose que rarement à l’usage de substances toxiques destinées à combattre les déprédateurs. En revanche, alliant le souci de la sécurité d’utilisation et la défense des intérêts professionnels, il s’emploie à prouver l’avantage pour les agriculteurs de s’adresser aux pharmaciens.

Mais, ces divergences n’empêchent aucunement des prises de position radicales. Une nouvelle occasion de manifester une opposition massive aux textes légaux apparaît lors du congrès de 1934. La base du raisonnement des intervenants, membres de la Ligue, repose sur le fait que les textes légaux concernant la vente, la préparation et l’emploi des arsenicaux constituent les principaux obstacles à la réussite économique des exploitations. Pour la Ligue, la concurrence étrangère ne peut conduire qu’à une révision des règles françaises. L’incompréhension d’un système, qui interdit aux arboriculteurs français de fournir des fruits traités tardivement aux arsenicaux et permet l’importation de produits sains car soumis à de multiples épandages, permet au congrès de voter un vœu en réelle opposition avec la législation. De plus, le congrès, ne souhaitant pas un simple aménagement des règles officielles, demande que l’ensemble des cultures maraîchères jouisse d’une protection équivalente, à condition que les traitements soient terminés un mois avant la récolte.

Or, en 1934, le gouvernement crée, par un arrêté pris par le Ministre Henri Queuille, une commission dont le but consiste à étudier l’emploi des toxiques en agriculture1353. Il s’agit alors d’une part, de fixer les conditions de traitements au moyen des substances toxiques et, d’autre part, de veiller à l’application des prescriptions commerciales concernant les substances vénéneuses. Malgré une présence numériquement importante des membres de la Ligue dans cette structure1354, celle-ci n’imagine pas un changement rapide dans les orientations politiques de l’administration : « Malgré nos efforts, la simplification de la réglementation désuète qui régit actuellement l’emploi des produits toxiques n’a pas avancé d’un pas, à moins toutefois qu’on ne considère comme un commencement d’exécution la commission qu’a créée l’arrêté du 21 janvier 1935 et qui a pour but d’étudier, près le service de la répression des fraudes, les questions relatives à cet objet »1355. Il est vrai que de nombreux pharmaciens, opposés aux modifications de fond des textes de 1916, sont également présents dans la commission. La présidence de cette dernière se trouve assurée par J.Capus, sénateur et ancien Ministre de l’Agriculture, puis par le Doyen Fabre de 1939 à 1967.

Notes
1345.

J. BORDAS, P.-H. JOESSEL, « Quelques remarques relatives à l’emploi des arsenicaux en culture fruitière », dans Annales d’hygiène publique, industrielle et sociale, nouvelle série, tome 10, décembre 1932, pp. 712-727. [Cet article rappelle en conclusion un vœu émis par la Ligue en 1927].

1346.

(Cité par)Émile BLANCHARD, Maurice AMALBERT, « Les insecticides et fongicides. Réglementation de leur emploi. Modifications à envisager », dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome I, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 439-450

1347.

Le texte mis en cause est le suivant : « Emploi des composés arsenicaux en agriculture », arrêté du 25 février 1928, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 1er mars 1928, p. 2329

1348.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte-rendu de l’assemblée générale du 16 février 1933

1349.

Réponse des Ministres aux questions écrites, [question n° 2087 de Victor Boret, 24 mai 1933], dans Journal officiel de la République française, Débats parlementaires (Sénat), séance du 17 octobre 1933, p. 1802 [La question écrite ne précise aucun nom ou groupe de matière active]

1350.

Compte-rendu de la réunion du 21 décembre 1933, dans Bulletin des sciences pharmacologiques, Bulletin des intérêts professionnels, février 1934, pp. 28-30 [Introduit par Emile Perrot].

1351.

La Ligue entérine son adhésion le premier décembre 1932. Émile Perrot entre au C.A. de l’association le 23 avril 1936 et devient Vice-président de la Ligue le 15 avril 1937. Parallèlement il crée l’Association professionnelle de phytopharmacie dont le but est la conquête par les pharmaciens des activités de défense des végétaux. L’intervention directe des pharmaciens étant préparée par des cours universitaires spécialisés.

1352.

Émile PERROT, « La phytopharmacie », dans Bulletin des sciences pharmacologiques, Bulletin des intérêts professionnels, avril 1933, pp. 73-77

1353.

• En 1934 : « Commission chargée d’étudier les problèmes relatifs à l’emploi des substances toxiques en agriculture », arrêté du 30 octobre 1934, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 1er novembre 1934, p. 10 945.

• En 1935 : « Commission chargée d’étudier les problèmes relatifs à l’emploi des substances toxiques en agriculture », arrêté du 21 janvier 1935, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 13 février 1935, p. 1881.

1354.

Dans les membres de la Ligue cités en 1934, on note les noms de : Albert Chappelier (directeur auxiliaire à la station centrale de zoologie agricole, Marc Raucourt (chargé du laboratoire de phytopharmacie), Bernard Trouvelot (chef de travaux à la station centrale de zoologie agricole), Emile Perrot (Président du comité interministériel des plantes médicinales et à essence) et Pierre Viala (Président de la Ligue). Dans les membres cités en 1935 : Georges Chappaz (Inspecteur général de l’agriculture), Fernand Willaume (préparateur à la station centrale de zoologie agricole), Marcel Astier (Président de l’office agricole régional du midi), Lecolier (secrétaire général de l’Union fédérative des sociétés et syndicats de Seine-et-Oise).

1355.

Archives de la F.N.G.P.C., Compte-rendu de l’Assemblée générale du 21 mars 1935.