2.L’arrêté du premier février 1933

Au début des années 1930, le phosphure de zinc, dont l’emploi est d’abord étudié en Italie1356, connaît un développement conséquent. Il s’agit d’une substance utilisée essentiellement pour détruire les courtilières et les rongeurs. Pratiquement inconnue avant 1930, cette matière active devient rapidement d’un usage courant. Ainsi, par exemple, lors de la campagne de 1931-1932, les syndicats de défense de la Beauce confectionnent des appâts contre les mulots en utilisant plus de deux tonnes de phosphures de zinc1357. Le phosphure de zinc, non répertorié dans les listes officielles de produits toxiques, demeure libre d’achat et d’emploi jusqu’au début de l’année 1933. Le premier février 1933, Henri Queuille signe un arrêté indiquant que la préparation des appâts au phosphure de zinc est du ressort unique des pharmaciens après délimitation, par le Ministère de l’Agriculture, des zones infestées. La Préfecture doit alors organiser la lutte par arrêté préfectoral1358. Pour être appliqué, ce texte exige le concours d’un ministre, des responsables nationaux et locaux du service de la défense des végétaux, du préfet, du maire, de l’inspecteur des pharmacies, des responsables des syndicats de lutte et des pharmaciens. Au sens strict, obligation est imposée aux syndicats de lutte d’effectuer eux-mêmes ou de contrôler la vente et l’emploi du phosphure de zinc (préparé par pharmacien diplômé). Or, pour le service de la répression des fraudes, l’emploi des appâts au phosphure de zinc « est et demeure licite pour tout le monde ». Dans un courrier adressé le 30 décembre 1933 au préfet de l’Hérault, le chef du service de la répression des fraudes, dépendant du Ministère de l’agriculture, affirme que l’arrêté « ne vise que l’organisation sur de grandes étendues de la destruction des courtilières »1359.

Plusieurs critiques virulentes transparaissent dans les propos des membres de la Ligue. Pour cette association, l’obligation de délimiter des aires de traitements constitue un non-sens car « il n’y a pas de zones infestées, mais une zone infestée qui comprend tout le territoire de la France, puisqu’il n’existe pas une seule commune qui n’ait un jardin envahi par les courtilières ». Cependant, le rôle des pharmaciens traduit un émoi plus grand encore puisque le congrès de 1934 le situe « à l’encontre des intérêts de l’agriculture ». Les opposants à cette réglementation considèrent que les pharmaciens ne possèdent pas l’organisation nécessaire pour livrer en peu de temps des quantités importantes de produits. Par ailleurs, les pharmaciens apparaissent comme un intermédiaire majorant le prix de revient des substances de traitements. Si l’Académie d’agriculture demande purement et simplement la délivrance des produits toxiques sans intermédiaire, la Ligue, considérant les objections que soulèverait une telle décision, suggère que les vendeurs ne puissent écouler leurs marchandises qu’à des syndicats ou des particuliers connus1360. Cependant, lors du congrès de 1934, tous les membres de la Ligue ne paraissent pas unanimes sur la solution à proposer pour faciliter l’emploi du phosphure de zinc. Ainsi, Chappellier, spécialiste des rongeurs, considère qu’il ne faut pas permettre à n’importe qui de se servir d’un tel toxique. Face à des positions très contradictoires, Gay, alors Inspecteur général de l’agriculture chargé de la coordination des services de défense sanitaire des végétaux, présidant la séance, renvoie « pour étude complémentaire, cette grave question à la Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures »1361.

Si les avis sur la législation divergent, la complexité du système légal entraîne des répercussions indéniables dans la pratique phytosanitaire. Ainsi, le nombre d’arrêtés préfectoraux encourageant l’utilisation massive du phosphure de zinc demeure faible. Après enquête, Jean Feytaud ne cite, au milieu de l’année 1934, que la Gironde (11 décembre 1933)1362 et les Landes (19 août 1933)1363. Agissant essentiellement dans le quart sud-ouest de la France, Feytaud s’intéresse sans doute particulièrement à cette région. Cependant, il est certain que « cette réglementation, ajoutée à l’action toxique sur les animaux domestiques et le gibier, ont enrayé le développement de la vente de ce produit, auquel on a d’ailleurs substitué le fluosilicate de baryum dont la vente est libre. Son prix est moins élevé que celui du phosphure et sa toxicité plus faible pour les animaux domestiques et le gibier »1364. Notons que le phosphure de zinc est interdit définitivement en 19811365. Nous devons préciser que les fluosilicates, produits dangereux, n’apparaissent pas immédiatement dans les répertoires légaux. Comme pour le phosphure de zinc avant 1933, l’achat et l’emploi sont libres. Le conseil supérieur d’hygiène et la commission du codex en demande l’inscription au tableau A dès le milieu des années 19301366. Les Fluosilicates sont inscrits au tableau C en 19371367. À cette date, l’administration opère une révision des textes de 1916. En effet, « l’arsenal thérapeutique, d’une part, les industries agricoles, d’autre part, utilisent, depuis cette époque, un certain nombre de produits toxiques, dont le commerce doit être soumis aux prescriptions nécessaires pour éviter les inconvénients résultant de leur emploi sans contrôle »1368.

Notes
1356.

La mise au point des traitements au phosphure de zinc est réalisée par le professeur Ettore Malenotti, directeur de la station de phytopathologie de la Vénétie.

1357.

J. STOCQUER, « Le phosphure de zinc », dans Journées de la lutte chimique contre les ennemis des cultures, Paris, 19-25 mai 1937, Chimie et industrie, volume 38, n°4 bis, octobre 1937, p. 135-136 [a vérifier] [L’auteur annonce une production de phosphure de zinc oscillant entre 5 et 10 tonnes en 1929 et atteignant 60 tonnes en 1931].

1358.

« Emploi du phosphure de zinc pour la destruction des courtilières », arrêté du 1er février 1933, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 5 février 1933, pp. 1244-1245

1359.

Jean FEYTAUD, « À propos de l’emploi du phosphure de zinc contre les courtilières », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, juillet 1934, pp. 108-110

1360.

Émile BLANCHARD, Maurice AMALBERT, « Les insecticides et fongicides. Réglementation de leur emploi. Modifications à envisager», dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome I, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 439-450

1361.

Émile BLANCHARD, Maurice AMALBERT, « Les insecticides et fongicides. Réglementation de leur emploi. Modifications à envisager», dans La défense sanitaire des végétaux, Compte-rendu du congrès de la défense sanitaire des végétaux, Paris, 24-26 janvier 1934, tome II, Paris, Ligue nationale de lutte contre les ennemis des cultures, pp. 269-280

1362.

« Réglementation de l’emploi des insecticides classés parmi les substances vénéneuses », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, mars 1934, pp. 35-42 [Présentation des textes officiels sans commentaires].

1363.

Jean FEYTAUD, « A propos de l’emploi du phosphure de zinc contre les courtilières », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, juillet 1934, pp. 108-110

1364.

J. VERGUIN, « Les produits chimiques et la défense des cultures », [première partie], dans La revue de chimie industrielle et le moniteur scientifique de Quesneville, tome 45, 1936, pp. 38-44.

1365.

En 1950, le ministère, sur l’avis de la commission des toxiques, maintient les dispositions antérieures, mais réserve l’usage du phosphure de zinc à la destruction des rongeurs (J.O. du 17 mars 1950, p. 3032, arrêté du 9 mars). En 1981, l’usage comme rodenticide est interdit (J.O. complémentaire du 17 novembre 1981 , p. 10 037, arrêté du 29 octobre).

1366.

E. BRIAU, « Les travaux du conseil supérieur d’hygiène de France », dans Revue d’hygiène et de médecine préventive, tome 57, 1935, pp. 697-701

1367.

« Commerce des substances vénéneuses », décret du 9 novembre 1937, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 17 novembre 1937, p. 12566-12569 [En 1959, les fluosilicates sont classés dans les produits simples non soumis à l’homologation : arrêté du 10 septembre 1959, J.O. du 24 septembre 1959, pp. 9259-9260 ].

1368.

Vincent AURIOL, Georges MONNET, Marc RUCART, « Rapport au Président de la République française » in “commerce des substances vénéneuses”, 8 novembre 1937, dans Journal officiel de la République française, Lois & décrets, 17 novembre 1937, p. 12566