B. Syndicats de défense : de l’indépendance à la Corporation

Les syndicats de défense, durement critiqués quant à la légalité de leur existence, connaissent une mutation de leurs statuts juridiques le 26 août 19421560. La principale modification apparente concerne la dénomination de ces organismes. Désormais le terme “groupement” supplante l’appellation “syndicat”. Par cet artifice, l’Etat français, influencé par les remarques de la Corporation, souhaite supprimer la dualité entre les deux structures. Les groupements sont toujours définis en fonction de la loi du 21 mars 1884 modifiée par celle du 12 mars 1920. Désormais, les syndicats corporatifs possèdent, au sein du conseil d’administration des groupements, 40 % des effectifs, conformément à la loi d’organisation du 2 décembre 1940 (article 10). Ces modifications correspondent simplement à une volonté du gouvernement de faire coïncider les textes légaux de 1940 et du 25 mars 1941. Comme le souligne une circulaire ministérielle du S.P.V. aucun changement d’importance ne doit se manifester. Les D.S.A., par l’entremise de leur directeur, doivent « concilier les différents organismes en présence, mais en ne perdant pas de vue que l’objet du groupement, d’ordre essentiellement technique, justifie l’autonomie que la loi lui a conférée sur le plan local »1561.

La Corporation paysanne, qui ne se satisfait pas de cette mesure, souhaite alors l’obtention du monopole dans la lutte contre les ennemis des cultures par l’intermédiaire d’un contrôle total des groupements. Divers arguments sont alors avancés. Afin de justifier l’intérêt d’une main mise complète sur les associations de défense, la Commission nationale d’organisation corporative paysanne affirme qu’il convient de limiter la confusion dans l’esprit des agriculteurs entre les deux structures mais également de réduire les conflits de personnes pouvant résulter d’une division des tâches agricoles. Pour obtenir un tel résultat, de nombreuses propositions sont alors émises par la Corporation nationale paysanne, en particulier l’intercommunalité des organismes de défense des cultures en intégrant de droit l’ensemble des syndicats corporatifs dans le conseil d’administration des groupements. Ainsi, le contrôle d’un organisme relativement indépendant devient possible. De plus, dans des conditions particulières nécessitant la création d’un organisme de défense communal, la Corporation souhaite que ses unions régionales soient seules habilitées à autoriser une telle structure. Enfin, un autre point important, permettant de contrôler l’ensemble de la structure, concerne les fédérations régionales. Pour la Commission nationale d’organisation corporative paysanne, les Fédérations régionales doivent être considérées comme des coopératives et, de fait, administrées par les U.R.C., suivant en cela les préceptes de la loi de décembre 19401562.

L’ensemble des réactions suscitées par la loi du 26 août 1942 vise uniquement à créer les conditions d’une absorption des syndicats de défense par l’organisation corporative1563. Quant à l’aspect financier, déjà évoqué précédemment, il tient une place de choix dans l’argumentaire destiné à engendrer des modifications profondes. En fait, l’ensemble des revendications postérieures au texte du 26 août 1942 concerne des points éludés par les juristes avant la publication de la loi. Elles ne sont alors retenues, ne pouvant entrer à la fois dans le cadre de la loi de 1940 et de celle de 1941. De plus, les syndicats de défense ne concernent pas seulement les agriculteurs mais aussi des producteurs n’exerçant pas une activité principale liée à l’agriculture qui, de fait, seraient marginalisés ou exclus d’un organisme strictement corporatiste.

Cependant, tous les groupements ne désirent pas s’opposer à la Corporation. En 1943, des présidents de groupements locaux souhaitent, comme dans le département de la Gironde, l’intégration de leur syndicat au sein de la structure corporative. Or, malgré l’intervention des syndicats corporatistes dans l’administration des groupements, inspirée par la loi du 26 août 1942, le Ministère de l’agriculture s’oppose aux propositions des groupements girondins. En effet, « les dispositions prévoient seulement la participation des unions régionales corporatives à la constitution des groupements de défense contre les ennemis des cultures, mais non la création de ceux-ci sur la seule initiative des unions et exclusivement dans le cadre des organisations corporatives »1564.

Une dernière loi, promulguée le 17 décembre 1943 renforce le rôle des syndicats corporatifs. Ces derniers « doivent organiser des groupements communaux ou intercommunaux de défense permanente contre les ennemis des cultures »1565. Le fonctionnement financier des groupements n’est cependant pas modifié. Les fédérations départementales ou régionales demeurent, sous le contrôle des D.S.A., chargées de l’encaissement du produit des centimes additionnels comme de la répartition des liquidités au prorata de l’activité réelle des groupements. Une circulaire ministérielle, adressée aux directeurs des Services agricoles, insiste sur ces dispositions tout en soulignant l’obligation d’imposition de l’ensemble des communes du territoire1566. En réalité, la loi de 1943 entérine un état de fait que nous avons déjà suggéré. La corporation, opérationnelle depuis mars 19431567, apparaît, antérieurement à décembre, comme un relais nécessaire pour la création des groupements de défense. Ainsi, fin février 1943, la D.S.A. mais aussi le S.P.V. régional de Lyon expédie un courrier aux syndics locaux de la Corporation afin d’activer la création des groupements de défense. Les services administratifs du Ministère souhaitent seulement prendre connaissance de la date de tenue des assemblées constitutives afin de pouvoir y assister. Enfin, pour que les syndics locaux puissent obtenir les statuts types des groupements, il convient de s’adresser au siège départemental de la Corporation paysanne1568. L’insistance formulée par le SPV à mettre en place les groupements de défense dans le lyonnais se traduit par un accroissement rapide de ces organismes. En effet, si à la mi-mars 1943, 18 syndicats possèdent une existence réelle dans le Rhône1569, à la mi-octobre, leur nombre se chiffre à 531570. L’obligation de lutte contre le Pou de San José constitue l’un des facteurs permettant la création des groupements de défense puisque ces derniers sont pressentis dès 1943 pour assurer la répartition des produits phytosanitaires coccicides (huiles blanches, huiles d’anthracène ou bouillies sulfocalciques) durant l’hiver 1943-1944. La réelle possibilité d’action des organisations collectives traduit le seul espoir des responsables du SPV de limiter les dégâts du Pou de San José : « Si tous les arboriculteurs veulent bien coordonner leurs efforts en constituant des groupements contre les ennemis des cultures, des résultats certains peuvent laisser espérer que d’ici quelques années la contamination de leurs cultures aura disparu ou tout au moins elle aura été réduite à des parcelles minimes qu’il sera facile de traiter et de surveiller »1571.

Notes
1560.

« Loi n° 810 du 26 août 1942 relative à la constitution de groupements de défense permanente contre les ennemis des cultures », dans Journal officiel de l’État français, 31 août et 1er septembre 1942, p. 2986

1561.

A.N.-F., 17 SPV-7, Circulaire S.P.V. du 16 novembre 1942 adressée aux D.S.A.

1562.

A.N.-F., 17 SPV-1, Communication de la Commission nationale d’organisation corporative paysanne en date du 1er décembre 1942 et intitulée Communication sur les groupements de défense contre les ennemis des cultures.

1563.

A.N.-F., 17 SPV-1, Lettre de Paul CAZIOT (Président de la commission nationale d’organisation corporative), en date 28 septembre 1942 destinée au Ministre-Secrétaire d’Etat à l’agriculture.

1564.

A.N.-F., 17 SPV-1, Lettre du Ministre secrétaire d’Etat à l’agriculture et au ravitaillement au Directeur des services agricoles de la gironde en date du 31 août 1943.

1565.

« Loi n° 634 du 17 décembre 1943 modifiant la loi n° 1318 du 25 mars 1941 organisant la protection des végétaux », dans Journal officiel de l’État français, 28 décembre 1943, p. 3 298.

1566.

A.N.-F., 17 SPV-7, Circulaire en date du 18 janvier 1942 provenant du S.P.V. (Direction de la production agricole).

1567.

Isabel BOUSSARD, Vichy et la corporation paysanne, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1980, 414 p.

1568.

A.N.F., 17 SPV-1, Lettre de l’Inspecteur régional du SPV (P. Dumas) et du directeur des S.A. du Rhône en date du 22 février 1943 (P. Telliez), expédiée aux syndics de la Corporation paysanne sous couvert des maires.

1569.

A.D.-Rhône, 204 W 585, Liste des groupements de défense constitués à la date du 17 mars 1943.

1570.

A.D.-Rhône, 204 W 585, Liste des groupements de défense fonctionnant dans le département du Rhône à la date du 18 octobre 1943.

1571.

Archives du SRPV de Lyon, Lutte contre le Pou de San José durant l’hiver 1943-1944 (Programme de travail).