3. Un comportement imposé par les déprédateurs

L’individualisme correspond pour les quelques départements que nous avons cités précédemment à des entités administratives où les propriétaires exploitants représentent plus de 55 % de la population agricole1630. L’indépendance des cultivateurs, en particulier pour les exploitations de petite taille se conçoit aisément. Cependant, l’aspect technique demeure primordial pour expliquer la réticence des agriculteurs vis-à-vis d’une structure collective. Dans les Pyrénées-Orientales, la spécialisation poussée des cultures, maraîchères ou même arboricoles, constitue un frein puissant à l’organisation des groupements de défense. Pour des productions différentes, et souvent à haute valeur ajoutée, les déprédateurs sont localement multiples. En conséquence, la mise en place de traitements et de matériel identique, y compris au sein d’une même commune, ne présente pas de réel intérêt. Le même phénomène s’observe dans les Alpes-maritimes où la polyculture et le morcellement des propriétés bloquent le développement des groupements bien que les statistiques reflètent une autre réalité. Nous ne pouvons cependant aucunement conclure à la généralisation d’un phénomène lié à la multiplicité des plantes cultivées. En effet, certains secteurs de l’Hérault, livrés à la polyculture, engendrent au contraire la formation des groupements grâce aux pullulations répétées de certains parasites particuliers1631.

Par ailleurs, au sein d’une zone marquée par la prédominance d’une culture, la simultanéité d’apparition des déprédateurs oblige à des soins immédiats réalisés au même moment dans de nombreuses exploitations. Le manque de moyens financiers des groupements et même des fédérations, allié aux difficultés engendrées par l’entretien des appareils à grand travail, n’encouragent pas l’adhésion morale à une structure collective. Ainsi, dans le Gard, « le viticulteur qui est obligé de disposer d’un matériel de lutte suffisant pour lui permettre l’exécution des traitements en temps opportun estime que le matériel de lutte à usage collectif ne pourrait servir que pour des traitements d’appoint »1632. La situation des zones viticoles de l’Hérault traduit un phénomène identique en ce qui concerne les opérations de limitation des ennemis les plus communs (mildiou, vers de la grappe…).

Dans les régions de grandes cultures, l’action commune destinée à réaliser une économie sur les traitements semble plus encore délaissée. En effet, dans l’Aisne, « les groupements manifestent une activité moyenne parce que les fermes sont généralement d’assez grande étendue et que les exploitants, lorsqu’ils jugent nécessaire d’effectuer des traitements acquierent pour leur propre compte le matériel indispensable »1633. L’unique pulvérisateur de la fédération, dont la situation financière est jugée correcte, ne connaît qu’une utilisation limitée durant la campagne 1950-1951 puisqu’il ne fonctionne qu’une vingtaine d’heures. Les 1 400 adhérents, répartis en 80 associations distinctes ne se traduit donc pas par une activité exceptionnelle, les animateurs n’étant pas légions. Dans quelques départements, nous pouvons entrevoir les raisons du décalage entre le nombre total de membres des groupements et l’activité agricole de ceux-ci grâce à des précisions concernant les origines socioprofessionnelles des adhérents Ainsi, « le bon équipement individuel des fermes du Nord ne justifie pas une extension du nombre de groupements, beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs formés plus par des jardiniers amateurs que par des exploitants ou propriétaires agricoles »1634. Les enquêtes ministérielles n’indiquent pas la répartition géographique des groupements actifs, mais nous pouvons penser que les jardiniers amateurs se situent en périphérie des villes industrielles du département. Une situation analogue s’observe par ailleurs dans le département de la Seine, fortement marqué par la présence de Paris. Là, la fédération se heurte à l’inertie des professionnels et trouve chez les amateurs plus d’assiduité à suivre toutes les applications et conférences. Cependant, les jardiniers amateurs délaissent les groupements progressivement car beaucoup, après la Libération, abandonnent leur jardin1635.

Notes
1630.

D’après Henri MENDRAS, « Diversité des sociétés rurales françaises », pp. 23-35, dans Les paysans et la politique dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin, 1958, 532 pp.

1631.

A.N.-F., 17 SPV-10, Documentation statistique concernant la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures de l’Hérault pour l’année 1951

1632.

A.N.-F., 17 SPV-9, Documentation statistique concernant la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures du Gard pour l’année 1951

1633.

A.N.-F., 17 SPV-8, Documentation statistique concernant la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures de l’Aisne pour l’année 1951

1634.

A.N.-F., 17 SPV-12, Documentation statistique concernant la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures du Nord pour l’année 1951

1635.

A.N.-F., 17 SPV-9, Documentation statistique concernant la Fédération départementale des groupements de défense contre les ennemis des cultures de la Seine pour l’année 1951