B. Les centres avertisseurs du Sud-ouest

1. La station de Cadillac et la prévision des maladies de la vigne

Les premières études sur les traitements du Black-rot sont réalisées par Georges Cazeaux-Cazalet et présentées publiquement à Bordeaux en 1895 et 1896 lors de congrès consacrés au Black-rot. En 1895, il démontre que certains traitements cupriques sont efficaces alors que d’autres, réalisés avec les mêmes substances sont inutiles. Or, à cette date, le sentiment majoritairement répandu est la négation du rôle du cuivre dans le traitement du Black-rot1735.

Dès 1896, Georges Cazeaux-Cazalet affirme qu’il est indispensable que les solutions cupriques soient appliquées « au moment où commence à se produire les conditions atmosphériques favorables au développement des germes du Black-rot ». Cette période est alors considérée par l’auteur comme facile à définir : « Les conditions de développement du Black-rot sont liées à des phénomènes atmosphériques qui se succèdent de la même manière tous les ans, deux à trois fois dans le cours du printemps et à des dates bien différentes d’une année à l’autre »1736.

Joseph Capus, professeur d’agriculture, et Georges Cazeaux-Cazalet, président du comice agricole de Cadillac (et Maire de Cadillac de 1896 à sa mort en 1911), décident, en 1898, d’avertir préventivement les viticulteurs de ce canton de la Gironde. La prévision des risques est alors fondée essentiellement sur les températures et le rythme des précipitations. Après le Black-rot, la méthode est rapidement appliquée au mildiou. Lorsqu’une infestation est programmée, les applications cupriques sont effectuées par les cultivateurs au moment opportun. Les travaux de Joseph Capus et Georges Cazeaux-Cazalet sont fondés essentiellement sur l’analyse des prévisions météorologiques (précipitations et températures) et sur l’évolution de la végétation des vignes. Georges Cazeaux-Cazalet se fie d’ailleurs essentiellement à la vitesse de pousse des sarments car les phénomènes de croissance sont très souvent liés aux températures. « Ces variations dans la vitesse de croissance des rameaux sont la conséquence des variations de même sens des températures : la croissance est rapide par température élevée ; elle se ralentit si la température baisse »1737. Or, « le ralentissement de la végétation, s’il coïncide avec la pluie, étant suffisant pour caractériser le moment opportun »1738, d’autres phénomènes, atmosphériques ou physiologiques, ne sont pas pris en considération. La longueur des sarments est alors constatable par les viticulteurs eux-mêmes . En effet, « il suffit d’accoler un sarment, en plein vignoble, au fur et à mesure de son développement, contre un tuteur, et de marquer, jour par jour, au moment des pluies, sur le tuteur, la longueur du sarment ». Il convient alors de traiter lorsque « les intervalles quotidiens d’allongement se réduisent »1739.

En 1913, Joseph Capus exprime clairement ses premières intentions : « Il s’agissait pour nous de fixer ainsi dans l’esprit des viticulteurs cette notion de l’opportunité des traitements, de les habituer à des sulfatages rapides, précis, de leur montrer les rapports des contaminations avec les circonstances atmosphériques et de faire subir à nos idées l’épreuve de la pratique courante »1740. Le tableau suivant indique, pour l’année 1910, les dates de publication des prévisions girondines de la station de Cadillac et les périodes d’applications pratiques durant lesquelles les traitements contre le mildiou possèdent une efficacité indiscutable pour l’ensemble du département. La précision des avertissements est particulièrement évidente1741.

Tableau n° 36. Date d’émission des avertissements agricoles (Gironde) et périodes d’applications efficaces des traitements en 1910
Date d'émission
des
avertissements
Date réelle
des
traitements efficaces
6 mai 1910 6 au 13 mai
21 mai 1910 21 au 28 mai
4 juin 1910 3 au 6 juin
10 juin 1910 10 au 14 juin
21 juin 1910 21 au 27 juin

Les succès des opérations menées en matière d’avertissements entraînent un accroissement rapide du nombre d’adhérents. Ainsi, Joseph Capus, constatant l’intérêt porté par les viticulteurs à ses prévisions, affirme : « devant les heureux résultats que nous avons obtenus, le nombre des viticulteurs, des communes, des associations agricoles de la Gironde et des régions voisines soumises aux mêmes conditions climatiques, qui ont demandé à profiter de ces avertissements, n’a cessé de s’accroître »1742. La région d’influence de ces avertissements agricoles, est constituée, en 1913, par le Gers, le Lot-et-Garonne, les Landes et la Gironde. Cependant, la précision des avis de traitements n’est pas identique dans tous les lieux auxquels s’adresse la station. En effet, certaines plantations, situées en sols secs (comme les vignes du Médoc), ne présentent pas, pour la plupart, de symptômes précoces de mildiou. Joseph Capus, « ne pouvant connaître les conditions de chacun des vignobles des abonnés », expédie cependant des avertissements à tous les abonnés1743. Il demande donc aux viticulteurs de se souvenir des périodes de la première invasion. Cette considération permet aux praticiens d’éviter les traitements inutiles.

Notes
1735.

Georges CAZEAUX-CAZALET, [sans titre], dans Congrès international de viticulture, 13-17 juin 1900, Paris, séance du jeudi 14 juin 1900, [Intervention de Cazeaux-Cazalet pp. 238-241]

1736.

Georges CAZEAUX-CAZALET, Observations sur les conditions essentielles au succès de la défense contre le Black-rot, Compte rendu du second congrès contre le Black-rot, Bordeaux, 7 et 8 décembre 1896, 1897, [Citation pp. 86-87]

1737.

Louis RAVAZ, Le mildiou, caractères, conditions de développement, traitement, Traité général de viticulture, partie 3, tome 3, Montpellier, Coulet et fils, éditeurs & Paris, Masson et Cie éditeurs, 1914, 198 p. [Citation p. 183]

1738.

Georges CAZEAUX-CAZALET, Joseph CAPUS, « Observations sur les deuxième et troisième invasions du Black-rot en 1898 dans le canton de Cadillac (partie 2) », dans Revue de viticulture, n° 248, 17 septembre 1898, pp. 317-321

1739.

Georges CAZEAUX-CAZALET, « Le Black-rot, ses rapports avec la température et la végétation de la vigne. Traitements opportuns », dans Revue de viticulture, tome 9, 26 février 1898, n° 219, pp. 229-233 [citation p. 232]

1740.

Joseph CAPUS, « La prévision des maladies cryptogamiques de la vigne », [partie I], dans La revue de phytopathologie, n° 2, 5 mai 1913, pp. 28-29

1741.

Joseph CAPUS, « La prévision des maladies cryptogamiques de la vigne », [partie II], dans La revue de phytopathologie, n° 3, 20 mai 1913, pp. 40-42

1742.

Joseph CAPUS, « La prévision des maladies cryptogamiques de la vigne », [partie I], dans La revue de phytopathologie, n° 2, 5 mai 1913, pp. 28-29

1743.

Joseph CAPUS, « Instruction pratique sur le traitement du mildiou dans le Sud-ouest », dans Le progrès agricole et viticole, édition du midi, n°19, 13 mai 1917, pp. 444-445