1.Les insectes de la vigne 

1.1. Les vers de la grappe

Lors de la fondation des premières stations en 1898, seules certaines maladies cryptogamiques sont étudiées. Très rapidement, comme nous l’avons mentionné précédemment, les chercheurs essayent d’appliquer des méthodes prévisionnelles d’infestation à d’autres déprédateurs. Dès 1907, une méthode préventive de destruction des larves de cochylis et d’eudémis est mise en place par Jean Feytaud et Joseph Capus en Gironde. Par la suite, cette technique est adoptée en Anjou et dans le Beaujolais avant de se répandre dans l’ensemble des régions viticoles françaises. Il s’agit en fait d’empoisonner les grappes de raisins avec des substances à base de nicotine, d’arsenic ou de chlorure de baryum. Cette technique permet de simplifier la lutte contre les “vers de la grappe” en contournant « la difficulté de pénétration des insecticides dans les agglomérations soyeuses ou dans les grains qui leur servent d’habitat »1790. L’ensemble du système repose sur l’étude de l’émergence des imagos dont les chrysalides sont placées sous cages en milieu naturel. Cependant, la période d’apparition n’est pas un phénomène suffisant. En effet, les cultivateurs ne conçoivent un traitement que si les dégâts possèdent un coût économique réel. Ainsi, à la veille de 1914, la notion de seuil de tolérance est d’actualité. Les élevages sont complétés par des visites sur les exploitations afin d’apprécier la quantité d’insectes adultes, dont la durée de vie est de 10 jours environ, et d’envisager l’importance des pontes qui suivent l’accouplement. La décision de traitement est alors soumise à l’appréciation des responsables des stations d’avertissements agricoles. La raréfaction de la main d’œuvre pendant la Première guerre mondiale et après celle-ci permet de mettre au point un nouveau système de contrôle des populations. Utilisés auparavant en Alsace dans la lutte contre les eudémis et les cochylis, les pièges-appâts deviennent, en particulier sous l’impulsion de Feytaud, un moyen, non de combattre ces ennemis mais de surveiller l’activité de ces deux lépidoptères. Simples d’utilisation et de fabrication, ces pièges sont constitués par des pots suspendus au niveau des grappes et remplis d’eau et de mélasse en fermentation, appât alimentaire classique pour un certain nombre d’insectes. Les papillons, d’activité crépusculaire et nocturne, se posent sur la substance visqueuse et s’y noient. Il suffit alors de les compter chaque matin et d’établir des courbes de vols.

Cependant, de grandes différences éthologiques existent au sein d’une même espèce dans une région donnée. Ainsi, les responsables des avertissements agricoles girondins souhaitent dès l’avant-guerre multiplier les postes d’observations au sein des grandes propriétés dans l’espoir que les agriculteurs proches de ces propriétés puissent profiter de l’expérience acquise et traiter rationnellement et préventivement les vignes. En 1938, Feytaud constate un demi-échec dans le Bordelais : « Nous aurions voulu voir ces initiatives se généraliser dans les grands domaines tout en profitant aux cultivateurs voisins ». Or, la protection des végétaux, pour être efficace, se doit d’être menée rationnellement sur l’ensemble d’une entité géographique. Afin de permettre l’accès de l’ensemble des cultivateurs d’un secteur à la lutte préventive, Feytaud initie, par exemple, la création, avec l’aide du syndicat viticole, d’un poste d’observation à Sainte-Croix du-Mont en 1929. Les prévisions sont fiables et le rôle des stations d’avertissements est incontestable. « L’époque du traitement contre l’eudémis varie avec les régions et suivant les années, dans des proportions assez marquées, et seules les stations d’avertissements peuvent déterminer à l’avance l’époque à laquelle les viticulteurs doivent commencer à traiter » écrit A.Balachowsky en 1936. Il affirme que « quelques stations fonctionnent à cet effet, notamment celles du centre de recherche agronomique de Bordeaux et de Clermont-Ferrand »1791. Aux stations métropolitaines, il convient d’ajouter celle de Maison-Carrée en Algérie, mise en place au milieu des années 1920.

Notes
1790.

Jean FEYTAUD, « Les avertissements agricoles dans la lutte contre l’Eudemis et la Cochylis », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, n°3, mars 1938, pp. 33-40

1791.

Alexandre-Serge BALACHOWSKY, Les insectes nuisibles aux plantes cultivées, tome 1, 1936, 1137 p. [citations p. 685]