III. Le S.P.V. et les avertissements agricoles

A.Organisation

1.Une nécessité de crise

En vertu des textes de 1941, les services extérieurs de la protection des végétaux se doivent « d’apporter leur collaboration technique aux services agricoles départementaux et aux syndicats de lutte contre les ennemis des cultures, en vue de vulgariser les méthodes de traitement adoptées par le ministre secrétaire d’Etat à l’agriculture, après avis du comité consultatif de la protection des végétaux ». Ainsi, « ils sont, en particulier, chargés de l’organisation et de l’exécution du service des avertissements agricoles »1833. Ce décret-loi est alors salué avec enthousiasme par les spécialistes de la lutte contre les ennemis des cultures. Le docteur Feytaud, qui, chargé d’importantes tâches administratives durant l’Occupation doit démissionner et prendre une retraite anticipée à la Libération1834, affirme à ce propos : « Nous ne pouvons qu’applaudir à cet ensemble de décisions gouvernementales soulignant l’importance d’une institution sanitaire dont le rôle, dans les circonstances difficiles que nous traversons, paraît plus nécessaire que jamais »1835. Le rôle de conseil des avertissements agricoles apparaît alors comme une obligation destinée à maintenir les récoltes à un niveau quantitatif acceptable . En effet, près des trois quarts de la production de céréales1836 sont issus de la zone nord et soumis dès 1940 aux exigences directes de l’Allemagne. Par ailleurs, la ponction allemande, résultat des ventes françaises obligatoires, augmente au cours de la guerre pour atteindre, en 1944, 8 millions de quintaux de céréales et 3 millions d’hectolitres de vin1837. De plus, à une exception près1838, « la baisse de production des produits agricoles est générale et pratiquement continue durant toute l’Occupation »1839. Cette dernière donnée est en partie liée aux prélèvements industriels opérés par l’Allemagne mais également aux restrictions commerciales commandées par le conflit1840. Ainsi, « la viticulture, qui utilisait en 1938, 90 000 tonnes de sulfate de cuivre et 65 000 tonnes de soufre pour lutter contre les maladies cryptogamiques de la vigne, reçoit des contingents de plus en plus maigres »1841. En 1942, les disponibilités de la viticulture, pour le seul sulfate de cuivre correspondent probablement au quart des besoins annuels classiques1842. De plus, la vente des produits cupriques et soufrés ne laisse pas apparaître la formation de stocks importants au début du conflit. En effet, l’été 1939 est marqué par une consommation des sulfates résultant de l’utilisation des stocks accumulés lors de la campagne précédente, par des demandes soudaines de poudres cupriques, correspondant aux besoins engendrés par certaines invasions cryptogamiques, et des livraisons régulières et habituelles de soufres1843.

Bien que certaines cultures, comme les céréales, ne soient pas encore soumises aux avertissements, le nombre d’espèces végétales dont les infestations parasitaires sont prévisibles s’accroît régulièrement. L’économie du nombre de traitement et de la concentration en matière active est alors vitale pour l’ensemble des productions végétales1844.

En viticulture, par exemple, « la pénurie de cuivre a incité l’emploi des bouillies faibles en sulfate de cuivre et l’on peut dire que la plupart des bouillies recommandées par les stations d’avertissements, dosant de 1 à 1,5 % de sulfate de cuivre, ont donné pleine satisfaction »1845. Or, avant-guerre, la bouillie bordelaise possède un titrage de 2 à 3,5 % de matière active. De plus, dès le début de l’année 1942, conséquence des difficultés considérables d’approvisionnement en produits phytosanitaires, certaines stations restreignent les conseils de traitements aux cultures les plus développées localement et limitent les traitements aux opérations véritablement nécessaires1846.

Il convient de remarquer que le climat sec des années d’occupation est relativement peu propice à l’extension de certaines maladies cryptogamiques1847. En effet, « le mildiou de la vigne fut rare, ainsi que celui de la pomme de terre, légume qui remplissait très fréquemment les assiettes des Français »1848. Mais, ce fait n’enlève rien à l’intérêt économique des avertissements. Les conséquences du ravitaillement strictement contingenté des substances phytosanitaires sont dramatiques pour les cultivateurs qui n’appliquent pas les avis des avertissements. « Les viticulteurs qui ne suivirent pas les conseils des stations d’avertissements agricoles utilisèrent leurs produits trop tôt et eurent leurs récoltes détruites par les attaques tardives de mildiou »1849. Afin de sensibiliser les vignerons à un nouvel usage des produits, fondé sur un rationnement drastique et un nombre d’épandages réduit, certaines stations (comme celle de Montpellier) diffusent des brochures de vulgarisation. Ce type de propagande n’omet pas d’expliciter la lecture et l’adaptation locale par les cultivateurs des avis de traitement1850.

La situation agricole après la Libération est identique. Si nous reprenons l’exemple viticole, les récoltes de la campagnes 1945 sont inférieures à celles des années précédentes. Les causes tiennent « essentiellement au mauvais entretien du vignoble en général dû à l’absence ou à l’insuffisance de personnel, de cheptel, d’engrais et de produits anticryptogamiques »1851. L’ensemble des productions végétales diminue considérablement. Le tonnage des pommes de terre récoltées correspond, environ, à 33 % de la production d’avant-guerre, celui des betteraves industrielles à 45 % et celui du blé à 53 %1852.

L’ordonnance du 2 novembre 1945, organisant la protection des végétaux, s’attache essentiellement à modifier les statuts des syndicats de défense. L’exposé des motifs indique clairement que le Gouvernement provisoire entend assurer une certaine continuité. Ainsi, « une expérience de quatre années a montré que, dans son ensemble, ces textes répondaient aux nécessités de la protection des végétaux en France, sous réserve d’y apporter quelques allègements et quelques précisions »1853. L’ensemble des activités des services extérieurs de la protection des végétaux est provisoirement maintenu, sans modification, jusqu’au 7 octobre 19461854. Le décret du 7 octobre reprend à l’identique, avec quelques variantes de vocabulaire, les modalités de fonctionnement contenues dans le texte de 19411855. Ainsi, l’organisation des avertissements agricoles demeure dans les attributions du service de la protection des végétaux.

Notes
1833.

« Loi du 25 mars 1941 portant organisation des services extérieurs de la protection des végétaux », [Acte n° 1317], dans Journal officiel de l’Etat français, 29 mars 1941, p. 1347.

1834.

Jean LHOSTE, Les entomologistes français, 1750-1950, I.N.R.A./O.P.I.E., 351 p.

1835.

Jean FEYTAUD, « L’organisation du service de la Protection des végétaux », dans Revue de zoologie agricole et appliquée, n°9-10, septembre-octobre 1941, pp. 71-78 [Citation p. 72]

1836.

Jean-Pierre AZEMA, François BEDARIDA (sous la direction de), La France des années noires, tome 1, Paris, Editions du Seuil, 1993, 536 pp. [information p. 431]

1837.

Robert O. PAXTON, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Editions du seuil, 1974, 375 p. [informations p. 145]

1838.

Seule la mise en culture des oléagineux progresse pendant la Seconde guerre mondiale

1839.

Jean Pierre AZEMA, François BEDARIDA (sous la direction de), La France des années noires, tome 1, Paris, Editions du Seuil, 1993, 536 pp. [Citation p. 436]

1840.

Avant-guerre, le soufre provient essentiellement de Sicile et de Floride. A partir de juillet 1943, les contingents étrangers sont donc inexistants. Le sulfate de cuivre, quant à lui, est originaire soit d’Amérique du Nord, soit, pour la plus grande partie des importations, du Congo Belge.

1841.

Georges DUBY, Armand WALLON (sous la direction de), Histoire de la France rurale, tome 4, Paris, Editions du Seuil , 1992, 755 p. [citation p. 97]. Nous devons remarquer que les quantités de soufre et de sulfate de cuivre utilisées en viticulture sont très variables suivant les auteurs : 60 à 100 000 tonnes par an pour le soufre et 80 à 150 000 tonnes pour le sulfate de cuivre.

1842.

Paul MARSAIS, « Nouvelles formules anti-mildiou à employer en 1943 », dans Compte rendu des séances de l’Académie d’agriculture de France, séance du 25 novembre, 1942, p. 615-618

1843.

ANONYME, « Cours des principaux marchés. France », dans L’Industrie chimique, n° 306, juillet 1939, p. 483, & n° 307, août 1939, p. 554

1844.

Paul MARSAIS, « Avec peu de cuivre peut-on espérer vaincre le mildiou ? », dans Annales de l’Ecole nationale d’agriculture de Grignon, série 3, tome 3, 1942, pp. 25-33

1845.

H. SOULIE, « Les centres avertisseurs et les traitements à appliquer à la vigne et aux arbres fruitiers », dans 76 e session du Congrès pomologique de France, 5&6 octobre 1945, pp. 132-137, [citation p. 136]

1846.

AN. -F., 5 SPV 87, J. BRUNETEAU, Programme des travaux des stations d’avertissements de Bordeaux et d’Angers en 1942, 16 janvier 1942, 3 p.

1847.

Il s’agit essentiellement des années 1942, 1943 et 1944 qui correspondent par ailleurs aux périodes de grandes restrictions en produits phytosanitaires.

1848.

Roger GEOFFRION, « Les premiers pas de la protection des végétaux : beaucoup de difficultés à surmonter ! », dans Phytoma, hors série, septembre 1991, pp. 10-11

1849.

Hermon DARPOUX, « Les avertissements agricoles », dans Bulletin technique d’information, n°41, 1949, pp. 403-411 [Citation p. 410]

1850.

AN.-F., 5 SPV 88, Rapport sur le fonctionnement de la station d’Avertissements agricoles de Montpellier, octobre 1941, 10 p.

1851.

Archives privées, Double d’une réponse du Ministre du ravitaillement à un rapport sur l’approvisionnement en vin de la métropole. Fin mars/début avril 1946, 4 p. [origine : cabinet du Ministre du ravitaillement]

1852.

Archives privées, fascicule anonyme de 13 pages, daté du 20 mai 1946, intitulé “vérités sur le ravitaillement“, [origine : cabinet du Ministre du ravitaillement]

1853.

Ordonnance n° 45-2627 du 2 novembre 1945 organisant la protection des végétaux, dans Journal officiel de la République française, 3 novembre 1945, p. 7187.

1854.

La nullité de la loi du 21 mars est constaté par l’article 157 de la loi n° 46-2154 en date du 7 octobre 1946, portant ouverture et annulation des crédits sur l’exercice 1946. [J.O. du 8 octobre 1946, p.8514].

1855.

Décret n°46-2612 du 7 octobre 1946 portant organisation des services extérieurs de la protection des végétaux, dans Journal officiel de la République française, 26 novembre 1946, p. 9955.